La Guyane, département français du continent sud-américain, présente un territoire constitué d’un vaste couvert forestier équatorial, entre les fleuves Maroni à l’Ouest et Oyapock à l’Est. En 2007, une protection réglementaire est établie sur cette forêt, par la création du Parc national amazonien, pour une superficie couvrant 40% du territoire sur sa moitié sud.
Propos reccueillis auprès de Gwladys Bernard, cheffe du service économie et agriculture durable à la Direction départementale des territoires de Mayenne. De 2006 à 2015, elle fut responsable de l’élaboration de la charte au sein du Parc amazonien de Guyane.
Le parc national amazonien
La zone de cœur du parc est très éloignée des zones de peuplements majoritaires du littoral, dans un secteur isolé, accessible uniquement par quelques aérodromes ou en remontant les fleuves, parfois pendant plusieurs jours de pirogue. Par exemple, le village de Trois-Sauts, à l’extrême sud du parc, est accessible en deux à trois jours de pirogue en saison humide, et reste quasiment inaccessible en saison des eaux les plus basses.
La zone d’adhésion borde cette zone de cœur, et sa protection, sans portée réglementaire, dépend de conventions d’application établies entre l’établissement public du Parc et les communes concernées.
La charte du Parc1
, validée par décret pris en Conseil d’État, synthétise les enjeux et orientations des zones de cœur et d’adhésion. Elle liste les actions à mettre en œuvre pour préserver, valoriser cet écosystème naturel et humain fragile et pour contribuer à un développement durable dans les zones de vie.
Une terre chargée d’histoire
D’un point de vue culturel, le territoire est parcouru depuis des millénaires par des peuples semi-nomades. Ces peuplements utilisaient historiquement les ressources naturelles à proximité du village le temps d’un établissement, puis changeaient d’endroit au bout de quelques années, permettant un renouvellement naturel de la ressource.
Ces populations sont issues de peuplements historiques divers : les populations amérindiennes qui précèdent l’arrivée des Européens au XVIe siècle ; les populations de « Noirs marrons », descendants d’esclaves africains aussi appelés Bushinengues2 , en particulier les Alukus du Suriname, réfugiés auprès des populations forestières ; ou encore les populations créoles ayant investi les secteurs forestiers pour l’orpaillage.
Dans les années 1970, la création de centres administratifs, comptant notamment des dispensaires et des écoles a contribué à un processus de sédentarisation. Les populations aujourd’hui sédentaires se trouvent confrontées à une raréfaction de la ressource naturelle à proximité des lieux d’habitation, que ce soit pour la chasse, la cueillette, la pêche ou encore les matériaux de construction.
Pour autant le patrimoine immatériel issu de ces influences reste très présent dans les localités de peuplement. Malgré le caractère périssable des matériaux de construction utilisés sous le climat équatorial, les observations permettent de dresser diverses typologies de constructions traditionnelles, selon l’influence dominante des populations associées3 .
Le village de Saül est représentatif d’une influence à dominante créole, avec ses maisons à gaulettes, c’est-à-dire faits de panneaux muraux tressés par un art de la vannerie vivace. On y trouve par ailleurs l’un des seuls monuments historiques classés de la zone amazonienne, l’église Saint-Antoine de Padoue.
Le programme de restauration des cases aluku de Loka4 , sur le fleuve Maroni, vise à la préservation de l’habitat traditionnel des Noirs marrons5 . Il s’agit d’un corpus d’habitation particulier étudié dès les années 20006 : une maison en bois, basse, dont la toiture à forte pente, avec son toit qui descend jusqu’au sol, laisse à voir un pignon triangulaire sur lequel la porte d’accès est ornée de motifs tembé7 gravés ou peints.
L’habitat traditionnel amérindien est une forme de construction très légère qui a laissé peu de traces. Les fouilles archéologiques sur différents sites de “montagne couronnée” -sorte de relief entouré d’un fossé au cœur de la forêt- mettent en évidence, entre tessons et polissoirs, les vestiges de constructions disparues, mais dont les poteaux ronds de bois ont été préservés en fondation.
Le lien intuitif entre ces vestiges et l’observation contemporaine des carbets collectifs Wayana8 semble attester d’une transmission de la connaissance et des savoir-faire autour de la construction et des matériaux : le tukusipan9 , construction de bois arrondie recouverte de feuilles de Waï -un palmier nain endogène de cette zone amazonienne- est un espace collectif traditionnel essentiel à la communauté. Il est ornementé d’un ciel de case, fait d’une tranche de racine de frangipanier ornée de peintures sacrées, et qui fait le lien entre la communauté et le monde des esprits protecteurs.
Préserver les ressources
L’objectif de la charte est donc de répondre à cet enjeu de préservation des savoir-faire dans un contexte où la matière est nécessairement périssable. Elle propose de cadrer les interactions entre l’homme et son environnement pour une gestion durable de la ressource. La notion de patrimoine immatériel est intimement liée à la culture constructive : la diversité des langues locales induit autant de termes spécifiques pour désigner les matériaux et les techniques, qu’il convient de comprendre et traduire, comme vous l’aurez déjà observé à la lecture de ce court article.
Elle répond également à l’enjeu de préservation des ressources à proximité de bassins de vie désormais sédentaires. La feuille de palmier Waï par exemple, qui est une espèce botanique assez récemment décrite et pourtant un matériau historique privilégié pour les couvertures traditionnelles, devient de plus en plus rare et fait l’objet d’un programme de recherche participatif intégrant les habitants, en vue d’identifier les populations Waï subsistantes et mieux comprendre leur expansion pour mieux gérer la ressource.
- Charte du Parc : https://www.parc-amazonien-guyane.fr/sites/parc-amazonien-guyane.fr/files/available_docs/charte_parc_amazonien_de_guyane_approuvee.pdf ↩
- Bushinengue est le nom utilisé en Guyane pour désigner l’ensemble des peuples descendants d’esclaves africains emmenés au Suriname pour travailler dans les plantations. https://fr.wikipedia.org/wiki/Bushinengue ↩
- https://www.parc-amazonien-guyane.fr/fr/des-connaissances/une-terre-chargee-dhistoire/patrimoine-culturel-materiel ↩
- Restaurer le patrimoine bâti de Boniville et Loka - https://www.parc-amazonien-guyane.fr/fr/des-actions/connaitre-et-sauvegarder-les-patrimoines-culturels/restaurer-le-patrimoine-bati-de ↩
- Noir marron et bushinengué sont des synonymes - Parmi les bushinengués, on compte plusieurs communautés, dont les alukus sur le territoire du parc. Les autres se situent dans d’autres secteurs : saramaka, djuka, paramaka…) ↩
- Marie-Pascale Mallé, « Les maisons des Noirs marrons de Guyane », In Situ (En ligne), 5 | 2004, mis en ligne le 19 avril 2012, consulté le 21 avril 2024. URL : http://journals.openedition.org/insitu/2373 ; DOI : https://doi.org/10.4000/insitu.2373 ↩
- Le tembé est un art noir-marron originaire de Guyane et du Suriname, particulièrement présent sur les fleuves Maroni, Tapanahoni et Suriname. - https://fr.wikipedia.org/wiki/Temb%C3%A9 ↩
- Le peuple Wayana est l’un des six peuples amérindiens vivant en Guyane, sur les rives du fleuve Maroni et de la rivière Tampok. https://fr.wikipedia.org/wiki/Wayana ↩
- Parc amazonien de Guyane - Connaître et sauvegarder les patrimoines culturels ; Construction de carbets traditionnels amérindiens - https://www.parc-amazonien-guyane.fr/fr/des-actions/connaitre-et-sauvegarder-les-patrimoines-culturels/construction-de-carbets-traditionnels ↩