Habitation Belleville - Restauration de la sucrerie et du moulin

Vue d’ensemble de la sucrerie. L’eau s’écoulait par la masse-à-canal (à droite) puis franchissait le chemin par une coulisse (à reconstruire) qui remplissait les godets de la roue du moulin faisant tourner le broyeur de cannes. Le vesou (le jus) était chauffé dans la sucrerie (à gauche de la photographie). © ???
Vue d’ensemble de la sucrerie. L’eau s’écoulait par la masse-à-canal (à droite) puis franchissait le chemin par une coulisse (à reconstruire) qui remplissait les godets de la roue du moulin faisant tourner le broyeur de cannes. Le vesou (le jus) était chauffé dans la sucrerie (à gauche de la photographie). © ???

L’Habitation Belleville, l’une des premières sucreries de Guadeloupe, permet de bien comprendre l’évolution des techniques sucrières. De plus, dans cette exploitation agricole, une production variée s’est développée au cours du temps, le sucre bien sûr, mais aussi le café, le manioc, le rhum et la banane entre autres. Mais aussi, et surtout, c’est un témoin important de l’histoire de la Guadeloupe : les pratiques agricoles anciennes, l’esclavage et la Révolution française.

C’est Cardin Loysel qui crée vers 1685 une sucrerie sur le modèle décrit par le Père Labat. À son décès, en 1728, elle est achetée par Jean-Baptiste Thirus de Pautrizel. Il fait construire la cheminée qui, par son tirage, permet d’utiliser un foyer unique. Son fils reprend la direction de l’habitation tout en poursuivant une brillante carrière militaire. Le petit-fils, qui reprend les rênes de l’exploitation, porte le même prénom que son père et son grand-père. Il joue un rôle important dans la Révolution française en Guadeloupe puis en métropole.

La période révolutionnaire est marquée par des destructions, pillages et incendies. Une des filles du grand père Pautrizel, veuve de Gaspard Belleville, devient en 1807 propriétaire de l’habitation en grande partie en ruine. À sa mort, en 1823, son fils hérite d’une grande maison restaurée, d’une digue et d’un réservoir nouvellement construits. À partir de 1836, la concurrence du sucre de betterave provoque le déclin de la production de sucre aux Antilles. De gros dégâts sont causés par les séismes de 1843 et 1851 et par le cyclone de 1865. À la fin du XIXe siècle et au début du XXe, plusieurs propriétaires se succèdent et la propriété est démembrée par la vente de nombreuses parcelles. La production est réduite à celle du rhum jusque vers 1950, parallèlement à la culture de la banane, culture que poursuivra, à partir de son achat en 1968, le père du propriétaire actuel.

Il y a un peu plus de dix ans, des travaux d’urgence ont été menés sur la cheminée qui menaçait de s’effondrer. Cela a permis la prise de conscience de l’intérêt du site : nous étions en présence de ruines, certes, mais tous les éléments permettant de reconstituer le fonctionnement de l’ancienne sucrerie étaient en place.

S’est alors présentée l’idée d’une restauration complète, allant jusqu’à la possibilité de faire fonctionner à nouveau la sucrerie et de produire du sucre à titre de démonstration.

Le Docteur Lacrosse, propriétaire du site, a donc lancé le projet de classement. Le projet initial de protection au titre des Monuments historiques ne concernait que la sucrerie et le moulin. Il a été étendu fort justement lors de la procédure de classement à l’ensemble des éléments liés à son histoire et à son fonctionnement.

En 1976, les services des Monuments historiques ont été créés aux Antilles. Quelques années plus tard, une équipe a été constituée pour assurer la maîtrise d’œuvre du patrimoine nouvellement protégé au titre des Monuments historiques. C’est cette même équipe pionnière qui est maître d’œuvre sur ce chantier. Et c’est, sur ce site, qu’elle effectuera ses dernières missions.

Les entreprises TERH Caraïbes et COALYS Guadeloupe, chargées de ce chantier exceptionnel, l’ont abordé avec enthousiasme et dynamisme.

La roue à godets reconstruite à partir de son âme en fonte. © ???

Les travaux qui se sont déroulés d’octobre 2022 à décembre 2023 ont concerné la restauration de la sucrerie et du moulin de l’Habitation Belleville à Trois-Rivières, à partir des vestiges consolidés et complétés.

Le programme du maître de l’ouvrage privé était la remise en fonctionnement de l’installation préindustrielle de fabrication du sucre en vue d’une présentation au public. Le parti que nous avons retenu a été de remettre les témoins historiques en situation et de faire comprendre l’organisation générale de la sucrerie avec ses chaudières et son moulin en état de fonctionnement. L’équipage a été restauré et son moulin a retrouvé sa roue à godets reliée au broyeur de cannes réparé pour pouvoir tourner. Les volumes des bâtiments abritant les installations ont été restitués.

Les roues dentées du moulin actionnant les roles ??? du broyeur de cannes. © ???
La chaufferie couverte en tuiles écailles et sa cheminée. © ???

Pour protéger les installations techniques et les vestiges, les toitures ont été reconstruites avec leur charpente en bois de moabi et leur couverture en essentes de wapa refendu. La chaufferie en appentis qui était exposée aux risques d’incendie était couverte en tuiles écaille. Cette disposition a été respectée conformément aux descriptions anciennes. Les maçonneries de l’ancienne distillerie accolée à la sucrerie qui nous étaient parvenues à l’état de ruine ont été restaurées sans restitution de toiture, les équipements techniques, alambic et colonne de distillation ayant disparu.

L’intérieur de la sucrerie et sa charpente en moabi. © ???
L’équipage des quatre chaudières permettant au vesou de canne de se transformer en mélasse jusqu’à la cristallisation en sucre. © ???.

L’équipage de la sucrerie, constitué des quatre chaudières anciennes, qui est au cœur de l’installation a été restauré avec ses euvages ??? en briques et ses compartiments en bois. Cette installation permettait la chauffe et la cristallisation progressive du vesou transformé en sucre. Les quatre chaudières ont été conservées et réparées selon un protocole résistant à la chauffe (nettoyage, mastic polyester époxy, Soudal, pâte d’étanchéité à base de silicate de sodium résistant jusqu’à 1 500° C).

Le bâtiment du moulin a été couvert en essentes de wapa refendu. Son pignon exposé à l’eau de la roue et aux vents dominants a été protégé par un bardage avec essentage en wapa refendu et des bardelis couvrant les bois de rive. Le broyeur de cannes en fonte a été réparé et complété par des pièces neuves, coulées en fonte de fer et en bronze permettant sa remise en fonctionnement.

Le bâtiment de la sucrerie couvert en essentes de wapa. © ???

La roue à godets en bois a été restituée ainsi que les roues dentées d’entraînement du broyeur avec ses maçonneries de support et son canal de fuite.

La roue qui possédait encore son axe et sa partie centrale en fonte a été complétée avec ses ouvrages en bois (bras formant les rayons, jantilles formant les planches de rives en bois dur de muriacataria et godets en planches de bois résineux traités classe 4).

Lors des travaux, nous avons retrouvé deux chaudières scellées dans le sol de la sucrerie en face de l’équipage avec leurs euvages ??? en pierres. Celles-ci servaient sans doute à la décantation du vesou. La restauration des maçonneries a permis d’identifier les briques estampées nous renseignant sur la provenance métropolitaine des briques réfractaires :

  • Brique rose locale (5x10x21 cm) : « A. BON et Cie - GUADELOUPE »
  • Briques réfractaires blanches « Pierre DESOU…. A LANGEAIS », probablement Pierre Desouches-Blottin et « G. BEAUGÉ à LANGEAIS ».

L’examen des éléments en fonte nous a donné la marque de provenance du broyeur de cannes : « TREFFRY and CO - ENGINEERS LONDON » montrant les relations qui existaient entre les habitants sucriers de la colonie et les industries anglaises naissantes au XIXe siècle.

La sucrerie et le moulin ayant retrouvé leur aspect d’origine, il reste à remettre en fonctionnement la roue du moulin. La restauration de l’aqueduc et de la masse-à-canal qui amenaient l’eau dans les godets de la roue est la prochaine étape de cette opération qui concernera également le hangar voisin et les cases des travailleurs qui lui sont accolées.

L’apport pédagogique du domaine ainsi rénové est évident. Outre son très grand intérêt historique, ce projet permet également de mettre en valeur le caractère exceptionnel de la préservation d’une zone naturelle de grand intérêt archéologique, zoologique et botanique dans un environnement à forte tension foncière. C’est aussi un bel exemple d’utilisation d’une énergie propre, l’énergie hydraulique.

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