BDpaysage® : voir l’avenir pour gérer le paysage

Le paysage, une notion récente

La prise en compte du paysage est une réalité relativement récente en Occident. Le paysage évolue très lentement au cours des âges. L’évolution démographique, le progrès technique, la mobilité croissante des populations, l’émergence d’une ère de loisirs, l’ont profondément modifié au cours du dernier siècle. Et les changements qui l’affectent ne font que s’accélérer. Naguère, un paysage restait stable pour des générations successives. Aujourd’hui, tout individu de plus de cinquante ans peut citer au moins un paysage qu’il a vu se transformer radicalement.

Cette évolution rapide est vécue comme une agression permanente, comme un bouleversement de plus en plus difficile à vivre. Cependant, tout le monde n’a pas la même perception du problème. L’hostilité habituelle vis-à-vis du changement s’habille de griefs très différents selon les statuts socio-démographiques. En outre, la lecture du paysage varie en fonction de l’usage que l’on en fait. L’agriculteur n’a pas la même vision que le citadin, l’autochtone que le propriétaire d’une résidence secondaire, le riverain d’une autoroute que le camionneur, l’habitant que le vacancier. Si bien que les opinions, fortement teintées de subjectivité, ont bien du mal à s’affronter, et plus encore à se rejoindre. Seule constante, l’aménageur, l’urbaniste, le bâtisseur sont vécus comme des agresseurs en puissance par les uns ou par les autres.

Il n’en reste pas moins que le paysage est une réalité vivante, et donc évolutive. Parvenir à une action raisonnée, maîtrisée, sur le paysage est un enjeu d’intérêt général et un défi pour le prochain siècle. N’est-ce pas d’ailleurs l’objet même de la Convention européenne du paysage, signée à Florence le 20 octobre dernier ?

Intégration d’un programme immobilier à Igny SEFRI CIME - G.V.A.
Modélisation pour visualiser l’impact à la demande de l’association des amis de la Bièvre. Dans cette démarche, le maître d’ouvrage, le promoteur, l’architecte et le paysagiste sont amenés à travailler ensemble, pour vérifier l’impact visuel du projet dans son environnement. Il aura fallu cinq séances de travail sur la maquette virtuelle entre les partis, ayant des points de vue totalement opposés au départ pour qu’en mairie, lors d’une présentation en public, les points de vue se rejoignent, à la grande satisfaction de l’ensemble des partis.

La représentation du paysage

Nous parlons de lecture du paysage. L’homme s’est toujours projeté dans des représentations de son milieu. Quand il devint capable d’adaptation active, il voulut s’approprier la terre. Inventeur d’outils, pasteur, agriculteur, bâtisseur d’enceintes, de villages, de villes, de digues, de canaux d’irrigation, il mit son empreinte sur le sol, érigea des bornes, traça des frontières. Les paysages, nés de ses efforts, portent sa marque, racontent son histoire, décrivent ses cultures, illustrent la succession des civilisations.

Quoi d’étonnant si le sol ainsi façonné se trouve chargé de valeurs et de symboles. La terre et l’homme vivent en osmose. Toute atteinte à l’une est une agression envers l’autre. Et quand des conflits s’élèvent, la subjectivité l’emporte forcément sur la raison.

Lieu d’une infinité de représentations mentales, le paysage est, bien sûr, celui de la représentation concrète. Artistes, géomètres et cartographes en donnent des lectures particulières. Là encore, les langages et leurs codes sémantiques témoignent d’une époque, d’une société, de savoirs et de sensibilités locales et datées.

En cette fin de siècle, aux codes qui régentaient les images et les mots s’ajoutent les codes informatiques. Ces derniers génèrent une nouvelle forme d’expression désignée couramment par le terme de “réalité virtuelle”. Effets spéciaux du cinéma, images en trois dimensions de la conception assistée par ordinateur, modélisation des formes et de l’effet, sur elles, du temps qui passent, engendrent un nouveau type de représentation. Et, notamment, de représentation du paysage.

La révolution du virtuel

La révolution numérique fournit la possibilité d’une synthèse entre l’objectivité de la carte et la subjectivité de l’image. Elle permet la précision, tout en s’ouvrant à la diversité des points de vues, et même aux rythmes des jours, des saisons, des années. Bien que virtuelle, c’est une réalité qui s’offre à l’exploration, à la découverte, à la contemplation.

Une image de synthèse s’écrit dans les trois dimensions de l’espace, à laquelle peut s’ajouter la quatrième dimension du temps. Elle offre la possibilité de choisir la position et le moment du regard. Ainsi, chacun peut-il évoluer dans l’image au gré de sa curiosité, de sa personnalité, de sa sensibilité. Ainsi, plusieurs témoins auront sous les yeux la même reconstitution qu’ils pourront évaluer à partir des mêmes bases, discuter en disposant des mêmes données. L’universalité du code numérique et de l’image de synthèse fournit enfin un langage commun à l’expert et au citoyen.

Évolution du paysage des bords de Loire à Saint-Mathurin
Cette étude a été menée à la demande du Conservatoire régional des rives de la Loire et de ses affluents, dans le cadre d’une action de sensibilisation pour la prise de conscience des riverains de l’évolution des paysages, du fait des déprises agricoles, du manque d’entretien de la ripilsive et de la substitution des pâtures par des peupleraies. L’image virtuelle est ici l’image même de la concertation, sachant que toute simulation peut être appliquée à la maquette, qui une fois créée, peut servir à volonté, sans “usure” !

BDpaysage® : un avenir visible

Le concept de la BDpaysage® est né de deux constats et de mes rencontres en tant que responsable de Géo-Vision Avenir (GVA).

Premier constat : tout projet d’aménagement en site sensible (et, aujourd’hui, quel site n’est pas considéré comme tel au moins pour une partie des interlocuteurs) tourne assez vite au cauchemar, à la fois pour les aménageurs et pour la population concernée. La diversité des référents, des savoirs, des intérêts, des subjectivités rend toute concertation difficile.

Second constat : la représentation numérique offre, pour la première fois, la possibilité d’un langage commun entre l’expert et le citoyen. Elle constitue par là une base de dialogue enfin claire pour tous sur des bases précises, géo-référencées.

La première rencontre fut celle des chercheurs du CIRAD. Cette équipe a créé un logiciel qui permet de simuler, en trois dimensions, la croissance de quelque quatre cents arbres et plantes.

Avec le bâti, le végétal est une composante majeure du paysage et celle qui évolue le plus. L’outil logiciel permet de visualiser les étapes cruciales d’un projet de l’état initial du site à sa livraison et à la maturité végétale de l’environnement.

La seconde rencontre fut avec la direction de l’IGN qui explorait de nouvelles voies pour la valorisation de sa base de données topographiques. L’idée de l’utiliser pour servir de socle à une base de données du paysage provoqua un déclic.

La première phase d’une étude fondée sur la méthodologie de Géo-Vision Avenir consiste à reconstituer le site existant en trois dimensions. Avec l’objectif de réaliser une maquette virtuelle capable, par sa fidélité et son rendu, d’être validée par tous les partis en présence, maître d’ouvrage, maître d’oeuvre, collectivités locales, associations et riverains.

La BD TOPO® et les photos aériennes de l’IGN servent de première trame, celle du socle. Les photos aériennes, encore, et les investigations de terrain débouchent sur la réalisation de la seconde trame, celle du bâti et des voies de communication. La couverture végétale constitue la troisième trame. Elle se constitue à partir des enquêtes de terrains et du logiciel du CIRAD.

L’eau, libre ou captive, est la dernière trame. La réalité virtuelle peut alors être soumise à la comparaison avec le paysage réel sous tous les angles voulus, à toutes les heures du jour, à toutes les saisons et par tous les temps.

Chacun doit pouvoir reconnaître “son” paysage dans cette reconstitution. Quand le consensus est atteint, reste à implanter le ou les projets dans le paysage. La précision dépend alors du concepteur. Les transformations de l’environnement immédiat, les modifications de l’implantation végétale, l’impact visuel de tous les points de la rose des vents, de toutes les courbes isométriques, en vues proches et lointaines, doivent pouvoir être soumises à évaluation.

L’intérêt du paysage virtuel est qu’il est directement lisible par tous. il dépasse toute description technique, tout commentaire et tout argument. La réalité reconstituée est transparente, évidente, immédiate.

Le dialogue peut alors s’ouvrir. La BDpaysage® n’embellit pas un mauvais projet. À l’inverse, elle remet la subjectivité à sa juste place, celle d’une opinion.

Une méthodologie précise pour une connaissance objective

La crédibilité des partenaires engagés dans l’aventure de la BDpaysage® est un autre garant de son sérieux, de sa précision, de son objectivité. Les ressources de l’IGN, du CIRAD et du CETAP, en matière d’innovation, de recherche et de développement, ajoutées à la puissance croissante des moyens de modélisation, nourrissent en permanence la dynamique de la base de données et sa réactivité.

Outil de travail pour les aménageurs, aide à la conception pour les réalisateurs et à la décision pour les maîtres d’œuvre, base objective pour la conduite de projet, approche à fort pouvoir pédagogique pour lancer la concertation avec les riverains, représentation acceptée par tous pour instaurer un dialogue efficace et serein, la BDpaysage® sert la maîtrise de l’évolution du paysage, agreste ou urbain. Elle dessine à l’évidence de nouvelles perspectives quant aux relations entre décideurs et citoyens en matière d’environnement.

Philippe THÉBAUD
Architecte-paysagiste

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