Les biens culturels et paysagers en Italie : de l’échelle architecturale à l’échelle paysagère

La *Serra Moresca* de la Villa Torlonia, vue de la source et détail du décor restauré. © Serena Volterra.
La Serra Moresca de la Villa Torlonia, vue de la source et détail du décor restauré. © Serena Volterra.

En Italie, le patrimoine culturel est régi par le décret-loi n. 42 du 22 janvier 2004, plus connu comme Codice dei beni culturali e del paesaggio, Code des biens culturels et du paysage. Ce décret-loi, est né de la nécessité de mettre en place un système de cadrage unique pour la conservation, la protection et la sauvegarde du patrimoine historique, culturel, artistique et paysager. Cette codification, rendue possible grâce à la collaboration entre l’État et les collectivités avec l’apport d’experts dont Salvatore Settis, a permis également d’harmoniser les exigences de protection avec les procédures administratives. Le Ministero della Cultura, est le ministère en charge de ces biens.

Article (adorablement) traduit par Samanta Deruvo, architecte des bâtiments de France

Les principes fondateurs du Code sont « la sauvegarde et la mise en valeur du patrimoine culturel, [afin de] préserver la mémoire de la Nation et de son territoire, et promouvoir le développement de la culture ». (art. 1)

Les moyens permettant la protection et la mise en valeur du patrimoine sont de type direct et indirect : mesures de protection et de conservation, limites à l’exportation et à l’aliénabilité, droit de préemption, règles sur les usages admissibles pour le bien, etc.

Le Code défini à l’article 29 les différentes mesures de conservation : « Par prévention, on entend l’ensemble des activités idoines à limiter les situations de risques liées au bien dans son contexte. Par entretien, on entend l’ensemble des activités et des interventions destinées au contrôle des conditions du bien culturel et au maintien de son intégrité, de son efficience fonctionnelle et de l’identité du bien et de ses parties. Par restauration, on entend l’intervention directe sur le bien au travers d’un ensemble complexe d’opérations finalisées à assurer l’intégrité matérielle et la sauvegarde du bien, la protection et la transmission de ses valeurs culturelles. Dans le cas de biens immeubles, situés dans les zones déclarées à risque sismique, la restauration comprend l’intervention d’amélioration structurelle. »

La gestion des biens

Pour toute intervention sur le patrimoine, le demandeur, outre l’obtention de l’autorisation de travaux habituelle (déclaration préalable, permis de construire, etc.), doit également obtenir une autorisation spécifique, au titre du “paysage”1 , délivrée par la Région, après obtention de l’accord de la Soprintendenza.

Dans certains territoires, particulièrement denses et sensibles, ont été mis en place des services locaux pour la protection, l’entretien, voire la restauration, et la mise en valeur du patrimoine ; c’est le cas pour Rome, où la densité du patrimoine culturel, ses caractéristiques et sa singularité -tout le centre historique à l’intérieur des murs d’Aurélien est inscrit sur la liste du patrimoine mondial de l’Unesco- a conduit à la création de la Sovraintendenza Capitolina. Elle a en charge les biens archéologiques, historiques, artistiques et monumentaux, propriété de Roma-Capitale. Cette Sovraintendenza a mis en place un outil de gestion idoine : « la Charte des Qualités », servitude annexée au Plan local d’urbanisme2 .

Les professionnels habilités à intervenir

Les interventions concernant la protection, la conservation, la valorisation et l’utilisation des biens culturels, sont confiées, selon le domaine, aux archéologues, archivistes, bibliothécaires, anthropologues, restaurateurs de biens culturels et leurs collaborateurs, experts en diagnostique et sciences de la technologie appliquées aux biens culturels, ou aux historiens de l’art ayant une formation spécifique, accompagnée d’une expérience professionnelle dans la matière.

L’organisme technique et opérationnel du ministère, spécialisé dans les domaines de la restauration et de la conservation, est l’Istituto Centrale del Restauro3 . Il compte en son sein historiens de l’art, archéologues, physiciens et experts dans les contrôles environnementaux, chimistes, biologistes, restaurateurs de matériaux.

L’Istituto Centrale del Restauro est en charge de la charte du risque du patrimoine, un système de banque de données qui atteste et repère la vulnérabilité du patrimoine monumental et archéologique. Elle recense les risques naturels et anthropiques, dans l’objectif de programmer les interventions et les protections du patrimoine à l’échelle nationale.

Concernant les édifices, le Decreto Regio4 n. 2537 du 23 octobre 1925, régit les professions de l’ingénieur et de l’architecte. Il précise, à l’article 52, que les travaux sur les constructions qui revêtent un caractère artistique, la restauration et la restitution, relèvent des missions de l’architecte exclusivement.

Les interventions structurelles relèvent indistinctement de l’architecte ou de l’ingénieur. Ces deux professions sont encadrées par leurs ordres respectifs.
Aucun autre diplôme ou qualification ne sont requis pour pouvoir assurer la maîtrise d’œuvre des biens protégés. Le diplôme des écoles de spécialisation en restauration des monuments, du paysage et des jardins historiques, est requis exclusivement pour intégrer la Soprintendenza.

Si les qualifications des professionnels habilités à intervenir dans les champs de l’archéologie, du mobilier, de la conservation et restauration architecturales sont définies et encadrées, il n’en est pas de même pour les qualifications concernant les interventions aux échelles urbaine et paysagère.

Toutefois, depuis plusieurs années, universités et écoles de spécialisation travaillent à la formation de professionnels compétents dans la restauration et la conservation des jardins historiques et du paysage.

La restauration et extension du grand magasin La Rinascente (2007-2017)

La façade externe de La Rinascente sur la via del Tritone. © Serena Volterra

Le projet, conduit par l’architecte belge Vincent Van Duysen, portait sur la restauration et l’extension sur cour du grand magasin La Rinascente, situé dans le centre historique de Rome.5 Pendant les travaux de restauration, des fouilles archéologiques ont mis en lumière les vestiges de thermes, domus romaines et quinze arcades de l’aqueduc Vergine, inauguré par Auguste en 19 av. J.-C.

La Soprintendenza est intervenue ici au titre du paysage urbain, les bâtiments existants n’étant pas protégés en tant qu’immeubles, mais situés dans une aire protégée au sein du Piano Paesaggistio de la Région du Latium.

Grâce aux échanges entre le porteur du projet, le maître d’œuvre et la Soprintendenza, ces découvertes sont devenues l’occasion pour expérimenter le dialogue entre vestiges anciens, immeubles plus récents et extensions contemporaines.

Il a été convenu de conserver et restaurer les immeubles sur rue et le petit immeuble sur cour -sorte de ´palais dans le palais– et de construire des extensions dans la cour, entre les bâtiments préexistants. Dans le sous-sol, on peut désormais admirer les quinze arcades de l’aqueduc Vergine qui ont fait l’objet d’une restauration en conservation.

Le bâtiment préservé de La Rinascente et le musée de l’aqueduc Vergine. © Serena Volterra.

Le projet de mise en valeur des vestiges archéologiques, conçu par Claudio Silvestrin et Giuliana Salmaso, permet de connaître l’histoire des vestiges et de leur découverte, et de comprendre la stratification historique des maçonneries ; grâce à la mise en place de projections, supports audiovisuels et supports de lecture.

La restauration de l’Augusteo et le réaménagement de la place Augusto Imperatore à Rome (2007-en cours)

Le mausolée d’Auguste et la place pendant les travaux. © Serena Volterra.

Le mausolée d’Auguste et a été construit en 28 après Jésus-Christ, pour servir de sépulture à Auguste et sa famille.

Fortifié par la famille Colonna au Moyen-Âge, puis dépouillé de ses marbres décoratifs, il a longtemps abrité un jardin et, au début du XXe siècle, est devenu un auditorium.

Pendant la période fasciste, l’auditorium et les constructions adossées au fil des années ont été démolis, afin de “libérer” le monument de la Rome antique. Une place a été aménagée au lieu des constructions démolies ; mais elle n’a jamais réussi à jouer son rôle de place, enfermée entre le quai du Tibre et l’axe dominant de la via del Corso.

En 2007, pendant la fermeture du mausolée durant de longues années, la Ville, propriétaire, a lancé d’une part une vaste campagne de fouilles archéologiques et de travaux et, d’autre part, un concours de maîtrise d’œuvre pour le réaménagement de la place, dont le lauréat a été le groupement conduit par l’architecte Francesco Cellini.
Le monument étant vincolato6 , le projet a fait l’objet d’échanges entre les Sopintendenze étatiques -archéologique et architecturale- la Sovraintendenza Capitolina et les services de la ville en charge de l’urbanisme.

La première tranche de travaux a consisté à mettre en sécurité des maçonneries par la technique du scuci et cuci7 , à déposer la végétation parasite, à mettre en valeur l’anneau extérieur du mausolée par la végétation qui, depuis un siècle, marque son aspect, à restaurer les diverses phases de construction et de restauration du mausolée.

Détails du mausolée d’Auguste. © Serena Volterra.

La seconde phase de travaux, en cours, concerne la mise aux normes d’accessibilité, restaurer et intégrer les revêtements de sol et la couverture de certains volumes.
Parallèlement, se poursuivent les travaux d’aménagement de la place, dont le projet a dû s’adapter au fur et à mesure des découvertes archéologiques. Les travaux du mausolée d’Auguste devraient prendre fin en décembre 2022.

Les travaux de restauration, mise en valeur et aménagement de la Serra Moresca à Rome (2007-2020)

La Serra Moresca de la Villa Torlonia, vue latérale et détail de la fenêtre restaurée. © Serena Volterra.

La Serra moresca, projetée vers 1839 par l’architecte vénitien Giuseppe Jappelli, fait partie de l’ensemble architectural de la Villa Torlonia, qui ne bénéficie pas de vincolo, soit de protection spécifique au titre du patrimoine. Elle a fait l’objet d’une opération de grande envergure, mise en place sous la direction technique et scientifique de la Sovraintendenza Capitolina et financée par Zètema Progetto Cultura8 .

Compte tenu de l’état de ruine de la serre et de l’objectif ambitieux de restauration et restitution scientifique du bien, le projet s’est appuyé sur une étude préalable très poussée, fondée sur des sources iconographiques et écrites, notamment la description des lieux par Giuseppe Checchetelli.

Le chantier de restauration, mise en valeur et réaménagement, s’est déroulé en deux phases : la première, entre 2007 et 2013, a consisté à consolider l’édifice, à assurer le clos et le couvert, à restaurer et restituer ses décors et notamment les verrières polychromes.

La deuxième phase, terminée en décembre 2021, a consisté à aménager la serre en musée et à restituer son jardin d’agrément, où ont été plantées des essences compatibles avec la vocation originelle du site : palmiers, agavés, ananas et aloès.

L’ensemble de la Villa Torlonia est aujourd’hui ouvert à la visite.

  1. Comme indiqué plus haut, par biens paysagers, l’on entend les immeubles et les sites.
  2. Piano Regolatore Generale.
  3. Institut central de la restauration.
  4. Décret royal.
  5. Le projet est situé à l’intérieur des murs d’Aurelien, entre les vie del Tritone et dei due Macelli.
  6. L’équivalente d’une protection au titre des monuments historiques en France.
  7. Par scuci et cuci l’on entend un remplacement “en tiroir”.
  8. Organisme appartenant à la Ville de Rome.
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