La restauration selon les règles de l’art des bétons de l’église Sainte-Suzanne (1925-1928) à Schaerbeek (Bruxelles)

L’église Sainte-Suzanne © Bastin & Evrard, urban.brussels, 2012
L’église Sainte-Suzanne © Bastin & Evrard, urban.brussels, 2012

Les bétons historiques souffrent régulièrement de pathologies provoquées par la corrosion des armatures en acier. La conservation de la matérialité et de l’historicité des bétons est un enjeu majeur dans les débats contemporains sur l’authenticité des matériaux et le respect du concept, entre protection cathodique et patch repair. La restauration récente de l’église Sainte-Suzanne (1925-28) à Schaerbeek propose une approche respectueuse sur mesure.

Les bétons de l’église Sainte-Suzanne

L’église Sainte-Suzanne restaurée. © G. Stegen, ARSIS 2019.

Construite par l’architecte Jean Combaz, l’église Sainte-Suzanne à Schaerbeek (Région bruxelloise) est la première à être entièrement coulée en béton armé en Belgique (1925-1928). D’inspiration Art Déco, les façades s’ouvrent de vitraux dans des claustras et présentent une variété de matériaux et de couleurs.

Soubassements en bossages de marbre rouge belge (identiques aux lambris à l’intérieur), des parements en grès schisteux, et, surtout, différents bétons :

  • du béton armé gris (ciment) coulé sur site, recouvert ou non d’un enduit (intérieur de la dalle de toiture, faces extérieures de la toiture, encadrements des claustras) ;
  • du béton armé coulé sur site recouvert d’un enduit rouge (éléments horizontaux, acrotères et haut de la tour), la finition en surface est similaire à une finition de pierre ciselée et bouchardée ;
  • du béton armé coulé sur site recouvert d’un enduit couleur crème (pierre artificielle) ;
  • du béton armé gris (ciment) préfabriqué ;
  • du béton armé rouge préfabriqué (colonnes) ;
  • du béton armé préfabriqué couleur crème (pierre artificielle) pour les claustras.

Classée comme monument en 2003, l’église avait déjà connu trois vagues de réparation par le passé. L’utilisation de mortiers hydrauliques datant de l’époque de la construction. Puis des réparations, il y a une cinquantaine d’années, localisées par leur armature. Dans les années 1990, des interventions à la résine d’époxy repérables par des débordements et jaunissements. En 2010, l’architecte Guido Stegen (bureau ARSIS) est chargé de la restauration. En concertation avec la Direction du patrimoine culturel d’urban.brussels (administration de la Région Bruxelles-Capitale en charge du patrimoine, de l’urbanisme et de rénovation urbaine), organe subsidiant à hauteur de 80 %, une stratégie de restauration est définie :

  • l’enlèvement et la réparation des parties non adhérentes, repoussées par la rouille expansive, sans décaper les parties carbonatées solides du béton ;
  • l’enlèvement et le remplacement des anciennes réparations devenues caduques et des résines époxy ;
  • la conservation par anode sacrificielle des encadrements des claustras, et de certains éléments horizontaux ;
  • la réparation locale en surface du béton apparent (patch repair) ;
  • la réparation locale du béton constructif non apparent (patch repair), suivi d’un enduit alcalin si compris dans l’expression architecturale d’origine ;
  • des injections de coulis hydrauliques alcalins autour des armatures dans les creux ;
  • les mortiers de réparation et les coulis d’injection sont chargés d’inhibiteurs de rouille ;
  • l’imprégnation par des inhibiteurs de rouille du substrat aux endroits des réparations locales.

Lors des discussions préalables, la solution technique d’une ré-alcalisation électro-chimique plus totale a été étudiée. Les recherches menées par l’architecte, l’entrepreneur et l’architecte de l’administration ont finalement opté pour l’approche plus économique mais également plus audacieuse du patch repair.

Le patch repair

Patchs coulés et coffrés. © G. Stegen, ARSIS 2017.

Afin de limiter le remplacement du substrat originel de l’épiderme, les patchs mortiers à liants lents et chargés d’inhibiteurs de rouille sont appliqués à la truelle. Le substrat est au préalable imprégné d’inhibiteurs de rouille afin d’éviter le phénomène du ring anode corrosion. Le mélange du patch doit tenir compte de nombreux facteurs : couleur, densité, porosité, facteur eau/ciment, vitesse de prise, conditions climatiques et plasticité, et fait l’objet de nombreux essais sur place. La finition ciselée et bouchardée des patchs est réalisée par des outils refaits à l’identique.

Le relief et la lasure d’origine. © G. Stegen, ARSIS 2010.
Restauration du relief dans un patch repair frais avec des outils refaits ad hoc. © G. Stegen, ARSIS 2016

Les claustras

Les claustras vitrés sont en béton architectonique qui imite la pierre blanche. Leurs sections ont été fabriquées en deux parties identiques symétriques (extérieur et intérieur) et présentent des creux dans le profilage périphérique pour l’armature de montage. La rouille expansive des armatures a produit de nombreuses ruptures dans les claustras ainsi que dans leurs encadrements.

État avant restauration. © G. Stegen, ARSIS 2010.

Les parties trop abîmées sont remplacées de leur moitié extérieure uniquement, laissant les vitraux en place dans la moitié intérieure.

Reconstitution de la moitié extérieure d’un claustra. © G. Stegen, ARSIS 2017

Les autres claustras bénéficient de réparations locales accompagnées d’une protection cathodique. L’intervention s’achève par l’injection dans les creux d’un mortier alcalin.

Injection de mortier alcalin pour remplir les vides et nids de gravier en contact avec les armatures. © G. Stegen, ARSIS 2017

Le remontage des superbes vitraux (peintre Simon Steger et maître verrier Jacques Colpaert, 1950-56) également restaurés termine cette phase de la restauration de l’extérieur.

Conclusion

La collaboration constructive entre les différents acteurs -maître d’œuvre, maître d’ouvrage, administration- illustre dans cette restauration exemplaire la nécessité de comparer différentes stratégies d’intervention au préalable. Seule une fine connaissance de la matière historique “béton” et de ses mises en œuvre permet un juste dialogue des valeurs patrimoniales entre les adeptes d’un remplacement à l’identique et ceux du patch repair. Cette restauration minutieuse, chirurgicale propose diverses techniques sur mesure ; elle démontre la compatibilité entre économie des moyens (coût total de cinq millions deux cent mille euros) et des matériaux (circuit court) et respect de la matérialité et des métiers traditionnels.

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