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Église de Port Villez (78). © S.L.
Église de Port Villez (78). © S.L.

Sorti diplômé architecte DPLG de l’École des beaux arts (rue Bonaparte Paris VI) en 1979 et CESHCMA (École de Chaillot) en 1995, après quelques années à travailler dans plusieurs agences parisiennes, puis chez OGER International (avec la construction de Palais en Arabie Saoudite), Serge Lifchitz s’intéressa aussi bien à l’urbanisme de Marne-la-Vallée qu’aux sites templiers et hospitaliers en Aveyron… Lauréat du concours AUE en 2006, il devint architecte des bâtiments de France. Aujourd’hui à la retraite, il revient pour la Pierre d’Angle sur sa carrière et son expérience d’ABF.

Serge Lifchitz, architecte des bâtiments de France de 2006 à 2020.

La Somme (2006-2009)

Premier poste, “semi”-découverte du métier ayant travaillé précédemment au SDAP de Paris et à la Conservation du Palais de Chaillot. Petit service au sein de la DRAC Picardie, logé dans le cadre d’un hôtel particulier d’Amiens.

Trajet Paris-Amiens quotidien, fatiguant, mais peu important au regard du plaisir d’exercer le métier d’ABF. Un découpage ouest-est du département avec ma chef de service afin que chacun ait un morceau de littoral. Je découvre les paysages de ce département et les souvenirs de la guerre de 14-18 qui l’avait tant impacté. La baie de Somme et le Crotoy, Abbeville, Saint Riquier et son Abbaye royale, La chapelle Saint-Esprit-de-Rue, Fort Mahon, station balnéaire née au XIXe siècle, et bien entendu la cathédrale Notre-Dame due notamment aux architectes Robert de Luzarches et Thomas de Cormont.

Souvenir d’une promenade dans le jardin d’un château dont j’ai perdu le nom, avec son propriétaire, bonheur d’être là et de penser « je suis au travail ». Cette sensation me rappelait une anecdote que nous avait confiée dans l’entre deux d’un cours à l’École de Chaillot, Jean-Claude Rochette ACMH, qui, à ses débuts, lors de l’une de ses tournées, dégustait un sandwich sur le bord d’une route avant l’un de ses rendez-vous de chantier, avec cette même sensation de plaisir intense de pratiquer un métier exaltant.
Dans ce petit service, en tant qu’ABF, je traitais les dossiers, de l’enregistrement à la rédaction de l’avis.

Premières rencontres avec les élus locaux et leurs réticences patrimoniales, notamment par manque de moyens financiers (La Somme est un département pauvre), mais aussi les problématiques du bâti local majoritairement en brique, et les travaux inadéquats (peinture sur la brique, isolation extérieure, menuiseries PVC), et comme ailleurs l’impact négatif paysagé des lotissements.

Après trois années passées dans ce département, je pris un autre poste dans les Yvelines.

Les Yvelines (2009-2018)

De la même manière que l’UDAP de la Somme, l’UDAP des Yvelines est logé au sein d’un monument historique, l’Hôtel de la Pompadour, construit en 1751 par l’architecte Jean Cailleteau dit “Lassurance”, hôtel malheureusement surhaussé au début du XXe siècle, situé tout près du château de Versailles, et qui abrita les protagonistes du traité de Versailles en 1919.

Dans ce lieu chargé d’histoire, le service composé de treize personnes est découpé en trois secteurs, plus celui du chef de service. Le service au complet comportait trois ABF en plus du chef de service, mais nous fûmes en réalité plus souvent deux.
Nouvelle découverte de ce grand département et de “mon” territoire situé sur la partie ouest/nord-ouest.

Ses élus, bien différents de ceux de la Somme, ses instances administratives et autres services de l’État.

Adaptation aux problématiques diverses du département et à ses “personnalités”. Grand contraste avec la Somme dans ce département riche économiquement et patrimonialement. Corrélativement, une partie des élus sont plus investis dans leur patrimoine communal, ne serait-ce qu’en maintenant ses qualités intrinsèques sans modifications drastiques.
Autre facette, convaincre les particuliers qui effectuent des travaux, à ce qu’ils se fassent de façon ad hoc, sans qu’ils considèrent les demandes de l’ABF comme (trop) contraignantes. Ici se trouve le cœur de ce beau métier ; faire comprendre au plus grand nombre que l’ABF n’est pas un censeur qui, au gré de ses “humeurs” distribue ses avis, mais que derrière chaque prescription ou avis défavorable, les choses sont pensées au travers de connaissances précises sur le bâti et les paysages, et qu’au travers de ses avis, l’ABF ne cherche qu’à en préserver leurs qualités, mais aussi leur interface.

Une grange à Tilly, au centre du village ; les propriétaires voulaient la raser pour construire une maison insipide, j’avais émis un avis défavorable, ils avaient fait un recours qui avait été rejeté. © S.L.

Un jour par semaine était consacré à recevoir les pétitionnaires dans leur diversité (particuliers, élus, architectes, entreprises…). Majoritairement ceux-ci prenaient rendez-vous à la suite de prescriptions qu’ils trouvaient trop contraignantes ou pour des avis défavorables. Les maître-mots de ces rencontres sont pédagogie et diplomatie, il convient de transmettre les connaissances nécessaires que l’interlocuteur ne possède pas et dont il a besoin pour comprendre l’avis et, enfin, la force de conviction nécessaire à cette mission de service public.

Extension contemporaine sur une maison à Viroflay qui avait fait l’objet d’un combat avec la mairie pour son acceptation. © S.L.

Lorsque l’on prend ainsi le temps d’explications détaillées, donc d’instruire son interlocuteur, les tensions voire les craintes de celui-ci (à cet égard, j’ai toujours été surpris du nombre de personnes, notamment des confrères architectes qui étaient apeurés en entrant dans mon bureau !) s’apaisent et un dialogue constructif peut se mettre en place. D’où l’idée que majoritairement les gens se font une idée réductrice de l’ABF comme d’un censeur. Il convient de rectifier cette image par une attitude compréhensive, pédagogique, ouverte et claire, tout en étant conscient que cet échange doit être gagnant gagnant.

Une autre partie de cette image est, qu’en tant qu’ABF, on représente l’État, on est un serviteur de l’État et qu’on se doit en conséquence d’en présenter le meilleur aspect dans l’ensemble des missions.

Apporter une touche d’humour quand on en a la capacité peut également ouvrir les esprits aux messages importants.

Il est par ailleurs nécessaire de prendre le temps pour certains projets, d’aller sur place une fois ceux-ci réalisés, afin de juger de la pertinence de l’intégration en rapport avec les prescriptions données et pouvoir “réajuster” celles-ci pour d’autres projets si nécessaire car il y a toujours à apprendre et à perfectionner.

Concernant la partie “patrimoine protégé” (cerise sur le gâteau), c’est toujours avec un plaisir infini que l’on prodigue conseils aux propriétaires qu’ils soient élus ou privés. Plaisir toujours renouvelé de visiter ces édifices, de passer sur les chantiers, de discuter avec les compagnons.

Restauration des couvertures du château de Thoiry. © S.L.

L’Essonne (2018-2020)

Une page se tourne, une autre s’ouvre ; de nouveau un contraste. Après l’opulence caractéristique des Yvelines, découverte d’un département aux moyens financiers bien moindres. Département coupé du nord au sud par trois axes majeurs (N20, A6, A10) d’où une réelle difficulté de circulation impliquant des temps de déplacement conséquents lorsque l’on doit se rendre à des réunions dans des communes éloignées. Constatation de l’état de délabrement préoccupant d’une grande partie du patrimoine de ce département.

Cela démontre, s’il était nécessaire, la grande disparité d’un département à l’autre concernant l’état du patrimoine, mais aussi de ses routes et paysages.

Constater la hideuse cicatrice créée par la N20 (ancienne voie royale menant à Étampes !) constellée de casses automobiles, cela demanderait un réveil des communes concernées mais également du Département et de la Région afin de lui rendre un aspect plus digne. Comment des départements tels que celui-ci, qui souhaitent attirer une population de classes moyennes supérieures, ne prennent-ils pas conscience de l’intérêt majeur à la requalification de telles infrastructures, mais aussi de la mise en valeur du patrimoine local, au-delà de la mise en vitrine d’un ou deux éléments “prestigieux” au détriment du reste !

C’est ici également que l’action de l’ABF prend tout son sens, être une force de propositions, une aide majeure au service des communes et des particuliers afin de présenter et de mettre en valeur nos ouvrages bâtis et paysagers, sources de richesses pour notre pays et ses habitants.

Quel plus beau métier que celui d’ABF ? Si riche de contacts et découvertes toujours renouvelées, un métier “hors du temps” puisqu’il en est l’accompagnateur.