Dans son avant-propos au volume consacré aux régions Centre et Pays de la Loire du recensement des vitraux anciens de la France, publié en 1981 par le Centre national de la recherche scientifique, le grand historien de l’Art Louis Grodecki écrivait : « La densité moyenne d’édifices ayant conservé des vitraux anciens est peut-être moins grande dans le Centre et les Pays de la Loire que dans la région parisienne et en Picardie ; pour une étendue beaucoup plus vaste, deux cent cinquante édifices environ, mais si l’on dénombre les fenêtres à vitraux, mille sept cents environ, dont cinq cents seulement du Moyen Âge, on se voit débordé par la surabondance de la production du passé, comme aussi par son intérêt, à toutes les époques ».
Surabondance en effet, qui conduit le ministère de la Culture et de la communication par l’intermédiaire de sa Direction régionale du Centre, et, en son sein, la Conservation régionale des monuments historiques, à raisonner ses interventions en fonction de quelques lignes directrices.
Tout d’abord une attention toute particulière est évidemment portée aux ensembles vitrés prestigieux des trois cathédrales majeures de la région, Notre-Dame de Chartres, Saint-Étienne de Bourges et Saint-Gatien de Tours.
À Chartres, des efforts sans précédent —sinon celui qui permit, il y a déjà une génération la restauration des grandes verrières de 1145-1155 de la façade occidentale— sont faits par l’État, avec le concours de nombreux mécènes, pour gagner la course contre le temps et la dégradation de ce chef d’œuvre de l’art universel : commencée en 1991 avec le vitrail de Notre-Dame de la Belle Verrière, la restauration des baies basses du chœur s’achève. Celle de la grande rose nord et de ses cinq lancettes est terminée. Un nouveau cycle de restauration est en préparation : il concernera, dès 2004, l’ensemble des verrières du haut chœur et la rose sud, pour lesquelles les études techniques et scientifiques sont bien avancées.
À Bourges, les années récentes ont permis de restaurer systématiquement les vitraux les plus récents de la cathédrale (XVe-XVIIe siècles), qui ornent les chapelles latérales, au premier rang desquels figure le vitrail de l’Annonciation de la chapelle de Jacques Cœur, chef d’œuvre absolu de l’art de la fin du Moyen Âge. Après un essai “en vraie grandeur” sur la baie haute du chœur où dominent les prophètes Amos, Nahum, et Sophonias, ce sont toutes les grandes verrières du XIIIe siècle des baies hautes qui font l’objet d’un traitement d’ensemble. La moitié des trente-et-une baies aura été ainsi restaurée d’ici à la fin 2004.
À Tours, le partenariat entre l’État, propriétaire de la cathédrale, et la Ville a permis de mettre sur pied un programme très ambitieux de restauration des quinze grandes verrières du
chœur, datant de la fin du règne de saint Louis. Cette opération s’est achevée au printemps 2003 et a été accompagnée de la restauration intérieure du chœur, permettant de retrouver les enduits colorés du XIIIe siècle, qui constituent le contrepoint originel des vitraux et de leur polychromie.
Les interventions récentes, en cours ou prévues, ne s’arrêtent bien sûr pas à ces trois édifices exceptionnels. Si l’on en donnait la liste complète, celle-ci ressemblerait à une histoire de la peinture sur verre depuis le Moyen Âge jusqu’au XIXe siècle. Quelques noms évocateurs suffiront donc : les trois baies du premier tiers du XIVe siècle de l’église de Mézières-en-Brenne (36), Saint-Pierre de Dreux pour le XVe siècle, Champigny-sur-Veude et Montrésor pour la Renaissance en Touraine, la chapelle royale de Dreux pour laquelle Viollet-le-Duc, Ingres et Delacroix, entre autres, fournirent des cartons entre 1843 et 1845.
L’accompagnement scientifique systématique de toutes ces interventions a été érigé en principe de base. Pour ce qui concerne les programmes des trois cathédrales, tous se font avec le concours du Centre national de la recherche scientifique, Corpus Vitrearum Medii Aevi, dont les équipes fournissent constats d’état, critique d’authenticité et suivent les travaux à nos côtés.
Dans le domaine de la conservation et de la restauration des vitraux anciens, les techniques évoluent vite. Aussi les services déconcentrés en charge du patrimoine ont-ils régulièrement recours à ceux qui cherchent et qui trouvent : le Laboratoire de recherche des monuments historiques a piloté un programme de recherches franco-allemand qui s’est particulièrement intéressé aux verrières de la cathédrale Saint-Gatien de Tours. Il a notamment permis d’asseoir le programme de travaux sur une base scientifiquement solide, en caractérisant en particulier les processus d’altération de la matière vitreuse et des grisailles.
Les interventions en matière de restauration de vitrail ne sont pas simplement guidées par le souci de rendre leur lisibilité perdue à des œuvres devenues indéchiffrables. Elles s’accompagnent d’une véritable prise de conscience de la nécessité de la prévention. Le principe du doublage des vitraux anciens par une verrière extérieure s’est généralisé au point que la décision de ne pas doubler devient une exception à la règle. Ce mode de prévention est en tout cas systématiquement employé pour les ensembles précieux, à Chartres comme à Bourges et à Tours, à Mézières-en-Brenne… La dernière génération de verrières de doublage a d’ailleurs été mise au point dans la région Centre : les verrières en verre thermo-formé mises au point par Hervé Debitus à Tours.
La région Centre est aussi un véritable foyer de création dans le domaine du vitrail. Il s’y est réalisé, entre 1995 et 2000, un des plus gros projets de ce type en France, sinon le plus important : à l’initiative de Jack Lang et de ses successeurs à la tête du ministère de la Culture, le peintre Jan Dibbets et le maître verrier Jean Mauret se sont associés pour vitrer entièrement la cathédrale Saint-Louis de Blois. Ils y ont élaboré un catéchisme en images, revu et corrigé par deux grands créateurs de notre temps, avec leur langage propre. Jean-Dominique Fleury à Beaugency, Louis René Petit à Neuvy-Pailloux, Gilbert Rousvoal à Notre-Dame de Cléry, Pierre Carron à la cathédrale Sainte-Croix d’Orléans, Jean Mauret à Neuvy- Saint-Sépulcre, et bien d’autres, sont les artistes dont les œuvres sont visibles depuis peu dans les édifices de la région. En ce moment même, deux projets nouveaux sont en cours : un projet de Sarkis au prieuré Saint-Jean-du-Grais d’Azay-sur-Cher (37), mêlant vitrail, sculpture, textiles dans une recherche de dialogue avec un lieu “habité” ; celui qu’un maître verrier, à désigner cette année, réalisera sur des cartons d’Olivier Debré conçus pour la collégiale préromane Saint-Mexme de Chinon… Tels sont les acteurs contemporains de ce mouvement de création lancé au XIIe siècle dans les ateliers de Chartres et d’ailleurs…
Marc BOTLAN
Conservateur régional des monuments historiques, DRAC Centre