Mayotte se transforme très vite ; ce passage, somme toute assez brutal, d’une organisation à une autre produit des choses étranges, mais inspirées, dans le style des constructions actuelles.
La transformation du pouvoir cadial, régi par des règles coutumières vers une administration de type hexagonale, nécessite toujours et nécessitera encore un temps d’adaptation, pour tous les habitants de l’île qu’ils soient Mahorais ou M’zoungou (le blanc).
Allez donc enregistrer une servitude monument historique quand l’origine de la propriété nécessite une recherche généalogique et lorsque le concept de nom patronymique est inconnu et que les parcelles, si elles existent, sont souvent non titrées.
Le shimahorais, l’une des deux langues parlées à Mayotte avec le Kibuchi, n’a pas d’équivalent pour le mot “patrimoine” et, pour cause, les biens immobiliers appartiennent aux femmes, ce que le père a légué est rarement une maison.
Département depuis peu, doté d’une Dac de plein exercice depuis encore moins longtemps, le territoire de Mayotte amorce sa mutation dans des conditions difficiles que la presse nous rappelle à chaque crise : de l’eau, de l’immigration, sociale, sismique.
Le pôle patrimoine de la Dac est constitué d’une personne sur place et d’un missionnaire prosélyte1 , cette pléiade traite les questions d’espaces protégés, de conservation des Monuments Historiques et de promotion de la qualité architecturale.
La collectivité unique n’est pas encore dotée d’un service de l’inventaire.
Mais il nous est possible de suivre l’évolution et de comprendre les tendances de la construction domestique actuelle par l’analyse des permis de construire déposés, quand le fundi maçon (le sachant) se donne la peine de les déposer et que le maire de la commune souhaite être vigilant sur les abords de son monument2 .
Notons que la plupart des individus construisent encore eux-mêmes leur habitation selon des règles et une organisation issues de traditions ancestrales d’entraide solidaire encadrée de fundis et de participation aux travaux d’intérêt commun : les habitants sont encore les architectes et les bâtisseurs principaux de l’île.
L’habitat a suivi ce changement brutal d’organisation sociale, politique et administratif : le dur est ostentatoire mais il semble que le modèle initial s’incarne encore dans une forme évoluée.
Au début était le Nyumba – Shanza… Le lieu d’habitation traditionnelle de la cellule familiale ; un enclos ceinturant la parcelle comprenant plusieurs volumes (banga pour les volumes à l’intérieur et nyumba pour le volume ouvert sur l’espace public) abritant différentes fonctions. Pour imager, cela pourrait ressembler à une grande maison dont les couloirs et le salon sont dehors et les pièces non mitoyennes3 .
La construction actuelle, elle aussi, a la forme de la parcelle comme la clôture du shanza. Le volume, lui, est créé par la translation verticale de la surface de la parcelle (comme un tiré-poussé à la sauce SketchUp4 ), la translation s’arrête au nombre d’étages où les moyens contraignent le maître d’ouvrage.
Seule la partie en relation avec la rue, le lieu privilégié de la conversation avec le passant, l’équivalent moderne de la baraza extérieure du nyumba, concentre tout l’ornement de la construction. Les poteaux, linteaux et rambardes en béton moulé, reprennent les références classiques des colonnes et chapiteaux des balustres et des motifs d’entrelacs pour les rambardes (dans une ostentation d’autant plus affirmée que le volume décoré est petit). Les références et la gamme sont riches mais la vente de modules préfabriqués (balustres et chapiteaux) ne permet pas un développement infini des formes.
À l’inverse, parce que devant s’adapter et être fabriqués sur place, j’accorderai pour ma part une mention spéciale pour l’originalité de la forme des linteaux, ces derniers rivalisent d’extravagance et d’inventivité.
Et l’on se plaît à penser que c’est le caractère non professionnel du constructeur et l’absence de contrôles et de normes qui permettent ce foisonnement de lignes courbes ou obliques dont aucune ne ressemble à ses voisines et dont la description du ferraillage donnerait des vertiges à ceux qui cherchent l’eurocode qui correspondrait.
Plutôt trop que trop peu, more is less.
- L’ABF de la Réunion est compétent sur ce territoire et intervient dans le cadre de missions. ↩
- D’après la Deal de Mayotte 90% des constructions domestiques se réalisent sans autorisations ↩
- Lire l’ouvrage Habitat Mahorais d’Attila Cheyssial, Bernard Chatain et Sylvia Frey republié aux édition Kiskanu en 2019 avec l’aide de la Dac de Mayotte ↩
- Un logiciel de modélisation 3D très utilisé par les architectes avec une commande “tiré poussé” qui permet de générer un volume par la translation d’une surface. ↩