L’atelier Barillet, de la paroi lumineuse au tableau lumineux

« Le vitrail à l’heure actuelle fait partie intégrante de l’architecture, dans l’habitation, soit comme paroi lumineuse, soit comme paroi de protection contre la vue extérieure » affirme Rob Mallet-Stevens en 1926, dans un article qu’il consacre à l’atelier Barillet1 avec lequel il collabore depuis 19222 . Après avoir débuté son activité de maître-verrier en 1919, Louis Barillet, qui était auparavant peintre-décorateur, s’entoure de deux collaborateurs, Jacques Le Chevallier puis Théodore Hanssen. En 1923, l’atelier Barillet expose au Salon d’automne un vitrail, réalisé selon la technique des “vitraux blancs”3 , qui fait une forte impression sur les critiques. Cette technique est aujourd’hui encore intimement associée au nom de Barillet. Les vitraux blancs sont réalisés avec des verres imprimés incolores destinés à un usage industriel et fabriqués par la Manufacture de Saint-Gobain. L’atelier Barillet assemble des verres striés, cannelés, cathédrales, diamantés, dont il utilise les différentes structures pour créer ses compositions. À ces verres imprimés, sont associés des miroirs et des verres opales noirs et blancs.

Louis Barillet souhaitait que le vitrail soit monumental et parfaitement adapté à l’architecture ; la technique des vitraux blancs remplit totalement cet office. Les vitraux de l’atelier Barillet permettent de mettre en valeur l’édifice à l’intérieur comme à l’extérieur, de jour comme de nuit, grâce aux jeux de matières créés par les verres blancs. En effet, alors que les vitraux colorés ne sont lisibles qu’à l’intérieur, lorsqu’ils sont traversés par la lumière, les vitraux blancs le sont à la fois de l’intérieur et de l’extérieur. Barillet accorde une place importante au dessin de ces vitraux généralement réalisé par Jacques Le Chevalier, qui concevait les maquettes des vitraux civils. Les plombs, les barlotières et les vergettes, jusque-là vécues comme des contraintes, sont intégrés à la composition et leur épaisseur varie pour donner plus de force à certaines lignes. Mais la principale innovation de l’atelier réside dans l’abandon du vocabulaire figuratif classique au profit d’un vocabulaire inspiré des avant-gardes picturales, notamment du cubisme, du mécanisme de Fernand Léger ou même du néoplasticisme ; le vitrail devient ainsi un “tableau lumineux”4 .

Mallet-Stevens, qui fut l’un des défenseurs de Mondrian en France, et Léonce Rosenberg, marchand des peintres cubistes, ne sont certainement pas étrangers à ces influences. Le “tableau lumineux” est, certes, en noir et blanc, mais les couleurs sont remplacées par les différentes structures des verre qui animent la composition en créant des contrastes de matière : les stries de verre, plus ou moins fines, peuvent être positionnées verticalement ou horizontalement et s’opposent à des verres cathédrale ou quadrillés.

L’autre apport de la technique des vitraux blancs est leur adaptation à la lumière électrique, qui se démocratise au début des années vingt. Louis Barillet souhaitait « trouver un écran, qui, la nuit, ne fasse pas un trou noir à la place de la baie. Il voulait que le dessin reste visible et s’anime, non seulement par transparence, mais aussi de l’intérieur, en recevant la lumière des lustres. Il voulait une surface qui puisse se colorer des mêmes couleurs que la pièce dans laquelle elle est située »5 . Grâce aux verres de réfractions différentes, la lumière électrique est réfléchie vers l’intérieur de la pièce, participant ainsi à une meilleure diffusion de la lumière et produisant un scintillement qui anime le vitrail.

L’emploi de miroirs dans les vitraux permet à la fois de renforcer ces propriétés et de refléter les couleurs dominantes de la pièce, contribuant à l’unité du décor. Mallet-Stevens plaide pour l’usage des verres blancs dans les pièces d’habitation et s’élève résolument contre les vitraux faits de verres de couleur.

« Que penserait-on des convives dont les figures seraient rubicondes, verdâtres ou safranées, suivant la place qu’ils occupent à table par rapport à la fenêtre ? Cet arc-en-ciel distribué sur des faces humaines, sur des murs ou des objets familiers est d’un effet lamentable. » écrit-il en 19266 .

C’est lors du Salon d’automne de 1922 que commence la collaboration entre l’atelier Barillet et Rob Mallet-Stevens. Le point d’orgue en sera l’exposition internationale des Arts Décoratifs de 1925, l’atelier Barillet crée alors une frise pour le pavillon du Tourisme et un vitrail pour le hall de l’ambassade française construits par Mallet-Stevens.

Mallet-Stevens concevait ses projets de façon globale et accordait une grande importance aux arts décoratifs. Les vitraux des bâtiments s’adaptent toujours totalement à l’édifice, ornant souvent les cages d’escalier ou des espaces de vie. Pour la villa Noailles, l’atelier Barillet crée, en 1927, un plafond de verre amenant une lumière zénithale dans le “salon rose”, pièce aveugle. Lors du lotissement de la rue Mallet-Stevens, également en 1927, les baies d’escalier recevront des vitraux de Barillet d’inspiration néoplastique. D’autres bâtiments à usage professionnel seront ornés de vitraux figuratifs. Parmi eux, en 1930, la devanture du journal La semaine à Paris, formée d’une verrière divisée en sept travées, évoquant chacune un jour de la semaine. Les principales rubriques du journal sont illustrées par des personnages stylisés.

En 1931, c’est l’activité de maître-verrier qui est évoquée par la baie ornant l’atelier de Louis Barillet, construit par Mallet-Stevens square de Vergennes. Des personnifications d’Athènes, Chartres et Ravenne rappellent la destination artistique du bâtiment, dans lequel sont créés des vitraux et des mosaïques, et soulignent la cage d’escalier. L’atelier Barillet travaillera également avec René Herbst, Gabriel Guévrékian puis, après la crise de 1929, les
commandes publiques lui permettront de pallier le manque de commandes civiles privées et de pérenniser son activité, largement soutenue par la création de vitraux religieux, jusqu’à la Seconde guerre mondiale.

Cécile NEBOUT
Historienne de l’art


Matério
Au delà de la restauration de la maison Barillet, son maître d’ouvrage, Yvon Poullain, chef d’industrie a entrepris sa valorisation par le développement d’activités artistiques et d’un centre de création industrielle. Créé en 2001, Matério est le premier centre européen indépendant d’information sur les matériaux et produits innovants. Plus de trois mille références de matériaux et produits sont disponibles, ainsi que dix mille photographies. Ce service met à la disposition de ses membres une très large sélection de matériaux et semi-produits nécessaires au processus de création. Son ambition est de tisser les liens entre créateurs, architectes, designers, scénographes, artistes, ingénieurs et industriels. Il met la création au service de l’industrie et facilite débouchés et applications par un fichier recensant mille cinq cent industriels.

Réhabilitation du 15, square Vergennes, Paris 15°

L’hôtel particulier construit par Rob Mallet Stevens en 1932 pour le maître verrier ne possédait plus sa grande verrière d’origine. Le revêtement de façade en gravier lavé recouvert par des couches successives de peinture avait perdu sa texture. Seule la porte d’entrée surmontée de son vitrail n’avait pas été remplacée par une menuiserie en aluminium.

À l’intérieur, la cage d’escalier témoignait des dispositions premières et du décor de mosaïques et de vitraux, mais les transformations en dénaturaient la composition.

À la demande du nouveau propriétaire Yvon Poullain, qui souhaitait disposer d’un vaste espace d’exposition des travaux sont entrepris en 2000 par l’architecte François Lérault dont le principe d’intervention a été une reconstitution à l’identique et une adaptation à la nouvelle fonction.

Le double volume de l’atelier a été restitué ainsi que le rythme de la façade vitrée. L’espace au sous-sol a été doublé pour répondre aux nouveaux besoins. Aujourd’hui l’hôtel particulier a retrouvé une nouvelle vie artistique.

  1. Voir aussi : « L’atelier Barillet » par Michèle Matthieusent, in La Pierre d’Angle n° 14, mai 1994.
  2. Mallet-Stevens, « Les vitraux de Barillet » in Les Arts de la maison, printemps 1926.
  3. Le terme de “vitraux blancs” ou “vitrail blanc” est utilisé par les critiques et par Mallet-Stevens dans l’article qu’il consacre à l’atelier Barillet.
  4. La formulation est empruntée à Mallet-Stevens (« Les vitraux de Barillet » in Les Arts de la maison, printemps 1926).
  5. Raymond Cogniat, « Un atelier de peintres-verriers : L. Barillet, J. Le Chevallier, Th. Hanssen » in Art et Décoration, 1934.
  6. Mallet-Stevens, « Les vitraux de Barillet » in Les Arts de la maison, printemps 1926.
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