Ce titre implique deux notions : le prendre soin1 et la transformation de l’existant. Face aux crises actuelles, le prendre soin se rapporte au vivant, mais également à notre environnement, qu’il soit naturel ou bâti. En 1946, Urbain Cassan, architecte et urbaniste du XXe siècle écrivait à ce sujet : *« Si le milieu agit sur l’individu, l’être humain a eu et a toujours une influence considérable sur ce milieu. Ainsi, par ce principe de connexité qui fait se répercuter sur lui les conséquences de ses propres actes, l’homme peut être un facteur de sa propre évolution physiologique et psychologique, donc être l’artisan aveugle ou éclairé de son malheur ou de son bonheur. »2
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Positionnement face aux sites existants
À travers ces dix points, l’observation approfondie d’un lieu de soins, complétée par la connaissance fine des nécessités médicales actuelles et des dispositifs architecturaux pouvant améliorer l’habitabilité des milieux et notamment le bien-être et la santé de nos populations, permet d’envisager ce que l’on garde, ce que l’on transforme, tout en prenant en compte notre héritage architectural, les mutations environnementales et les exigences actualisées du programme médical, qui a pour premier objectif d’habiter mieux, ici de soigner mieux.
Ayant pris le temps de procéder à ces analyses et de déceler les valeurs de ces sites, différentes manières d’intervenir se présentent 3 :
- la permanence de l’usage hospitalier à travers l’adaptation des lieux, la transformation de l’existant, soit la réhabilitation partielle ou totale.
- l’abandon ou la désaffection des sites et la libération de l’usage médical ; et donc la démolition et la reconversion partielle ou totale.
L’exploration préalable des valeurs d’usage4 demeure un point essentiel à la compréhension des lieux. En effet, nous aurions tendance à vouloir faire perdurer le programme originel pour lequel l’édifice est né, soit dans ce cas, l’usage médical.
Selon l’historien Aloïs Riegl5 , le maintien de cette valeur serait à privilégier sauf en cas de danger pour la santé physique des hommes6 . Ainsi, cela fait effectivement réfléchir lorsque l’édifice concerné est un établissement de soins à part entière et que ce dernier ne permet plus une sécurité maximale et un soin optimal pour ses usagers. La santé des hommes est donc engagée dans la discussion et demeure prioritaire. Dans ce cas, un juste équilibre serait donc à trouver afin de permettre à la valeur d’usage associée plus globalement aux notions de santé et du “prendre soin” de se prolonger, tout en intégrant les enjeux actuels sociétaux (sanitaires et environnementaux) et en trouvant des réponses adaptées aux exigences réglementaires dans le nouveau projet.
Si la permanence de l’usage originel ne peut se poursuivre et étant donné que de nombreuses valeurs immatérielles ont été transmises à travers ces lieux et les personnes qui le pratiquent quotidiennement ; comment pouvons-nous faire se perpétuer les valeurs intrinsèques et humanistes lors de la reconversion d’un site hospitalier ?
Quoi qu’il advienne du programme, la réhabilitation, voire la restructuration contribue à la pérennisation de l’architecture et devient un outil à la non-démolition et donc à la conservation7 des lieux. En effet, la politique de la table rase des années 1980 a laissé place à de nouvelles attitudes, dont celles de la déconstruction, du réemploi et de respect du “déjà-là” où les bâtiments existants peuvent devenir le socle du projet. Ainsi, il existe différentes interventions pouvant cohabiter dans le projet face à la transformation d’une partie ou d’un tout :
- préserver, voire restaurer, réparer ou consolider ;
- corriger ou améliorer ;
- régénérer, métamorphoser.
Synthèse et espérances
Pour conclure, ces recherches préopérationnelles mettent en évidence un engagement pour une cause commune, celle d’améliorer l’habitabilité des milieux de vie et la santé des populations, sans pour autant entrer dans l’amnésie d’une histoire architecturale, médicale, sociale et humaine portée par des milliers de personnes avant nous.
Il ne s’agit pas ici de donner une réponse unique, mais d’ouvrir le champ des possibles dans une optique de respect des sites sur lesquels nous travaillons. À cet égard, la recherche architecturale et historique permet de porter un regard attentif sur les lieux afin d’envisager des continuités et de tisser des liens à travers le temps.
Toutefois, l’hôpital n’est bien évidemment pas le seul lieu dédié à la santé. L’écosystème du soin se compose d’hôpitaux, mais également d’autres établissements. Ces derniers sont de plus en plus nombreux et de plus en plus spécialisés : les EHPAD, les centres de réadaptations, les centres de soins dédiés à la santé mentale, les maisons d’accueil pour épileptiques, les maisons de santé, etc.
Cela implique également la notion des parcours de soin à l’échelle de tout le territoire. Ils se doivent donc d’être rendus possibles grâce à l’aménagement des espaces publics, mais aussi domestiques, notamment face au développement de l’ambulatoire, des consultations à domicile, des téléconsultations et du vieillissement de la population.
Tous ces lieux, étant des déterminants de notre cadre de vie et donc de notre bien-être et de notre santé, s’inscriront comme notre patrimoine salutaire de demain.
Cette démarche, se souciant du vivant et de l’environnement naturel et bâti, s’ancre dans l’histoire, mais est portée vers l’avenir afin de promouvoir un écosystème humaniste et durable.
- La notion de « prendre soin » peut faire référence au terme care définit par Joan C. Tronto et Bérénice Fischer : « Au niveau le plus général, nous suggérons que le care soit considéré comme une activité générique qui comprend tout ce que nous faisons pour maintenir, perpétuer et réparer notre “monde”, en sorte que nous puissions y vivre aussi bien que possible. Ce monde comprend nos corps, nous-mêmes et notre environnement, tous éléments que nous cherchons à relier en un réseau complexe, en soutien à la vie », cité in FISCHER et TRONTO, 1991, p. 40 in TRONTO Joan C. « Du care », dans revue du Mauss 2008/2 (n°32). ↩
- CASSAN Urbain, Hommes maisons paysages, Essai sur l’environnement humain, ‘Présences’, Librairie Plon, 1946, Paris. Page 25 ↩
- AMSELLEM Guy, « Concilier l’éternel et l’éphémère », cité dans, RAMBERT Francis (sous la direction de), COLOMBET Martine, CARBONI Christine, Un bâtiment, combien de vies ? La transformation comme acte de création, Milan, La Cité de l’Architecture et du Patrimoine, Paris et Silvana Editorial, 2015, p. 7. « L’édifice connaît des cycles d’utilisation, à l’issue desquels s’offrent deux possibilités : (…) -la réhabilitation, qui consiste à améliorer un bâtiment parce que ses occupants ou ses usages ont évolué, sans toutefois modifier sa fonction essentielle ; (…) -la reconversion, qui résulte d’un changement dans la fonction essentielle de l’édifice et requiert une compatibilité fonctionnelle et symbolique du nouveau projet avec l’ancien. » ↩
- RIEGL Aloïs, Le culte moderne des monuments, Paris, Les Editions Allia, 2016. ↩
- Ibid. ↩
- Ibid, p. 75. ↩
- Définition de la conservation par ICOMOS, Déclaration d’engagement éthique des membres, Madrid, novembre 2002 : « On entend par conservation tous les processus d’entretien d’un lieu dans le but d’en conserver l’importance culturelle. Cela peut comprendre, selon les circonstances, les souvenirs et de significations, les processus de maintenance, de préservation, de restauration, de reconstitution, d’adaptation et d’interprétation et implique le plus souvent une association de plusieurs de ces processus. ». ↩