La Constitution italienne mentionne dans son article n° 9 : « la République protège le paysage et le patrimoine historique et artistique de la Nation […] promeut, dans l’intérêt des générations futures, le développement de la culture et la recherche scientifique et technique […] protège l’environnement, la biodiversité et les écosystèmes ».
Les biens culturels et les biens paysagers
Le Code des biens culturels et du paysage protège le patrimoine culturel, il précise qu’il est constitué de biens culturels et de biens paysagers.
Sont des biens culturels « les meubles et immeubles qui […] présentent un intérêt artistique, historique, archéologique, ethno-anthropologique, archivistique et bibliographique et autres […] témoignages ayant valeur de civilité » (art. 2).
La loi italienne établit deux systèmes de distinctions des biens culturels :
- les biens appartenant à des personnes physiques ou à des organismes à but lucratif, qui sont protégés après notification aux propriétaires d’une déclaration de leur intérêt culturel, par le ministère1 ;
- les biens appartenant à des institutions publiques ou privées sans but lucratif, y compris les institutions ecclésiastiques, qui sont protégés Ope Legis2 , jusqu’à la procédure de vérification de leur intérêt.
Sont des biens paysagers « les immeubles et les aires […] qui constituent l’expression des valeurs historiques, culturelles, naturelles, morphologiques et esthétiques du territoire… » (art. 2).
L’article 136 du susdit code liste les quatre catégories de biens paysagers :
- les immeubles qui ont d’importants caractères de beautés naturelles ;
- les villas, jardins et parcs, qui se distinguent par leur beauté hors du commun, et qui ne sont pas protégés en tant que biens culturels ;
- les ensembles d’immeubles ayant valeur esthétique et traditionnelle, y compris les centres historiques ;
- les panoramas, les points de vues, les belvédères, accessibles au public et depuis lesquels on peut profiter du spectacle de ces beautés ;
La protection de ces biens est soumise à une procédure administrative de niveau régional ou national, qui permet de déclarer leur intérêt public remarquable.
De la naissance de l’intérêt pour le patrimoine aux lois sur les patrimoines
L’intérêt pour le patrimoine, la conscience patrimoniale et la législation dans la matière, apparaissent bien avant la naissance de l’État italien (1861).
En effet, dès le XVIe siècle une bulle papale3 interdit de détruire ou d’endommager les antiquités et les ruines, tant publiques que privées.
Il faut attendre le XVIIIe siècle pour que l’intérêt pour le patrimoine devienne plus scientifique. De cette époque datent les fouilles archéologiques de Herculanum (1738), dont la publication a permis d’intégrer Herculanum, Naples et ses alentours, dans le Grand Tour. D’autres publications contribuent à susciter l’intérêt pour les antiquités, notamment L’histoire de l’art de l’antiquité, de Johan Joachim Winckelmann (1755) et Lettre à Miranda d’Antoine Chrysosthome Quatremère de Quincy (1796), dénonciation du pillage du patrimoine italien par Napoléon Bonaparte, pendant les campagnes d’Italie.
Au cours du XIXe siècle l’intérêt pour le patrimoine est conforté par les actions du Pape Pie VII. Il interdit de prélever les meubles et œuvres d’art dans les édifices religieux, de détruire ou détériorer les objets d’art et les monuments. Il limite les exportations d’œuvres d’art et crée l’administration du patrimoine artistique.
C’est au tout début du XXe siècle que, la conscience patrimoniale désormais acquise, l’État italien commence à légiférer sur le patrimoine.
La première loi en matière de protection du patrimoine culturel date de 19024 et a pour objectif la protection de monuments et objets de valeur artistique ou d’antiquité. Elle est suivie en 19225 par la première loi sur la protection du paysage, promue par Benedetto Croce, philosophe et ministre de l’Instruction publique, en charge des biens d’intérêt historique, artistique et paysager.
Ce premier bouquet de lois est concomitant des premières lois françaises pour la protection du patrimoine : la loi de 1887 sur le classement des biens immobiliers, la loi de 1906 organisant la protection des sites et monuments naturels de caractère artistique, celle de 1913 sur les monuments historiques et celle de 1930 sur la réorganisation de la protection des monuments naturels et des sites de caractère artistique, historique, scientifique, légendaire ou pittoresque.
Ces premières lois italiennes, améliorées et détaillées en 1939 par deux nouveaux textes -la loi n° 10896 , sur la protection des biens d’intérêts artistiques et historiques et la loi n° 1497, sur la protection des beautés naturelles- restent en vigueur pour près de soixante ans.
En 1999, le décret législatif n° 490, connu comme Texte unique des dispositions législatives en matière de biens culturels et paysagers, compile et organise les législations précédentes.
La décentralisation de 1988, introduit la distinction entre protection et mise en valeur du patrimoine ; ainsi le Texte unique est remplacé par le décret législatif n° 42 du 22 janvier 2004, plus connu comme le Code des biens culturels et du paysage. Il précise que le pouvoir législatif sur les biens culturels appartient en exclusivité à l’État ; sa mise en valeur appartient aux Régions.
Ce code s’appuie sur les lois précédentes et le travail sur la doctrine mené depuis plus d’un siècle, notamment sur l’ouvrage de Cesare Brandi Teoria del restauro, sur la convention UNESCO adoptée en 19727
et la charte UNESCO de 19878
.
Largement modifié en 2006 et 2008, ce Code intègre la réglementation des biens culturels et du paysage à l’échelle nationale et demeure aujourd’hui le texte de référence.
L’administration des biens culturels et paysagers
Au XIXe siècle, la protection du patrimoine artistique fut confiée à la Direction générale des musées et des fouilles de l’Antiquité, créée en 1875 au sein du ministère de l’Instruction publique. Mais la véritable naissance de l’administration réservée aux biens culturels date de la loi n° 386 du 27 juin 1907, qui crée au niveau central, le Conseil supérieur des antiquités et des beaux-arts, et au niveau périphérique, les Soprintendenze (surintendances) : archéologique, architecturale et du paysage, historique, artistique et ethno-anthropologique.
La distribution des Soprintendenze dépend des origines historiques de l’administration et de la richesse du patrimoine à protéger. Le système régional italien n’est pas uniforme. Dans les cinq des vingt régions ayant des conditions spéciales d’autonomie, la législation d’État en matière de biens culturels est applicable selon un critère supplétif9 .
Le ministère pour les Biens culturels et de l’Environnement (lire paysage) est créé par décret-loi en 1974.
L’actuel ministère de la Culture10 , suite à la réforme Franceschini de 201411 , se compose d’un secrétariat général et de douze directions générales, dont plusieurs s’occupent de biens culturels, notamment archéologie beaux-arts et paysage, musées, archives.
Au niveau périphérique, trente-neuf Soprintendenze Uniche regroupent les compétences des anciennes surintendances -archéologie, patrimoine historique et artistique, patrimoine architectural, patrimoine démo-ethno-anthropologique, paysage, etc…- elles sont dirigées par un surintendant unique.
Si l’on tente un parallèle avec le système français, les Soprintendenze uniques pourraient correspondre aux DRAC.
Comparaison entre les outils de protection et de gestion patrimoniales français et italiens
Dans la loi italienne, les œuvres dont les valeurs historique, artistique et culturelle sont avérées, peuvent faire l’objet d’un vincolo, soit d’une protection spécifique, comparable à celle au titre des monuments historiques en France, à condition que l’œuvre ait plus de cinquante ans, soixante-dix pour les immeubles, et que son auteur ne soit plus vivant.
Sont des immeubles, tous les biens qui, naturellement ou artificiellement, sont incorporés au sol, formant avec lui un corps unique, et ne peuvent être déplacés sans que leur intégrité en soit altérée.
Des centres historiques dans leur totalité, peuvent faire l’objet d’une protection à ce titre.
L’Italie compte un seul niveau de protection et non pas deux comme la France (classement et inscription)
Le périmètre de cinq cents mètres aux abords des monuments historiques en France est automatiquement institué par la protection du monument. Il peut ensuite être remplacé par un périmètre délimité des abords. En Italie, le Code prévoit la possibilité d’établir –au cas par cas- une zone de protection indirecte12
.
Dans ces périmètres, en Italie, « Le ministère a la faculté de prescrire les distances, les mesures et les règles visant à éviter de mettre en danger l’intégrité des biens culturels des immeubles ou à en endommager la perspective ou la lumière… ».
À titre d’exemple, une zone de protection est établie autour de l’ancienne ville de Paestum13
; elle interdit toute construction à l’intérieur du mur d’enceinte et soumet à autorisation administrative les modifications et extension des constructions existantes, dans les mille mètres à l’extérieur du mur d’enceinte.
On peut affirmer qu’en Italie, sauf cas particuliers, il n’y a pas d’abords de monuments historiques.
Les sites patrimoniaux remarquables (SPR), outils français de protection, de mise en valeur et de gestion du patrimoine à l’échelle urbaine voire paysagère, ont été institués par la loi relative à la liberté de la création, à l’architecture et au patrimoine (2016) ; ils sont l’héritage des secteurs sauvegardés introduits par la loi Malraux (1962) et des zones de protection du patrimoine architectural et urbain (loi de décentralisation, 1982), puis des zones de protection du patrimoine architectural et paysager (loi paysage, 1993) et des aires de mise en valeur de l’architecture et du patrimoine (2010).
Les sites patrimoniaux remarquables n’ont pas tout à fait d’équivalent en Italie.
Toutefois, il existe en Italie des outils de gestion proches des SPR français ; ils sont créés, approuvés et gérés exclusivement par les communes.
Les Sites
En Italie comme en France, les sites ont désormais une filiation directe avec la notion de paysage culturel et naturel, portée au niveau international par la Convention Unesco de 1972.
En France, les sites sont protégés au titre du code de l’environnement, par le ministère en charge de l’écologie. En Italie, les biens paysagers sont protégés au titre du code du patrimoine, par le ministère de la Culture.
L’État italien détient la compétence législative exclusive sur la protection du paysage ; toutefois sa mise en valeur, étant intimement liée à la gestion du territoire, relève de la compétence législative régionale. Par conséquent, les lois régionales détaillent, dans leur réglementation, les principes fondamentaux établis par la loi de l’État. Toutefois, la distinction entre protection et mise en valeur n’est pas toujours évidente.
Les régions, en collaboration avec les services déconcentrés du ministère de la culture, sont en charge de la planification liée aux biens culturels et paysagers, via le plan régional du paysage.
Toute modification ou transformation de ces biens est soumise à une autorisation administrative indépendante du permis de construire. Cette autorisation, qui est même une condition préalable au permis de construire, est délivrée par la Région ou, par délégation à une collectivité locale (province, municipalité) et est soumise à l’accord du surintendant.
En conclusion, au vu des outils italiens, si l’on cherche à faire un parallèle entre les services déconcentrés des ministères de la Culture français et italien, les services italiens qui gèrent le patrimoine historique artistique et architectural sont assimilables à la Conservation régionale des monuments historiques. Le service italien en charge du paysage, dont les centres historiques protégés, s’apparente à l’Unité départementale de l’architecture et du patrimoine.
- La vérification, comme la déclaration de l’intérêt culturel, sont du ressort du directeur régional, qui gère les services déconcentrés du ministère. ↩
- de manière automatique. ↩
- Bulle papale du 28 avril 1462, du pape Pie II. ↩
- Loi n° 185, à laquelle succède la loi n° 364 de 1909 sur les biens culturels. ↩
- Loi n° 778. ↩
- Il s’agit de la loi Bottai. ↩
- Convention du 6 novembre 1972 portant pour la protection du patrimoine mondial, culturel et naturel. ↩
- Charte internationale pour la sauvegarde des villes historiques (Charte de Washington). ↩
- Soit quand il manque une législation autonome différente. ↩
- À la suite de nombreux changements de dénomination et de portefeuilles, le Ministero per i Beni e le Attivité Culturali e per il Turismo, est renommé Ministero della Cultura en 2021, à l’occasion d’une réforme qui voit la création d’un ministère du Tourisme ad hoc. ↩
- L’actuel Ministero della Cultura en 2014, au moment de la Riforma Franceschini, prend le nom de Ministero per il Beni e le Attività Culturali et per il Turismo (MIBACT). ↩
- zona di tutela indiretta, servitude introduite par la loi n° 1089 de 1939, art. n° 45. ↩
- Cette servitude a été imposée exceptionnellement en 1957 à Paestum, par loi spéciale et non pas par acte administratif. ↩