De 1800 à 1968, Saint-Étienne, a connu un développement territorial et démographique
exceptionnel. Les houillères, la métallurgie, l’armurerie, la rubanerie et passementerie en ont été les moteurs.
Profil d’une ville en mutation.
L’extension s’organise dès 1791, sur un plan en damier, rationnel et classique, d’îlots rectangulaires qui suivent Un long axe nord-sud. Les îlots sont progressivement bâtis et, jusqu’en 1880, les nouveaux immeubles associés aux diverses activités et classes sociales, présentent une grande homogénéité constructive et d’aspect. Édifiés en moellons de grès houiller, ils composent un véritable catalogue typologique qui confère au paysage urbain une grande unité, une esthétique singulière et forte qui a longtemps été ignorée.
À partir de 1970, l’ensemble du territoire subit de graves crises industrielles, suivies de crises sociales et de chômage. Depuis, la restructuration des activités a été diffuse mais permanente et efficace grâce à la culture, à l’enseignement supérieur et au tissu très riche de PME créatives et innovantes. On observe cependant dans la même période une décroissance démographique très rapide : la ville perd cinquante-trois mille habitants en quarante ans avec aujourd’hui cent soixante-douze résidents. Les départs vers les communes limitrophes s’effectuent au détriment du centre, où l’on constate un niveau croissant de précarité, un vieillissement du bâti, la disparition du petit commerce et une tendance à la dépréciation des biens.
Ces indicateurs caractérisent les situations de déprise urbaine ; ils ne permettent cependant pas d’affirmer que l’agglomération soit dans une situation de “décroissance”, car cette tendance affecte surtout la ville historique. Elle n’en est pas moins préoccupante. Comment agir pour stopper ce phénomène et ralentir ses effets, sinon en améliorant les conditions d’habitat et le cadre de vie dans ces quartiers ? Comment préserver dans l’urbanité très riche, la mixité sociale et d’usages présente ici, sinon par un environnement plus adapté et attractif ?
AU début des années 70, les actions sur le centre portent sur la réhabilitation et sur quelques rares projets de “dédensification” et “requalification” d’îlots : il faut attendre 1992 et le projet « Saint-Étienne 2020 » pour que le principe d’une approche globale soit initié. Un nouveau plan de circulation, l’aménagement des espaces publics centraux, la création d’importants équipements culturels et une politique d’image et de patrimonialisation suivent ce premier diagnostic global.
Avec la création de Saint-Étienne Métropole (1995-2001), puis de l’Établissement public d’aménagement (EPASE-2007), les actions se muttiplient et changent d’échelle (programmations EPASE 1 et 2, ANRU 1 et 2, VSE), mais ces moyens ne stoppent pas ce phénomène de “rétrécissement” urbain. Malgré tous ces acteurs et projets, il manque un dispositif d’observation et de synthèse pour mesurer les effets des projets et avoir une stratégie globale dans la durée : les données sont claires mais les problématiques, les objectifs et les urgences pour agir sur la régénération des tissus anciens ne sont pas partagés. Dans ces situations où les investissements spéculatifs sont improbables, les méthodes et outils classiques des projets urbains sont vite inadaptés, une patrimonialisation excessive peut rapidement devenir contre-productive. Pour finir, nous proposons, en forme d’hypothèses et de réflexions, trois axes pour endiguer ce processus avant qu’il ne soit irréversible : dédensification du cadre bâti, redéfinition des typologies des voies et redéfinition du rapport ville-environnement.
Le centre-ville a une densité bâtie très élevée : la dédensification est la première condition pour offrir un cadre de vie convenable avec des espaces en pleine terre, des jardins, des vues, de l’ensoleillement. Elle nécessite une approche raisonnée de la déconstruction, aujourd’hui mal perçue car associée dans l’histoire à des stratégies d’exclusion sociale. Une dédensification positive permettra la requalification des tissus en articulant les dimensions architecturales, urbaines et ce patrimoine immatériel qu’est l’urbanité et la vie de quartier. Les politiques d’image doivent intégrer cette globalité. Le principe tacite d’un “permis de démolir pour un permis de construire” pourrait être élargi et affirmé, par un “permis de démolir pour un projet (architectural ou d’aménagement d’espaces)”.
Cette stratégie ouvrirait des possibilités avec la redéfinition des usages, des limites et de l’identification des lieux au sein des îlots. Des hypothèses sur les mécanismes et conditions économiques seraient à poser (défiscalisation foncière de longue durée des parcelles libérées) et à articuler avec les énergies associatives ou entrepreneuriales. Une redéfinition de la typologie des rues du centre, intégrant les nouveaux usages et pratiques urbaines, est un second levier qui oblige à penser une évolution de la mobilité et de la place de la voiture en ville. Le sujet est délicat mais les possibilités d’adaptation sont grandes et peuvent être progressives. Des exemples de gestion variés existent en Europe. Cette stratégie, en concertation avec la population, faciliterait la reconversion digne des rez-de-chaussée commerciaux vacants en habitations, par des mises à distance ou des frontages.
Enfin, cette régénération des tissus anciens doit intégrer les changements climatiques et de nouvelles relations entre la ville et l’environnement. L’évolution des densités, la réduction de l’emprise de l’automobile, l’émergence de nouveaux espaces en pleine terre, permettent de repenser la place de la nature, l’écologie urbaine, la réduction des effets d’îlots de chaleur, en orientant les aménagements vers des espaces plantés et perméables. Ne pourrait-on ainsi voir dans les problèmes graves de “perforation urbaine” une opportunité pour agir positivement sur la transformation de ce centre riche d’une forte urbanité et convivialité et le rendre plus désirable et durable ?
Jean-Michel DUTREUIL
Architecte - maître-assistant à l’École nationale supérieure d’architecture de Saint-Étienne.