L’origine du cristal au plomb remonte au XVIIe siècle en Angleterre. Les verriers, contraints d’utiliser du charbon comme combustible, changent les différents mélanges de la composition du verre, en utilisant l’oxyde de plomb comme fondant. Ils se trouvent en présence d’un matériau dont les qualités se rapprochent du célèbre cristalo vénitien. La formule est trouvée et les améliorations apportées aux dosages et à la qualité des produits vont assurer la notoriété d’une nouvelle matière, le cristal.
Était ainsi appelé cristal un verre qui contenait plus de 24 % d’oxyde de plomb1 .
Du cristalo au cristal
Le cristal est préparé à partir de sable, d’oxyde de plomb et de potasse. L’adjonction d’oxyde de plomb donne à ce mélange verrier des propriétés spécifiques différentes de celles du verre blanc (élaboré à partir de sable, d’oxyde de calcium et de soude) :
- une densité de 3 à rapprocher de celle du verre ordinaire qui est de 2,5 ;
- une dureté plus faible pour le cristal que pour le verre ordinaire permettant des possibilités accrues de taille et de gravure ;
- un indice de réfraction de 1,55 légèrement plus élevé pour le cristal que pour le verre. Cette propriété détermine les qualités optiques du verre. Depuis 1971, pour l’ensemble de la Communauté économique européenne le terme “cristal” est réservé au verre ayant un indice de réfraction égal ou supérieur à 1,545 ;
- la possibilité d’obtenir des couleurs uniques dans la gamme des matériaux verriers, par l’adjonction de métaux, cette qualité se retrouve particulièrement dans les rouges.
L’église de Baccarat
Le 7 octobre 1944, l’église de Baccarat construite sous le patronage de Saint-Rémy fut entièrement détruite par un bombardement aérien. À l’architecte Nicolas Kasis, chargé en 1953 de construire un nouvel édifice, est adjointe une équipe de peintres et de sculpteurs. Denise
Chesnay, Claude Idoux, Suzanne Idoux, Albert Lenormand, Étienne Martin, Paul Reynard et François Stahly seront chargés de créer les verrières et les claustras. La volonté du maître d’ouvrage d’utiliser du cristal de Baccarat va amener l’équipe à innover et à travailler un matériau qui, à notre connaissance, n’a jamais été utilisé jusqu’à ce jour pour des vitraux.
L’anonymat de l’attribution des œuvres fut une des règles que s’étaient donnés tous ces artistes. La réalisation des ouvrages sur place fut une autre exigence, elle permit une confrontation et une expérience artistique originale que certains avaient déjà entrepris à Lyon. La plupart des artistes étaient en effet membres du groupe « Témoignage » créé par Marcel Michaud.
Le cristal destiné aux vitraux
Le cristal se présentait sous la forme de dalles de 0,17 x 0,17 sur quinze millimètres d’épaisseur. L’équipe de maîtrise d’œuvre a travaillé avec les ingénieurs de la cristallerie pour présenter sur ce chantier une gamme de cinquante-deux coloris obtenus soit par des oxydes (bleu, oxyde de cobalt ; bleu vert, oxyde de cuivre ; jaune vert, oxyde de chrome ; jaune, oxyde de cérium ; violet, oxyde de nickel ; violet rosé, oxyde de manganèse ; violet pourpre, oxyde de néodyme ; jaune citron, oxyde ferrique ; jaune, oxyde d’uranium), par des métaux (rose et rouge, or ; jaune orange, argent ; rouge sombre, cuivre) ou par le mélange de ces différents colorants.
L’ensemble de chaque vitrail a été découpé en panneaux (0,40 x 0,40 pour les baies hautes et 0,73 x 0,73 pour les baies du chœur). Le maître verrier réalise un gabarit de chacun de ces panneaux sur un isorel mou puis sur une feuille de papier huilé faisant office de carton de coupe.
Reprenant la technique du vitrail à partir de dalles de verre, les premières découpes à la marteline suivant les calibres se sont révélées désastreuses : les dalles se cassaient et le respect des calibres était plus qu’approximatif. Après de nombreux essais, une technique se dégage. Chaque pièce de cristal est découpée à la scie diamantée, puis finie et ajustée par polissage. Cette méthode permettait en outre de réaliser des formes concaves, ce que la
roulette ou la marteline ne tolérait que très difficilement.
Une colle soluble à l’eau maintenait les pièces sur la plaque d’isorel mou et autorisait le ferraillage de l’ensemble de la plaque puis le coulage du béton. Après séchage, le fond de coffrage constitué par la feuille d’isorel était déposé et l’ensemble de la plaque nettoyé.
La réalisation des vitraux
Les vitraux, selon trois grands registres, suivent les trois parties de l’édifice, les baies hautes, le chemin de croix et les baies du chœur.
Les deux grandes verrières latérales supérieures ont été exécutées sur le thème de « la lumière pénétrant la divine création », un chemin de croix composé de quatorze claustras est destiné au registre inférieur de la nef, enfin, de chaque côté du chœur, ont été réalisés les douze apôtres. Dans les deux premiers registres les artistes travaillent dans l’abstraction : la réalisation des douze apôtres relève d’une démarche différente. Création de masques rituels ? Répétition d’une forme comme outil d’observation ? Dans tous les cas, l’apparente simplicité du dessin cache une recherche très élaborée sur la couleur. Dans l’ensemble de l’opération, aucun clivage, aucun travail n’est engagé sur le matériau même, comme l’ont expérimenté avant la Seconde guerre mondiale les maîtres verriers sur les dalles de verre. Ici, seule la couleur commande. Le joint en mortier de ciment devient invisible, il est remplacé par le mur. Une œuvre qui surprend et est, en même temps, étrangement familière.
La baie du chœur de Notre-Dame de Royan
Claude Idoux réalise en août 1959 le vitrail est du sanctuaire de l’église Notre-Dame de Royan. Le vitrail de forme triangulaire de six mètres de haut sur trois mètres à la base représente la Vierge de la « Médaille Miraculeuse » de la rue du Bac à Paris. Les neuf panneaux furent exécutés avec la même technique et le même matériau que ceux utilisés à Baccarat.
La place du vitrail relève cependant dans l’ensemble de ce projet, d’une conception architecturale plus classique. La baie strictement limitée par la structure rend le maître verrier plus indépendant qu’à Baccarat. Claude Idoux a poursuivi sur ce chantier les recherches picturales engagées dans son travail de peintre et de cartonnier. Ici encore, la matière de la dalle de cristal est préservée de toute intervention. Le rayonnement de la lumière est affirmé par les couleurs et confirmé par le dessin.
Claude Idoux s’essaya à de nombreuses techniques des arts plastiques, la tapisserie (tapisseries des salons de Première classe du paquebot France), la peinture (membre du Groupe Témoignage à partir de 1943) et le vitrail. Ce dernier volet constitue un élément important de son travail de recherche : la réfraction à travers le cristal devient un nouvel outil et la lumière réfractée une nouvelle matière.
Gérard GOUDAL
Architecte des bâtiments de France, chef du SDAP de Seine-Maritime
- Le cristal de Baccarat est composé aujourd’hui de silice (55 %), d’oxyde de plomb (30 %) et d’oxyde de potassium (14 %). ↩