Lumière et patrimoine sont à la mode. De plus en plus de maires sont conscients que l’éclairage ne doit pas se limiter à l’éclairage urbain fonctionnel, à savoir celui des chaussées et des trottoirs. Matériau de création, d’invention, de rêve, la lumière est aujourd’hui omniprésente dans la ville, hélas pas toujours avec discernement.
Les municipalités dotées d’un patrimoine historique ont certes compris que la lumière artificielle pouvait mettre en valeur certains édifices majeurs, mais les réalisations dans ce domaine apparaissent de qualité très inégale. Rares sont les monuments illuminés dans le respect de leur architecture et de leur histoire, en adéquation avec leur environnement. Un
monument historique, modeste ou majeur, est toujours un objet architectural singulier. Le restaurer ne doit pas le condamner pour autant à devenir un témoignage figé, un simple objet décoratif de curiosité, pétrifié. Ces lieux de mémoire peuvent être mis en valeur grâce aux nouvelles technologies qui permettent aujourd’hui de composer la nuit, de la scénographier.
La plupart des monuments historiques n’ont pas été conçus pour y intégrer la lumière artificielle. Un château médiéval ne s’éclaire pas comme un château Renaissance, un ouvrage défensif comme un palais civil, une abbaye cistercienne comme une cathédrale gothique.
Un contexte patrimonial
Un monument n’existe pas seul. Son environnement, constitué d’un patrimoine plus modeste, la trame urbaine dans laquelle il s’insère, ont leur importance et doivent dialoguer et jouer avec le monument. La notion de patrimoine varie suivant l’opinion de chacun, sa culture et sa mémoire, les enjeux politiques et économiques qu’elle engendre, l’idée que l’on se fait du territoire, de la ville et de ses différentes composantes.
La production toujours renouvelée d’objets lumière (projecteurs, balises, candélabres) s’inspire souvent de références plus anciennes : flambeaux, lanternes, esconces, lampes à pétrole, becs de gaz, réverbères, par exemple. Chaque génération invente de nouvelles formes de mobilier lumière plus ou moins consciemment inspirés par ces époques. Bref, le mobilier lumière électrique ancien, encore en fonction, constitue aujourd’hui un témoignage historique. À ce titre, il fait également partie de notre patrimoine. Il mérite notre attention.
Le simple nettoyage de l’espace public lumière constituerait déjà en soi une petite révolution, une avancée remarquée. Accumulation de mobiliers d’éclairage, appareils souvent très encombrants et trop visibles, mal intégrés, surenchère de points lumineux, contresens, suréclairement, températures de couleurs médiocres, éblouissements, participent à l’enlaidissement de la ville et de son patrimoine. De plus, la création d’ambiances nocturnes architecturales et urbaines se limite trop souvent aux quartiers historiques, aux périmètres protégés. Conséquence, la population qui vit en dehors de ces secteurs éprouve le sentiment d’habiter dans des quartiers de seconde zone, puisque délaissés. Le contraste entre les traitements de quartiers patrimoniaux et ceux édifiés plus récemment —habitat social et
activités— ne peut qu’accentuer gravement le sentiment d’être délaissé, laissé pour compte.
De la sécurité à la fête
La lumière pensée pour tous, peut, au moins la nuit, créer du lien, rétablir la continuité entre les fragments de la ville, renforcer le sentiment d’appartenance à un même territoire, à une même communauté.
La lumière peut être éphémère, événementielle, pérenne, statique, évolutive, dynamique. Cependant sa première fonction sera toujours d’assurer la sécurité des personnes et des biens qui n’est plus aujourd’hui seulement affaire de technique et de fonctionnalité. Un sentiment de sécurité se dégage d’un lieu qui apporte d’abord une sensation partagée de confort, de plaisir et de bien être.
La mise en lumière du patrimoine suppose de se demander ce qui peut renforcer son identité, ce qui doit révéler ses qualités et ses caractéristiques. De jour, celles-ci passent souvent pour partie inaperçues mais prennent toute leur force d’évocation la nuit venue. La soirée étant, par excellence, le temps de la déambulation, de la détente, du plaisir, de la
poésie et du rêve.
Traiter au coup par coup les territoires de la ville n’est pas la bonne méthode. Une réflexion d’ensemble préalable permet en revanche d’aborder la composition des ambiances, susceptibles d’apporter, ici, un meilleur sentiment de confort aux habitants, là, d’organiser des mises en scène.
Fête des Lumières à Lyon, Nuit blanche à Paris et à Rome, festival à Montréal et Turin, événements lumière cette année à Lille attirent un public considérable. Preuve du désir d’appropriation de la nuit par les citoyens. Ces manifestations sont autant d’opportunités pour innover, expérimenter, tester de nouvelles pratiques. Elles permettent aux maîtres d’ouvrage comme aux créateurs, sous une forme renouvelée, de renouer avec la grande tradition de la commande publique. Ces fêtes favorisent la préfiguration de projets grandeur nature, permettent de vérifier les intuitions des concepteurs et la faisabilité de futures réalisations pérennes.
La question des moyens financiers se pose nécessairement mais ne doit pas se révéler pour autant un obstacle : il s’agit avant tout de détermination et d’enthousiasme, de conviction et d’imagination, d’approche professionnelle.
Les maires gagneraient à faire appel à d’authentiques spécialistes afin, tout d’abord, de les aider à définir leurs besoins, d’analyser l’existant, puis d’élaborer un programme d’action spécifique à leur ville. Ce n’est qu’une fois leurs convictions établies qu’ils peuvent choisir les concepteurs capables de matérialiser leur ambition pour leur ville et leurs citoyens. Un bon projet impose de savoir pourquoi et pour qui on veut éclairer, avec quels moyens techniques et financiers, avec quels prestataires. La qualité d’une œuvre lumière dépend certes du talent et du professionnalisme de la maîtrise d’œuvre, de l’éclairagiste et de son équipe, mais avant tout, sa clef de voûte s’appuie sur la commande.
Or, la commande émane du maître d’ouvrage, du responsable de la collectivité. Celui-ci doit être persuadé que le montage d’une opération constitue un acte politique majeur relevant de sa pleine responsabilité.
Toute œuvre lumière est d’abord le fruit d’un dialogue entre celui qui propose, les citoyens et le maître d’œuvre qui sera chargé de la réaliser.
L’exercice compétent de la maîtrise d’ouvrage s’avère le préalable nécessaire à l’existence d’une maîtrise d’œuvre de qualité. Nul doute que les maîtres d’ouvrage gagneraient à s’entourer de compétences capables de leur apporter une aide à la réflexion préalable, puis à
l’élaboration d’une méthodolopgie, d’un programme et à l’accompagnement de la mise en œuvre jusqu’à l’allumage définitif.
À leur décharge, les métiers de la lumière sont jeunes, à peine vingt ans et peu enseignés. L’enseignement de l’architecture comme du paysage ne traite pas ces problématiques. Absence de doctrine, de réglementation, de méthodologie accompagnent la politique de protection du patrimoine dans ce domaine.
Vincent VALÈRE
Mission lumière, Centre des monuments nationaux