L’École normale supérieure à Lyon

Mon premier objectif était de composer une véritable cité. On sait mon souci constant de donner à chaque fonction sa forme et de faire de chaque espace extérieur un lieu à vivre, C’est dire qu’avenue, parvis, grand jardin, cours et passages sont autant de pièces extérieures dans l’intime proximité des espaces intérieurs. Pleins et vides contribuent ainsi à la richesse et à la variété des différents lieux qui composent l’École et la résidence des élèves, organisées autour de cloîtres plantés.

Depuis le grand parvis effilé en triangle, on accède au vaste hall qui tient lieu de forum par l’intermédiaire d’un espace extérieur, tenu sur sa droite par le théâtre et sur sa gauche par une rampe projetée en figure de proue. Depuis le forum, on accède directement tant au bâtiment abritant l’administration qu’au théâtre. C’est également depuis cette longue galerie voûtée qu’on gagne à droite les ailes d’enseignement enroulées autour de trois cours et, à gauche, les ailes des laboratoires de recherche, espacées par des passages profonds ouverts sur le jardin. Le volume affecté au centre multimédia, à l’imprimerie et au studio de production est fiché au cœur de la composition directe avec les classes, dominant cours et bâtiments. Quant au gymnase, dans la proximité des salles de danse, il constitue un épanouissement des ailes d’enseignement. Les logements de fonction, trois petites maisons au nord sur la rue Bollier, prolongent la résidence ; les logements des chercheurs trouvent leur place dans une sorte de petit vaisseau qui tient l’angle de la rue Bollier et de l’avenue Jean Jaurès et qui tend le profil de l’école jusqu’au carrefour qu’elles constituent1 .

C’est à l’agencement complexe des volumes et à leur façon d’être ensemble qu’on doit une grande variété de lumière, mais aussi à des sortes de lanternes hautes, en forme de voûtains, qui la dispensent, ici et là, et notamment sur l’œuvre peinte de Rafols-Casamada.

Les couvertures sont tendues selon des arcs, les lignes de faîtage dessinent des vagues et des fenêtres se déploient en courbes, mais cette géométrie du curviligne n’en est pas moins alliée à celle de la droite. Tout cela dans un accord de pierre grise du Portugal, de toitures brillantes d’inox plombé et de murs blancs. Autant de concavités, de convexités, de surfaces rectilignes tendues sur lesquelles la lumière vient travailler ses intensités.

On aura compris qu’avec un programme aussi vaste, il m’était plus que jamais donné l’occasion de déployer des saillies, des retraits et des inflexions (non sans tenir l’alignement de l’avenue Jean Jaurès) que j’ai puisés dans les villes aux tracés rusés, comme Lyon riche de passages, de traboules, de places, de cours. Ne serait-ce pas dans celle de Philibert de l’Orme que j’aurais assisté à l’élancement d’arcs de maçonnerie si gracieux que l’architecture semble y vaincre la gravité ?

Ces mêmes grands arcs, ils se déploient dans le jardin, clairière étendue traversée d’un sillon d’herbe rase autour de laquelle tous les bâtiments sont conviés : l’école, la résidence, la bibliothèque et le restaurant (les deux derniers bâtiments sont l’œuvre de Bruno Gaudin).

« Entre la saturation ou le trop-plein et le négligé, l’architecture cherche un point d’équilibre. Ce que nous dit Henri Gaudin de cette école, c’est que ce point existe mais qu’il est un point mobile, une sorte de point lumineux, lucide, qui se déplace le long de lignes dont il explore et raconte la complexité et le raffinement. Devant cette école, on ressent qu’elle a été pensée sans hâte, qu’elle a été modelée, et voulue, non comme un seul geste définitif mais comme une structure de gestes suspendus, infinitifs, comme une chorégraphie de tensions.Et soudain, avant de repartir, on traîne un peu sur le parvis, en enviant ceux qui ont la chance (mais le savent-ils ?), d’étudier et d’enseigner là, dans cette architecture exacte, mesurée et subtile qui guide le pas sans jamais lui donner d’ordres et qui s’ouvre à l’espace sans rien y refermer ».

J’ai cité Jean-Christophe Bailly. C’est extrait d’un beau texte sur ce bâtiment dans Henri Gaudin, Naissance d’une forme2 . C’est bien d’ouverture qu’il s’agit dans l’architecture, de seuil, de passage, de traversée -de rendre légère la gravité.

Henri GAUDIN
architecte

  1. G3A a été mandataire du Grand Lyon, maître d’ouvrage de cette opération.
  2. Cet ouvrage paru aux éditions Norma est préfacé par JP. Le Dantec qui analyse le rôle de la lumière. Une postface d’Anne de Staël explicite la place majeure des dessins dans cette recherche d’architecture.
Dans le même dossier