En quatre-vingt-dix secondes, le 8 mai 1902, la ville de Saint-Pierre, capitale et évêché de la Martinique, disparaissait corps et biens, pulvérisée par la nuée ardente de la montagne Pelée. Sous le manteau de débris de la cathédrale est récupérée la cuve du maître-autel en marbre, envoyée au musée de Cluny à Paris. La commune renaît progressivement dans les années 1920 et reconstruit l’église du Mouillage en béton armé, en 1928, au même emplacement, réinsérant les parties basses de la façade d’entrée qui avaient résisté à l’éruption.
À partir des années 1980, l’intérêt pour le patrimoine fait resurgir des cendres les vestiges de l’ancienne capitale. C’est ainsi que nous avons participé avec les archéologues à la remise en lumière des ruines du quartier du Figuier, du théâtre, de l’église du Fort, de la chefferie du Génie et de la maison coloniale de santé. L’église Notre-Dame du Mouillage restait, quant à elle, dans son état des années Vingt, avec une silhouette inachevée et un béton incertain ne répondant plus aux normes parasismiques.
Suite à nos rapports et propositions de 1992 et devant la menace de fermeture de l’église, le diocèse nous commandait en 2006 une étude préliminaire, remise aussitôt en janvier 2007 avec un programme de réhabilitation et des propositions de restitution d’un état ancien d’avant l’éruption. Le débat restait ouvert entre l’amélioration de la reconstruction de 1928 ou la reconstruction du massif occidental selon son état de 1886, qui avait notre préférence.
Après une première tranche de travaux sur la nef et le chœur, restaurés à l’identique par l’architecte en chef Bortolussi, la Mairie a souhaité restituer l’édifice dans son état de cathédrale, avec la silhouette de son massif d’entrée tel qu’il existait en 1902. L’opération a pu bénéficier d’un partenariat entre le Fonds européen de développement régional (FEDER), la Collectivité territoriale de Martinique (CTM), la Direction des affaires culturelles (DAC), les mécènes et la Communauté d’agglomération du Pays Nord Martinique (CAP Nord), réduisant ainsi l’apport de la commune propriétaire et maître d’ouvrage à environ 5%. Retenue par concours, notre équipe de maîtrise d’œuvre était complétée par Philippe Machefer, économiste, et par le bureau d’études structure BIEB.
Les travaux se sont déroulés de juin 2021 à décembre 2023 et ont concerné les éléments suivants :
- La restitution du massif d’entrée dans son état de 1886 à partir des photographies d’avant 1902 et des témoins anciens.
- Le réaménagement des intérieurs avec restitution du maître-autel à partir des vestiges en marbre rescapés de 1902 et la réorganisation du chœur dans son état de cathédrale (cathèdre, stalles, chapelles, sacristies…).
Concernant le massif d’entrée, l’enjeu était de remonter à quarante mètres de haut, selon les conditions parasismiques actuelles, les tours jumelles surmontées de leurs campaniles à lanternons superposés encadrant le fronton classique dont l’amortissement doit être couronné par la statue dorée de Notre-Dame.
Le parti a consisté à purger les parties existantes de leurs ouvrages dangereux, à restaurer les parties en pierre d’andésite encore en place et à agrafer les parties neuves sur une structure métallique fondée sur des pieux vissés dans le tuf volcanique. Cette dernière opération a d’ailleurs été l’occasion d’une fouille préventive qui a révélé de nombreuses inhumations.
Sur la charpente métallique ainsi fondée, des plaques et des décors classiques en béton architectonique ont été agrafés avec des connecteurs noyés dans le béton au coulage. Les campaniles ont été réalisés en bois dur, bardés de planches à recouvrement selon l’usage antillais et leurs dômes à l’impériale couverts en écailles de cuivre étamé sommés de croix fleurdelysées en inox. Deux beffrois ont été créés pour recevoir le campanaire de 1928 complété par une cloche neuve permettant de redonner à l’ensemble son usage de carillon.
Les différents ouvrages, maçonnerie de pierre d’andésite, panneaux de béton architectonique et ouvrages en bois ont été peints en blanc pour redonner à la cathédrale son rôle d’amer face au mouillage de Saint-Pierre.
À l’intérieur, l’aménagement liturgique a été repensé autour du maître-autel historique complété en bois par ses gradins, tabernacle, monstrance et baldaquin peints en faux-marbre et orné de dorures à la feuille. L’archevêque pourra retrouver la cathèdre de sa cocathédrale, accompagnée des stalles des chanoines.
Un autel liturgique en bois reprenant les mêmes motifs que le maître-autel a été installé face au peuple accompagné par les pupitres de lecture et d’animation.
La nef de l’église a été rendue accessible aux personnes à mobilité réduite par des rampes longeant les chapelles latérales. L’une des fenêtres a été ornée comme pour une signature de notre temps par la création d’un vitrail aux armes de Monseigneur Macaire, l’actuel titulaire de la chaire de Saint-Pierre et Fort-de-France.
À l’extérieur, le parvis a été restauré, avec ses allées, ses murets, ses bassins et son dallage ancien restauré en dalles de Frontenac. Il restera à mettre en place le programme statuaire de la façade, Saint Jean-Baptiste et Saint Étienne dans les niches et Notre-Dame sur le fronton.
Cent vingt-deux ans après la catastrophe et un siècle après sa refondation, la ville de Saint-Pierre retrouve ainsi sa silhouette entre la mer des Antilles et les pentes verdoyantes de la montagne Pelée.