Transformer pour améliorer l’habitabilité des milieux : vers un écosystème du prendre soin ? 1/2

Photo de Paris depuis la toiture-terrasse de l’hôpital Beaujon, Clichy. © Lila Bonneau.
Photo de Paris depuis la toiture-terrasse de l’hôpital Beaujon, Clichy. © Lila Bonneau.

Ce titre implique deux notions : le prendre soin1 et la transformation de l’existant. Face aux crises actuelles, le prendre soin se rapporte au vivant, mais également à notre environnement, qu’il soit naturel ou bâti. En 1946, Urbain Cassan, architecte et urbaniste du XXe siècle écrivait à ce sujet : *« Si le milieu agit sur l’individu, l’être humain a eu et a toujours une influence considérable sur ce milieu. Ainsi, par ce principe de connexité qui fait se répercuter sur lui les conséquences de ses propres actes, l’homme peut être un facteur de sa propre évolution physiologique et psychologique, donc être l’artisan aveugle ou éclairé de son malheur ou de son bonheur. »2

« Nous savions qu’entreprendre le sauvetage du patrimoine artistique et de la beauté du Pays n’est pas une fantaisie de dilettante car, […] une telle action coïncide par bonheur avec la recherche du mieux physiologique, psychique et social de ses habitants. »3

À ce titre, l’attitude la plus durable ne serait-elle pas, dans une certaine mesure, de permettre au “déjà-là” de perdurer ? Alors comment préserver l’existant et le transformer en “conscience” tout en promouvant une meilleure habitabilité des milieux de vie ? Enfin, comment permettre aux lieux qui ont contribué à la santé de nos populations de subsister à travers les siècles ?

Photo de l’hôpital Max Fourestier, Cash à Nanterre. © Lila Bonneau.

Les objectifs ne sont pas seulement ceux de la conservation, mais de la transformation, afin d’améliorer la qualité de vie des populations, tout en étant attentif à l’histoire, à la mémoire et à l’environnement.

Ces recherches structurent les enjeux de la transformation d’un lieu de soins en trois grandes parties : « Lecture historique et architecturale : vers une mémoire construite », « Décalogue d’un site hospitalier : valeurs et potentialités » et « Positionnement face aux sites existants ». Ces points seront exemplifiés à travers six études de cas de parcelles hospitalières en Île-de-France. Il s’agit de l’hôpital Sainte-Anne à Paris (1867), de l’hôpital Max Fourestier, CASH, à Nanterre (1886), de l’hôpital Esquirol à Saint-Maurice (1886), de l’hôpital Beaujon à Clichy (1935), ainsi que des hôpitaux Raymond Poincaré à Garches (1936 entre autres) et Bichat Claude-Bernard (1905-1979) à Paris.

Lecture historique et architecturale, vers une mémoire construite

Revenir sur l’origine des établissements de soins, tant d’un point de vue architectural, que fonctionnel, médical, sociétal, voire urbain et paysager permet de déceler les composants qui ont accompagné la conception et la réalisation des parcelles sanitaires en leurs temps.

À chaque époque, les innovations sont multiples et conséquentes ; la conception des lieux de soins démontre une grande ingéniosité dans la relation entre le programme et la réponse architecturale appliquée grâce au dialogue interdisciplinaire instauré entre la maîtrise d’ouvrage et la maîtrise d’œuvre, considérant l’aménagement de l’espace comme un outil complémentaire à la guérison.

De plus, dans le cas des établissements de santé, étudier les transformations successives effectuées au fil des années permet de comprendre les interactions certaines entre les évolutions architecturales et les raisons associées d’ordre médical, législatif et technique.

L’analyse historique et architecturale vérifie également l’authenticité des sites et la réversibilité de chaque transformation. Se pencher sur la mémoire des lieux de soins permet de prendre la mesure du temps et des relations qu’entretiennent les usagers avec le lieu.

Ce travail apporte une nouvelle matière à la compréhension des milieux d’hier et d’aujourd’hui en lien avec la santé : milieux naturels, construits, économiques et sociaux4 .

« Décalogue » d’un site hospitalier : valeurs et potentialités

Suite aux différentes recherches effectuées sur ces sites hospitaliers, l’énoncé des dix points suivants représente, sans se vouloir exhaustif, les grandes caractéristiques et donc les valeurs5 et potentialités de l’architecture du soin dans le territoire francilien. Celles-ci questionnent les échelles spatiales (territoriales, urbaines, architecturales et du design) et temporelles (passé, présent, futur).

Les relations entre les sites et le grand paysage : iconicité et landmark

Les hôpitaux verticaux du XXe siècle, comme par exemple les établissements Beaujon et Bichat, sont des emblèmes de la santé et des points de repère dans le paysage du nord de la capitale.

Photo des hôpitaux Beaujon et Bichat depuis l’arc de Triomphe. © Lila Bonneau

L’hôpital et la ville : le traitement de l’enceinte et des accès

Pour des questions sécuritaires, tous les hôpitaux cités demeurent des enclos peu poreux, des quartiers de ville repliés sur eux-mêmes. Pourtant, ils restent des lieux de soins et de refuge de toute la population.

Les pleins/vides, les espaces de transition et la relation à la nature

Photo des balcons en demi-lune de l’hôpital Beaujon à Clichy. © Archives de l’AP-HP 3Fi3_2_Beaujon_Clichy_050.

Les parcelles dédiées aux soins, dont les hôpitaux de Saint-Maurice, de Garches et de Nanterre, attestent d’un très beau cadre paysager. Les espaces extérieurs sont hiérarchisés, du public au privé, du jardin, à la cour, au préau.

Photo du préau de l’hôpital Esquirol à Saint-Maurice. © Lila Bonneau.

Les espaces de transition ou de seuil entre l’intérieur et l’extérieur, comme par exemple, les galeries couvertes sont représentatives de l’architecture des établissements hygiénistes du XIXe siècle. Nous pouvons citer les hôpitaux Sainte-Anne et Esquirol. Les balcons et les solariums sont quant à eux des dispositifs architecturaux accompagnant les établissements sanitaires du XXe siècle et notamment l’hôpital Beaujon.

La composition à l’échelle de la parcelle et la typologie architecturale

Le travail de composition et d’implantation à l’échelle de la parcelle et la recherche typologique, dont les questions de gradation des programmes, d’intégration de l’architecture à son contexte et d’orientation, sont des enjeux majeurs de la conception hospitalière. Ils sont liés au confort et à la contribution thérapeutique de l’architecture. À travers les sites hospitaliers choisis, plusieurs typologies se distinguent : l’hôpital pavillonnaire en “peigne”, à “pavillon en peigne”, de grande hauteur “en double peigne” et l’hôpital socle-tour.

Parcours de soin et système de distribution

À l’intérieur des parcelles sanitaires, le parcours de soin constitue une véritable promenade architecturale. Les systèmes de distribution extérieure, comme par exemple, les galeries de l’hôpital Esquirol à Saint-Maurice, de l’hôpital Sainte-Anne à Paris et de l’hôpital Max Fourestier à Nanterre, les galeries souterraines (des hôpitaux Beaujon et Raymond Poincaré) et les circulations intérieures (verticales ou horizontales) demeurent des éléments de grande qualité, à explorer et à exploiter.

Photo de la cour de l’hôpital Raymond Poincaré à Garches. © Lila Bonneau.
Au XXe siècle, cette dernière est accompagnée d’une recherche d’optimisation du temps et des déplacements.

Structure et tectonique

La compréhension de la structure et de l’enveloppe, ainsi que la révélation de la tectonique des bâtiments, tout en considérant les problématiques de confort thermique, s’avèrent être des enjeux essentiels de la transformation. Par exemple, la structure poteau-poutre en béton de l’hôpital Beaujon permet une évolutivité des aménagements intérieurs de chaque plateau de l’immeuble de grande hauteur et les briques DIZY d’origine, particulièrement performantes d’un point de vue thermique, sont représentatives de son écriture architecturale.

Photo de l’hôpital Beaujon à Clichy en chantier (circa 1933). © Archives de l’AP-HP 3Fi3_2_Beaujon_Clichy_015.

Capacité et qualité spatiales

Face aux règles d’hygiène et d’aération des espaces, les établissements de soins offrent une grande générosité spatiale avec de grands volumes, notamment dans les dortoirs et les espaces d’accueil originels.

Le second œuvre

Le travail d’aménagement intérieur, de menuiserie, de serrurerie et de polychromie sont des points centraux au sein des projets dédiés à la santé. Ils permettent d’orienter les usagers dans l’espace et de s’adapter aux nécessités des services, c’est le cas de l’hôpital Beaujon.

Vue restituant (1935) un niveau de l’immeuble de grande hauteur de l’hôpital Beaujon à Clichy extraite de la modélisation 3D du site. © Maàpa architecture.

Le programme et la mémoire des soins

Au sein des établissements de soins, les valeurs d’usage, mémorielles, de solidarité, d’hospitalité et de bienfaisance sont le reflet de plusieurs générations de soignants, techniciens, patients, visiteurs et riverains.

Liens entre matériels et immatériels : valeurs de santé

La valeur de santé est particulièrement présente dans les lieux de soins, elle unit les valeurs matérielles et immatérielles des sites hospitaliers. Elle correspond aux innovations croisant l’aménagement de l’espace, qu’il soit architectural, urbain, paysager, de design et de santé, instaurées par la maîtrise d’œuvre et la maîtrise d’ouvrage, ayant comme objectif commun d’augmenter la chance de guérison des patients et de faciliter le travail des soignants.

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  1. La notion de « prendre soin » peut faire référence au terme care définit par Joan C. Tronto et Bérénice Fischer : « Au niveau le plus général, nous suggérons que le care soit considéré comme une activité générique qui comprend tout ce que nous faisons pour maintenir, perpétuer et réparer notre “monde”, en sorte que nous puissions y vivre aussi bien que possible. Ce monde comprend nos corps, nous-mêmes et notre environnement, tous éléments que nous cherchons à relier en un réseau complexe, en soutien à la vie », cité in FISCHER et TRONTO, 1991, p. 40 in TRONTO Joan C. « Du care », dans revue du Mauss 2008/2 (n°32).
  2. CASSAN Urbain, Hommes maisons paysages, Essai sur l’environnement humain, ‘Présences’, Librairie Plon, 1946, Paris.Page 25.
  3. Ibid,* postface.
  4. PEROUSE DE MONCLOS Jean-Marie, La monographie d’architecture, (En ligne), mis en ligne le 4 novembre 2019, consulté le 19 août 2021. HAL Id: hal-02346039 https://hal.archives-ouvertes.fr/hal-02346039
  5. Au-delà des valeurs d’ancienneté, de remémoration, entre autres, abordées par Alois Riegl.