Densifier ou maîtriser les localisations ?

La densification, un idéal qui mérite d’être discuté. La densification se justifie pour une large part en opposition à l’étalement. Or, les critiques faites à l’étalement sont souvent excessives. Un point sur le potentiel périurbain.

D’abord, certains géographes font des couronnes périurbaines qui entourent les villes des espaces pathologiques. Ils montrent le vote pour l’extrême-droite comme l’un des symptômes des maux qui rongeraient ces espaces. Pourtant, constitué pour l’essentiel de “villages” placés dans l’orbite d’une métropole, le périurbain est en quelque sorte l’incarnation de l’idéal de la ville à la campagne. Cet idéal formulé par Ebenezer Howard a traversé toute l’histoire de l’urbanisme au XXe siècle, tant du côté des culturalistes que des modernistes, pour reprendre la division de Françoise Choay.

Ensuite, les vertus de la densité urbaine pour la mobilité sont à tempérer. Des recherches récentes ont montré que, même si les habitants des centres des villes utilisent davantage les transports en commun ou la marche pour se déplacer, un rééquilibrage apparaît si l’on prend en compte la mobilité de longue distance et notamment les déplacements de loisirs. Globalement, l’avantage en termes de mobilité de la forte densité est moindre par rapport à ce que l’on pouvait penser il y a encore quelques années. Pour ce qui est de la consommation d’énergie dans le bâtiment, certes l’habitat individuel consomme plus d’énergie à type d’isolation équivalent, mais une forme d’adaptabilité et de flexibilité compense cette surconsommation. Là encore, l’avantage n’est pas aussi net qu’on n’a pu le penser. Enfin, les chiffres annonçont l’artificialisation de surfaces équivalentes à celles d’un département tous les sept ans semblent justifier des restrictions très fortes de l’urbanisation des terres agricoles ou naturelles. Pourtant, en supposant que toute la population française, y compris les habitants des grandes villes, décide d’habiter dans un environnement de type périurbain, on aboutit à une artificialisation de l’ordre de 11 à 12 %, alors qu’elle est de 9 % aujourd’hui. Cette augmentation n’est pas négligeable, mais elle n’est pas aussi spectaculaire qu’on le dit souvent : l’artificialisation n’est pas à proprement parler un problème quantitatif en France.

En réalité, le sujet n’est pas tant la densité que l’organisation de l’espace bâti. Ce n’est pas tant l’étalement du bâti (au sens de l’augmentation de la surface urbanisée par habitant) que l’émiettement des villes associé à la périurbanisation qui soulève des problèmes. Entre 1999 et 2010, on a observé un accroissement de près de 28,6 % de la superficie des couronnes périurbaines. Or, cet accroissement n’est pas une artificialisation. Environ 80 % de la superficie des communes périurbaines sont non bâtis. L’étalement est, en France, pour une large part fonctionnel : il s’effectue par l’intégration de noyaux déjà bâtis qui restent entourés d’espaces naturels ou agricoles. Avec la périurbanisation, la ville est émiettée.

Cet émiettement a un immense avantage du point de vue des habitants. Il offre une possibilité d’accéder à l’idéal du village dans la ville. Il a néanmoins des inconvénients. Le premier concerne la qualité architecturale et urbaine. Si, par exemple, mille maisons sont construites en continuité d’un pôle urbain, leur impact paysager sera relativement limité. En revanche, si ces mêmes maisons sont réparties dans cinquante villages, étagés sur des coteaux par exemple, l’impact paysager est très important. Cela permet de comprendre pourquoi les chiffres très alarmistes concernant les effets de l’artificialisation trouvent autant d’écho. En effet, l’émiettement de l’urbanisation donne un sentiment de marée pavillonnaire lorsque l’on se déplace autour des villes dans des espaces présumés ruraux.

À cela, s’ajoutent trois éléments. Premièrement, l’émiettement démultiplie les surfaces de contact entre l’agriculture et les territoires urbanisés, ce qui complique les relations entre l’agriculture et les activités urbaines. Ainsi, des tensions émergent fréquemment autour des circulations d’engins, de l’usage des engrais et produits chimiques, etc. Deuxièmement, avec l’émiettement, les infrastructures routières rendues nécessaires pour relier les noyaux d’urbanisation fragmentent et divisent l’espace rural. Elles font obstacle à la constitution de corridors écologiques et de trames vertes et bleues. Troisièmement, en étendant l’aire d’influence des villes, la périurbanisation renforce l’éloignement des ménages par rapport à un étalement en continuité d’un pôle urbain. Cet éloignement a d’importantes conséquences environnementales (en raison d’une consommation d’énergie accrue) et sociales (en raison de dépenses supplémentaires pour les déplacements). Bref, le problème est au moins autant la densité que la localisation des constructions nouvelles. Cette localisation dépend des documents d’urbanisme. Dans ce domaine, l’émiettement des villes reflète l’émiettement des pouvoirs d’urbanisme à l’échelle des communes. On parle certes beaucoup du PLU intercommunal. Cela étant, les communautés de commune en milieu périurbain représentent en moyenne dix communes, soit l’échelle d’un canton. On est loin de l’échelle métropolitaine.

Cet enjeu du contrôle des localisations est essentiel. Beaucoup d’experts considèrent qu’on devrait construire environ cinq cent mille logements par an en France. Imaginons que cet objectif soit atteint. Cela représenterait l’équivalent d’un tiers du parc actuel de résidences (principales et secondaires) en vingt-deux ans. Ces constructions se feraient en très large part dans le périurbain. Selon les endroits où elles seront localisées, les paysages des campagnes proches des villes seront très différents. Aujourd’hui, on parle de la métropole du Grand Paris et du Grand Lyon, mais on s’intéresse finalement assez peu au périurbain. Pourtant, ce dernier porte des enjeux essentiels en termes de qualité urbaine et paysagère et de production de logements nouveaux. Et, sur ce terrain, le problème est moins la maison individuelle que le lieu de sa construction. Il sera difficile de retirer leurs pouvoirs d’urbanisme aux maires, mais il existe des voies pour mieux coordonner l’urbanisation. Les progrès existent mais ils sont lents, faute sans doute d’une prise de conscience suffisante des enjeux. Focaliser sur la densification est malheureusement une manière d’éviter le débat sur ce sujet.

Éric CHARMES
Directeur de recherche, École nationale des travaux publics de l’État, Université de Lyon.

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