En 1998, la direction des musées de Nantes et le conservateur du musée du château, Marie- Hélène Jouzeau, confiaient au laboratoire un travail exploratoire sur la réalisation de maquettes numériques. Ces maquettes étaient destinées au public du futur musée de l’histoire de Nantes. Elles devaient retracer l’évolution des formes et dispositions de la ville depuis ses origines. Les concepteurs de cet équipement actuellement en gestation souhaitent, en effet, faire un appel optimal aux ressources des nouvelles technologies, pour accompagner et dynamiser la présentation des collections. Les maquettes numériques des états anciens de la ville devraient jouer, au cœur de ce projet muséographique, un rôle des plus importants.
Le cadre de l’opération et ses objectifs
Ce qui pourrait apparaître, en première analyse, comme la simple transposition en images numériques de plans en relief ou la traduction sur écran des informations que tout observateur d’une maquette peut recueillir, ne justifierait vraisemblablement pas que l’on appelle l’attention des lecteurs de cette revue. L’opération s’avère, en fait, soulever des questions plus larges. Elles relèvent tout d’abord des investigations scientifiques propres au laboratoire, mais renvoient surtout à des problèmes de constitution de bases de données urbaines, que celles-ci soient contemporaines ou rétrospectives. Nous évacuerons brièvement le premier aspect, en nous contentant ici de signaler l’engagement des équipes du Centre de recherche méthodologique d’architecture (CERMA) sur le front des simulations des phénomènes physiques d’ambiances architecturales et urbaines. Dans ce cadre, il est indispensable de modéliser à la fois les phénomènes en question et le cadre bâti dans lequel ils s’insèrent. Les chercheurs du laboratoire ont acquis une expérience dans ces deux domaines et dans les chaînages de modèles qu’ils appellent. On pourra, pour des informations plus détaillées, consulter le site1 .
Dans le cas du travail entrepris sur les états anciens, il y a un intérêt majeur à restituer au-delà de la forme urbaine les caractéristiques physiques des ambiances de la ville à des périodes marquantes de son histoire. Cette reconstitution, par comparaison des états passés et présents, est riche d’enseignements sur l’évolution des propriétés de l’environnement
urbain. Elle va mettre en relief l’incidence des changements de nature, de texture ou de statut des surfaces urbaines, en regard des caractéristiques micro-climatiques. Ce type d’étude permet, en particulier, d’apprécier l’impact des processus d’imperméabilisation progressive des sols urbains et de canalisation des réseaux hydrologiques. La reconstitution rétrospective s’avère nécessaire pour simuler les échanges thermo-hygrométriques correspondants et pour prendre la mesure des évolutions en la matière. Mais, ce volet n’est pas l’objet de cet article qui se propose de mettre plutôt l’accent sur les questions de modélisation en trois dimensions et de constitution de bases de données.
Deux modes de restitution rétrospective
Les premiers travaux réalisés ont porté sur les périodes du XVIIIe et du XIXe siècles. Deux méthodes ont été expérimentées pour effectuer les premiers essais de tissu : une méthode dite “ascendante”, de reconstruction des stades anciens à partir des documents d’archive ; une méthode, qualifiée de “descendante”, partant de l’état présent et arasant successivement les constructions en remontant le temps.
La procédure employée pour la première approche consiste à partir des plans d’époque, à extruder les masses des îlots construits et à générer un épannelage théorique, à partir d’une hypothèse sur la hauteur moyenne des constructions. Cet état est représenté sur la maquette numérique du plan Cacault de 1756. Des problèmes de recalage des tracés par rapport aux données actuelles appellent des ajustements parfois difficiles. Une autre difficulté est liée à la durée de mise en œuvre d’un tel plan. Il ne s’agit pas d’un état de la ville en 1756, mais d’une projection dont la réalisation va s’échelonner parfois sur plusieurs lustres.
Si l’on souhaite plus de précisions, on peut s’efforcer de reconstituer les scènes urbaines et tenter, à partir des éléments historiques et de l’iconographie, d’effectuer une modélisation des monuments isolés et autres édifices remarquables. Les édifices courants, maisons et immeubles constitutifs des îlots, sont générés et implantés à partir d’objets type. Ces derniers sont établis à partir de la synthèse des caractéristiques de quelques constructions de l’époque retenue subsistant dans le tissu actuel. Des exemples de cette approche sont donnés ci-après. Nous présentons le type de la maison à pans de bois, l’assemblage, par procédure automatique, d’immeubles-type du XVIIIe siècle sur le contour irrégulier d’un îlot, et l’insertion des ensembles monumentaux modélisés de manière plus détaillée.
Les maquettes numériques du secteur de la place du Commerce ont été construites à l’aide de 3D STUDIO-Max, afin de donner une idée du type d’images destinées à la présentation muséographique. Précisons bien qu’elles avaient ce seul objectif et qu’elles ne ressortissaient pas de l’analyse historique beaucoup plus fine, qui reste à faire dans la suite du projet. Elle devra prendre appui sur l’iconographie ancienne de la ville, sur des éléments relatifs aux différents projets de développement, sur les extraits des enquêtes et
décisions administratives diverses des époques considérées.
D’un point de vue technique, le problème de la taille des fichiers nécessaires à ces représentations ne peut être éludé. Il conduit à définir une procédure d’habillage variable, lors de la modélisation des scènes urbaines. Le niveau de détail de la scène est adaptable afin d’optimiser les calculs. Les vues indicatives de la place au XVIIIe siècle présentent une comparaison de trois états dégradant progressivement la finesse du rendu. Pour donner une idée des encombrements mémoires indispensables, il faut savoir que le fragment de 1716 réalisé couvre une surface approximative de 33 % par rapport à la surface de la ville. Le nombre de facettes composant les îlots modélisés est de cinquante-quatre mille cinq cent trente-trois. L’estimation du nombre de facettes pour la modélisation de l’ensemble de la ville (pour cette période) est de l’ordre de cent soixante-dix mille. Il va sans dire que la gestion de tels fichiers pose de redoutables problèmes, en particulier, si l’on s’avise de proposer des degrés d’interactivité et des modes de navigation en temps réel.
La méthode inverse
La deuxième méthode expérimentée consiste à remonter le temps et à démonter les composants de l’espace urbain en supprimant progressivement les constructions dans l’ordre inverse de leurs dates d’édification. Elle implique l’établissement d’une maquette numérique de l’état actuel de la ville. À partir de cette maquette, on va éliminer successivement par gommage les édifices des XXe, XIXe, XVIIIe siècles, pour garder les seules constructions subsistantes d’une époque donnée. Les mêmes techniques de reconstitution indicative des éléments manquants vont êtres utilisés pour donner une forme indicative aux îlots bâtis. On partira des informations du cadastre actuel pour inférer, à partir de certaines trames parcellaires conservées la trace de constructions plus anciennes (la persistance, en filigrane sous la ville en pierre, des tracés de la ville en bois est manifeste dans beaucoup de cas) sur les emplacements correspondants des édifices types seront disposés.
La mise en œuvre pour Nantes de cette méthode a conduit à réaliser une maquette numérique en 3D de l’ensemble du secteur sauvegardé. Une telle modélisation aurait pu être obtenue à partir de fichiers “photogramériques”, mais l’abandon de TRAPU par l’IGN a obligé à entreprendre cette opération assez lourde.
Le point de départ était le cadastre numérique mis à la disposition du laboratoire par les services de la ville. Sans trop entrer dans le détail des procédures informatiques, on se contentera ici de signaler que le fichier au format DXF a été traité au moyen d’AUTOCAD 2000. Un tri a été opéré pour supprimer les informations inutiles pour notre propos, ensuite on a créé des polylignes fermées correspondant aux contours des parcelles et des constructions. Ces polylignes ont été dotées de cotes altimétriques, pour tenir compte du relief. À partir du fichier altimétrique de Nantes, on a procédé à l’extrusion des volumes jusqu’à la hauteur moyenne à l’égout ; au moyen de photos aériennes et au prix de quelques vérifications in situ, les toitures ont enfin été reconstruites. Quelques manipulations supplémentaires ont permis d’obtenir une triangulation du modèle numérique de terrain. Ces opérations ont été complétées par la constitution d’une base de données ACCESS destinée à recueillir les informations intéressant chaque unité construite (datation, évolution, type d’occupation…). Pour cela, des liens SQL ont été établis avec AUTOCAD. Cette fonction est actuellement en développement ; elle a été testée sur un échantillon d’une centaine d’édifices. Elle permet en cliquant sur un volume d’accéder aux fiches descriptives le concernant. Pour ce repérage, un système de projection sur un plan de l’ensemble des faces du volume est utilisé.
Problèmes muséographiques
À propos de l’insertion muséographique de telles images, on évoquera brièvement quelques interrogations et réflexions apparues dans le cadre des échanges et discussions avec les responsables du musée. Tout d’abord, ceux-ci souhaitent atténuer la tendance forte des architectes à réduire la ville au cadre bâti. Les commanditaires demandent que l’on ne se contente pas des bâtiments et que l’on aborde l’économie, le site estuarien et ses évolutions, notamment hydrologiques, que l’on montre aussi le port, les industries, les manufactures, le maraîchage, les voies d’accès.
La restitution visuelle de “l’ambiance” impose la présence de personnages et d’objets. Il faut cependant prendre garde au piège de l’hyperréalisme, en essayant peut-être de trouver une expression symbolique, faite d’évanescence, de transparence, de translucidité… Plus ou moins en décalage avec la vision réaliste. D’autres sollicitations que les seules appréhensions visuelles peuvent aussi être recherchées. Elles intègreraient les possibilités de mixage des ambiances sonores reconstituées. De manière plus ambitieuse, pourquoi ne pas chercher à suggérer par l’image des éléments sensoriels variés (pluie, vent, chaleur, odeurs…) ? Enfin, il semble tout à fait possible de prendre en compte, dans les montages en images de synthèse, des scènes urbaines des objets des collections des musées et d’établir un système de correspondance et de renvoi.
Perspectives, au-delà de la muséographie
Au-delà de l’intérêt pour les opérations de reconstitution rétrospective et de restitution de maquettes des états anciens de la ville, il nous semble que le type de base de données, mis au point à cette occasion, pourrait être utile pour l’ensemble des acteurs intervenant dans ces secteurs. Déjà, des présentations auprès de responsables d’organismes en charge des actions de réhabilitation et auprès d’architectes des bâtiments de France ont soulevé beaucoup d’intérêt ; des perspectives d’utilisations opérationnelles pour le suivi des actions, l’établissement de diagnostic, voire de l’évaluation de projets ont été suggérées. Le lien entre les données consignées dans les fiches descriptives et la volumétrie, les possibilités de navigation dans la maquette 3D et d’extraction sélective des données dans la base semblent être particulièrement appréciées. L’avenir de la base de données nous paraît donc très ouvert.
Jean-Pierre PENEAU et Dominique FOLLUT
Laboratoire CERMA-UMR CNRS, École d’architecture de Nantes
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Nb 2021 : Le CRENAU est né en janvier 2015 de la fusion des deux laboratoires de l’école nationale supérieure d’architecture de Nantes :
-Le CERMA, Centre de recherche méthodologique d’architecture, laboratoire créé en 1971 spécialisé dans les approches méthodologiques et numériques de l’environnement construit,
-Le LAUA, laboratoire “Langages, actions urbaines, altérités” fondé en 1991, spécialisé dans les approches socio-ethnographiques de la fabrique de l’urbain et des formes de l’urbanité.
Les membres du GERSA, Groupe d’étude et de recherche scénologique en architecture, ont rejoint le CRENAU à titre individuel. ↩