Cette chronique relate l’épique épopée de l’assistance à maîtrise d’ouvrage pour la réhabilitation de l’édifice.
Chercheurs, historiens, architectes en chef, archéologues, beaucoup de professionnels qualifiés étudient encore cet édifice dont les travaux de réhabilitation ont enfin commencés. Le présent article ne s’attardera pas sur les données historiques et documentaires qui sont susceptibles de donner lieux à de nombreux articles spécialisés tant le sujet est unique, la matière foisonnante et les intervenants passionnés.
La mosquée ancienne est issue d’un processus de métissage des cultures ; pour résumer simplement, elle est dite shirazienne dans un style swahilie, mais sans doute bercé d’influences bantous et malgaches… assez loin effectivement des références stylistiques hexagonales.
L’ensemble est constitué
- d’une mosquée “historique” du XVIe siècle , elle-même certainement issue d’un édifice plus ancien dont la date d’édification n’est pas encore précisément connue (le mihrab porte l’inscription : an 944 de l’hégire, soit 1566), la mosquée historique est classée au titre des Monuments historiques.
- d’un minaret édifié en 1991 qui flanque les bâtiments, ce monument est l’œuvre de l’architecte Attila Cheyssial. Le minaret est inscrit au titre des Monuments historiques.
- d’une mosquée très contemporaine mais peu remarquable du XXIe siècle qui a récemment remplacé une construction contemporaine du XXe siècle mais qui n’a malheureusement que peu duré.
Le classique n’étant pas applicable à Mayotte nous avons dû apprendre à contourner ou lever les écueils dont, rétrospectivement, l’accumulation prête à sourire : pas d’existence légale (pour un bâtiment de 2005), pas de classement ERP (alors que le bâtiment est très fréquenté), pas d’assainissement, pas d’acte de propriété du maître d’ouvrage, pas de convention pour les utilisateurs, pas de moyens de la maîtrise d’ouvrage, pas d’aplomb de la toiture terrasse (planéité +40 cm) ni des rives, pas d’étanchéité et aussi plus de chaux corallienne , pas de chaux localement disponible, plus de moellons de corail disponibles, plus de sable gris, pas de sable clair, plus d’eau, plus de possibilité de circuler (barrages et routes coupées), etc…
À l’inverse de ces manques, la maîtrise d’œuvre a été surreprésentée : compte tenu des décisions de la maîtrise d’ouvrage nous avons côtoyé cinq architectes intervenant successivement, voire concomitamment. À savoir : un atelier réunionnais d’architectes du patrimoine pour le diagnostic ; un architecte local pour la couverture de la mosquée du XXIe ; l’architecte d’origine pour la réhabilitation du minaret ; une architecte locale pour la régularisation ERP et, enfin, l’architecte en chef pour le reste, à savoir, la réhabilitation de la partie classée et l’aménagement de la partie contemporaine et de ses abords.
Le nombre d’appels d’offre contraste aussi avec les manques cités plus haut, pour le chantier de l’ACMH les trois premières consultations ont, petit à petit, amené les principaux protagonistes mais certains lots demeurent encore non attribués.
Lors d’une visite du site, en 2018, le Directeur général des patrimoines –Vincent Berjot– a été interpelé par les fidèles lui faisant part de leur impatience face à la (relative) lenteur de l’opération et des désagréments occasionnés par les fuites de la toiture terrasse (non étanchée et à l’aplomb incertain voir plus haut). Le périmètre d’intervention de la Dac de Mayotte s’est alors élargi au contrôle scientifique et technique de l’opération de couverture de la partie non protégée.
Bénéficiant de procédures simplifiées (pas de création de surface, édifice non protégé), le chantier n’a simplement connu que des problèmes techniques (poser des fermes à plat sur un support en faux-aplomb) et de coordination (arrêt de chantier en raison de l’extrême lenteur de paiement -pourtant la Dac apportait son aide et l’AFD avait consenti des prêts pour constituer une trésorerie)1 .
La mosquée est flanquée d’un minaret moderne, œuvre de l’architecte Léon Attila Cheyssial, construit en 1991. Un point de doctrine dut être négocié : au sujet de l’intervention sur les MH récents dont les maîtres d’œuvre sont toujours en activité, en regard des pratiques habituelles de la conservation et des aspects du droit de la propriété intellectuelle (un architecte du patrimoine ou le créateur de l’œuvre ?).
Par chance, pour l’option que nous défendions en local, la proposition de l’architecte d’origine a été mieux disante. Le transfert de propriété du conseil départemental vers la commune a permis de solutionner le problème de domanialité, la commune pouvant alors déposer et accorder le permis avec l’autorisation du Préfet d’autant que le minaret n’est pas un ERP. La modification des matériaux du bulbe creux en béton (en mauvais état) supporté par de fines colonnettes (très dégradées à la limite du péril), elles aussi en béton armé, a été prescrite pour des raisons structurelles, techniques et de pérennité, et une réalisation à l’époque contrainte par la disponibilité de matériaux. Nous n’avons pas restauré la matière partout, mais rappelez-vous Viollet-le-Duc : « Restaurer un édifice, ce n’est pas l’entretenir, le réparer ou le refaire, c’est le rétablir dans un état complet qui peut n’avoir jamais existé. » 2
Le chantier de fouille archéologique, mené par l’Inrap, s’est déroulé de juillet à mi-septembre 2023 pour documenter la construction et l’évolution de l’édifice dans ses remaniements successifs. De nombreuses traces de reprises ont été révélées, tout comme le rôle de certaines couches d’enduit qui bloquaient des surépaisseurs (chemisage) de murs. Les conclusions du rapport de fouilles sont impatiemment attendues. 3
Le projet de l’architecte en chef pour la mosquée historique vise à la conservation des matériaux en place, à la restauration des ouvertures et des couvertures, à la restitution du mur de la qibla de la façade nord, des sols anciens et des enduits. Le projet pour la mosquée contemporaine consiste en un aménagement et mise en valeur des espaces, il comprend la création d’une trémie dans la dalle en béton armé pour permettre au plus grand nombre de fidèles de suivre les prières de l’imam (communication de la salle de prières haute et de la salle de prières basse) Des galeries de circulation périphériques seraient créées, un mirhab serait aménagé et les zones d’ablution relocalisées.
Le chantier est rentré dans une phase active depuis la rentrée, malgré la permanence de l’occupation de l’édifice et l’impatience des fidèles. Si les déconstructions avancent vite, l’élan est freiné par la disponibilité des matériaux nécessitant des ajustements de prestations pour pallier l’absence de sable clair pour les couches d’enduit, de moellons de corail et de grès de plage (beach-rock) pour les remaillages de maçonnerie. S’ajoutent l‘absence de ressource en eau et les crises sociales qui désorganisent l’île en barrant les routes, paralysant ainsi l’activité4 .
Enfin, tout récemment, une profonde demande de modification du programme sur la partie contemporaine, a été demandée par les fidèles et relayée par le maître d’ouvrage, dont les conséquences sur le projet sont de nature à repartir sur de nouvelles études, un nouvel appel d’offre et un nouveau plan de financement.
…
À l’heure où nous mettons sous presse nous apprenons que le maire ne souhaite plus apporter au projet les modifications demandées par les fidèles (compte tenu des conséquences financières et calendaires).
Il souhaite, dans la mesure du possible, revenir au planning initial (ce qui semble difficile après quatre mois d’arrêt de chantier).
La suite au prochain prochain épisode…
Liens utiles
https://www.culture.gouv.fr/Regions/DAC-Mayotte/Les-actualites/Restauration-du-minaret-de-la-mosquee-de-Tsingoni
https://gatier.fr/projets/mosqu%C3%A9e-de-tsingoni-mayotte/
https://www.inrap.fr/la-mosquee-ancienne-de-tsingoni-mayotte-17366
https://www.facebook.com/watch/?v=687687222494357
https://www.youtube.com/watch?v=Y3Lbyk0YlmA