Les gares comme dénominateur commun

L’architecte italien Renzo Piano définit la densification urbaine comme une forme d’intensification et comme l’art de compléter la ville. Les lieux de transports, des contraintes décisives, des points de rencontre.

Les gares parisiennes permettent d’envisager la question de la densification sous des angles complémentaires. D’un côté, elles sont les figures d’une densité extrême. De l’autre, la reconstruction de sites ferroviaires désaffectés permet de faire muter des pans de territoires entiers et offre de nouvelles perspectives.

Intensification

Au croisement des parcours, les gares sont les vitrines de la croissance urbaine. Elles posent la densification, non comme une problématique ex nihilo, mais comme un état de fait. Dans la capitale, les lignes de métro se multiplient à mesure que le territoire de la métropole s’étend. Points d’interconnexion d’une ville souterraine tentaculaire, des stations aux ramifications de plus en plus nombreuses accueillent un nombre croissant de voyageurs. Leur densification permet d’intégrer de nouveaux programmes et, de ce fait, d’en diversifier les usages. Ainsi, à Paris, gare Saint-Lazare, l’aménagement d’une galerie commerçante et l’ouverture de la brasserie du chef Éric Frechon renouvellent les occasions d’aller en gare.

Dans ses travaux récents, David Mangin étudie certaines grandes stations de métro parisien qu’il qualifie de “mangroves urbaines”, étirant la ville entre sous-sol et surface. Il considère, par exemple, la continuité souterraine entre les stations Opéra et Saint-Lazare, et mesure son incidence : l’Opéra Garnier, les grands magasins et la gare Saint-Lazare apparaissent réunis en un seul et même système urbain complexe. Le dessin de ces lieux et l’analyse de leur constitution dans le temps les érigent en modèles. Icônes urbaines contemporaines, elles pourraient permettre d’anticiper les questions de demain et d’orienter le dessin des nouvelles gares, notamment celles du Grand Paris Express.

Transformations

À mesure que certaines gares se densifient, d’autres lieux de la mobilité ferroviaire sont frappés d’obsolescence. Qualifiés de zones blanches par Philippe Vassey dans son ouvrage, Un livre blanc, ils porteraient les promesses d’une ville incomplète. Leur vacance rendue poétique serait à même de stimuler la créativité de nos confrères. On pense bien sûr aux grandes emprises ferroviaires ; l’enjeu que représente leur transformation en zone dense a motivé plusieurs opérations d’envergure ces dernières années. Dans le XVIIe arrondissement parisien, le quartier Clichy-Batignolles, où deux anciennes zones logistiques ont fait place à un nouveau quartier autour d’un parc de dix hectares, est une belle illustration de reconquête de la ville sur le rail. Mais les emprises ferroviaires vacantes ne sont pas toutes des “zones blanches”, sur lesquelles il est possible de construire une ville de la tabula rasa. De nombreux bâtiments du fer hors d’usage présentent un intérêt patrimonial avéré. Leur détournement pour accueillir des manifestations artistiques et culturelles spontanées est un mécanisme bien connu. Si cette occupation permet de faire vivre ces lieux, elle comporte de nombreux désavantages : plus où moins licite, mal encadrée, elle peut être source d’insécurité et entraîner une dégradation du bâti. Aujourd’hui, la SNCF souhaite redonner vie à certains éléments de son parc immobilier en cours de réhabilitation. Lancé le 5 mai à la Cité de l’architecture et du patrimoine, le projet des « sites artistiques temporaires » a pris la forme d’un Appel à manifestation d’intérêt (AMI). Seize lieux, répartis sur tout le territoire national, sont mis en friche de façon officielle et ouverts à une occupation artistique et culturelle allant de quelques jours à plusieurs mois. Parmi eux figurent les cathédrales du rail de Saint-Denis, ancien atelier du matériel inscrit à l’inventaire des monuments historiques depuis 2003. Ou encore la Bagagerie de Beaulieu-sur-Mer, édifiée en 1885, face à l’Hôtel des Anglais.

Réunissant les collectivités et la société civile, ce projet revisite les mécanismes de la transformation. Un premier site pilote a été ouvert dans le XVIIIe arrondissement parisien, en contrebas de la rue Ordener. La réussite de l’opération en fait déjà une référence d’urbanisme participatif. En réunissant diverses activités ludiques dans un ancien dépôt SNCF le temps d’un été, Ground Control a transformé une friche obsolète en lieu de rencontre à la mode. À la croisée des parcours et au cœur des usages, théâtres des mutations urbaines, les bâtiments du fer mettent en relief la question de la densification. Traits d’union entre ville à venir et ville en devenir, ils réunissent sous un même vocable intensification et transformation.

Anne CHAPERON
architecte

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