On sait combien le décalage est grand entre l’affirmation de la densité comme exigence collective pour le développement urbain et les transformations réelles des villes françaises durant ces dernières décennies. Le projet urbain majeur à venir que constitue le Grand Paris est-il à même de contredire ce constat ?
Rien n’est moins sûr tant paraît importante la distance entre l’effet mobilisateur produit par le recours à cette rhétorique de la densité pour installer le projet dans l’imaginaire collectif et les conditions mises en place aujourd’hui pour concrétiser cette perspective.
Les aménités pour rendre le projet du Grand Paris désirable
Si le projet du Grand Paris est aujourd’hui non seulement accepté mais “porté” par l’opinion publique métropolitaine, c’est qu’il s’est appuyé pour ce faire sur l’imaginaire de la ville dense. Plus exactement, il n’a pas présenté la densité comme objectif en tant que tel mais a mis en avant les aménités qui en constituent le corollaire. C’est le sens que l’on peut donner à l’adossement du projet sur la réalisation d’un métro souterrain en rocade en banlieue. Le propos est explicite : il s’agit avec ce métro d’offrir à la périphérie, aux banlieusards, le même mode de vie urbain que celui dont disposent les Parisiens, dans la ville centre. Le mot d’ordre du projet est en quelque sorte « la ville des courtes distances pour tous », la perspective d’une ville compacte où chacun sera en mesure de se déplacer en deux-roues et en transports communs de son domicile à son lieu de travail, l’activité se polarisant autour des gares du métro.
C’est ainsi, non pas la densité, mais les aménités qui lui sont associées qui ont rendu le projet du Grand Paris “désirable”, tant par les élus locaux que par la population.
Les impensés de la densification du Grand Paris
Le projet du Grand Paris n’a pas pour autant explicité les conditions de mise en œuvre de cette densification.
Comment densifier le “déjà dense” ?
Optimiser le coût de réalisation de cette infrastructure (le métro) exige d’assurer son “remplissage dans les deux sens”. Cela passe donc par une densification généralisée du territoire desservi par ce nouveau métro, à savoir la première couronne. C’est ce que les services de l’État ont prévu en proposant d’y concentrer plus de 40 % de la production annuelle de logements programmés pour l’Île-de-France (soixante dix mille logements par an). Problème : cette première couronne est déjà dense et cela reviendrait à accroître sa densité moyenne de l’ordre de 50 % et donc de disposer pour ce faire des 20 % de la superficie de cette couronne. D’où la question : « Peut-on densifier le déjà dense ? ».
Comment densifier la métropole avec des projets denses ?
Cette interrogation en suggère une seconde, symétrique. Pour amorcer cette densification, la puissance publique dispose d’un levier essentiel : la maîtrise potentielle du foncier autour des gares nouvelles. Mais, même si le nombre de ces dernières a été augmenté (une quarantaine), on peut s’interroger : la somme des opérations de densification localisées autour de chaque gare sera-t-elle en mesure d’enclencher une densification généralisée à l’échelle de la métropole ?
L’offre nouvelle de transports, facteur mécanique de densifcation ?
Le rôle d’une offre de transports collectifs, lourde et rapide, est à questionner. Dans la relation entre localisation de l’habitat, de l’activité et déplacements, on sait bien que les interactions sont complexes et que l’accroissement de la vitesse de déplacement produit moins un rapprochement du domicile au lieu de travail qu’une capacité inverse à les dissocier davantage. En connectant le métro en rocade sur les RER, on va autant, si ce n’est plus, accroître l’accessibilité de la seconde couronne, que favoriser les déplacements au sein de la première.
Un processus de réalisation autant qu’un projet
Quelles leçons tirer de ce constat paradoxal ? Puissance évocatrice de la ville dense et de ses aménités impensées quant aux modalités de sa réalisation. C’est la question des modes de faire, entre planification et projet, qui devient centrale.
On ne peut plus se contenter de décrire une image finie de la ville idéale, la ville compacte, pour en déduire par rétroplanning en quelque sorte les éléments de phasage programmatique (quatre lignes de métro, quarante gares, soixante dix mille logements par an, etc.). Il est plus que probable que les programmes réalisés évolueront et ne produiront pas l’image finale attendue. L’histoire des villes nouvelles en constitue la démonstration rétrospective.
Un système de transformation incrémental
ll faut davantage imaginer un processus de transformation incrémental, partant des réalités et contraintes de la ville existante, intégrant les incertitudes et les interactions entre les temporalités (l’impact de la phase 1 requestionnant le programme de la phase 2), et entre les territoires (première et deuxième couronnes, par exemple).
Et si l’on se focalisait moins sur l’idéal urbain, la ville dense, et davantage sur le processus de transformation nécessaire, c’est-à-dire la densification et les conditions de son effectivité ?
Daniel BEHAR
Géographe, professeur à l’École d’urbanisme de Paris (Université Paris Est) ; membre de l’AIGP et consultant à la coopérative Acadie.