Édito

Les jardins de l'habitation Saint-Étienne à la Martinique. © Jean-François Gertrude – UAP/CMH 972 .
Les jardins de l’habitation Saint-Étienne à la Martinique. © Jean-François Gertrude – UAP/CMH 972 .

Un patrimoine pour les outre-mer(s), ou comment regrouper deux notions difficiles à définir en elles-mêmes : alors que l’on peine à se mettre d’accord sur son orthographe, l’outre-mer, autrefois l’ancienne colonie, aujourd’hui l’au-delà de la métropole, couvre des territoires si diversifiés qu’il paraît presque incongru d’essayer d’en brosser un portrait collectif. L’entrée du patrimoine permet pourtant d’observer les singularités et les invariants de ces différentes cultures constructives, ancrées dans un climat qui est toujours loin d’être “tempéré”.

Les jardins de l’habitation Saint-Étienne à la Martinique. © Jean-François Gertrude – UAP/CMH 972

Le patrimoine de ces territoires procède d’une histoire qui se raconte comme une aventure, qu’elle soit relativement récente à La Réunion, territoire inhabité jusqu’au XVIIIe siècle, ou héritière des traditions séculaires du cœur de la forêt amazonienne en Guyane. Le voyage auquel nous invite ce numéro se veut riche en découvertes.

Pour commencer, laissons nos doctrines à la maison. À La Réunion, Étienne Bergdolt partage ses réflexions sur une approche de la restauration qui réhabilite le pastiche, l’éclectisme et l’hétéroclite. Il illustre ensuite son propos par une collection de linteaux à Mayotte. Il nous parle enfin de la restauration de l’une des plus anciennes mosquées de France à Tsingoni ;

Abdou Dahalani tourne notre regard vers le lagon mahorais pour nous parler de son patrimoine culturel maritime, partagé par de nombreux peuples de l’océan Indien, et dont la pirogue à balancier est emblématique ;

Philippe Cieren poursuit la réflexion sur un territoire du froid, à Saint-Pierre et Miquelon, où la déprise économique liée à la fin de l’activité de pêche met le patrimoine en danger. L’intérêt d’histoire et l’unicité de ces vies de marins du bout du monde ont conduit ces dernières décennies les pouvoirs publics à prendre plusieurs mesures de protection ;

En Guyane, Gwladys Bernard nous apprend que la gestion de la ressource constructive du palmier Waï est partie intégrante de la culture amazonienne, un temps oubliée, mais en passe d’être retrouvée avec l’appui du Parc national ;

En Guadeloupe, Jean-Michel Guibert décrit l’attachement à préserver et transmettre le patrimoine témoin du passé agro-industriel et esclavagiste de l’île à la sucrerie de l’habitation Belleville, avec un objectif pédagogique qui conduit à considérer le site industriel dans son ensemble, en intégrant les cases des esclaves ou encore le système hydraulique ;

Étienne Poncelet nous fait vivre la restitution de la silhouette historique de la cathédrale de Saint-Pierre, en Martinique, par le remontage de campaniles à lanternons sur les tours du massif d’entrée, selon son image de 1882, mais aux normes parasismiques actuelles ;

À Nouméa enfin, Dominique Rat et Nicolas Meite nous racontent comment un édifice iconique du XXe siècle créé par le maître Renzo Piano, le Centre culturel Tjibaou, importé de toute pièce et cependant si harmonieusement intégré dans son paysage écrin, devient un peu plus calédonien encore au fil de sa restauration.

Cette sélection sur l’outre-mer ne correspond certes pas à l’image première qui nous vient à l’esprit lorsqu’on évoque le patrimoine de la France, ni non plus à la carte postale d’une plage de cocotier. Il y a des histoires que l’on aurait parfois voulu oublier, d’autres que l’on oublie sans trop s’en rendre compte. Mais nos auteurs dépeignent un tableau riche d’idées nouvelles pour aborder sereinement les risques climatiques, les contraintes sismiques, la valorisation culturelle et les savoir-faire immatériels. L’âme et le souffle qu’évoque Maryse Condé.


Photo de couverture : Jardin du domaine d’Émeraude, à la Martinique. © Jean-François Gertrude – UAP/CMH 972.
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