Frugalité heureuse et créative 2/2

Serrage par presse hydraulique d'un cadre de menuiserie dans l’atelier de R. Boisserand : la menuiserie traditionnelle du Poher (la MTP), Gourin (Morbihan) © PLB.
Serrage par presse hydraulique d’un cadre de menuiserie dans l’atelier de R. Boisserand : la menuiserie traditionnelle du Poher (la MTP), Gourin (Morbihan) © PLB.

« Nous jouons avec les choses qui disparaissent et quand elles ont disparu, il est impossible de les faire revivre ».
J’aime à me répéter cette phrase de Denise Colomb 1 .

Pour lire le début de l’article, anabf.org/pierredangle/dossiers/la-frugalite/frugalite-heureuse-et-creative

Le bois - Petite restauration ordinaire du château de la Moglais, Lamballe (22), remplacement en conservation des fenêtres en bois

Cela fait vingt et un ans que Raymond Boisserand, menuisier, a rencontré Jeoffroy de Longuemar à Lépine, dans le Perche où il avait une résidence. Il travaillait chez M. Marie, menuisier qui a su lui transmettre un savoir extraordinaire à La Menuiserie traditionnelle du Perche (la MTP). Après un tour de France, Raymond Boisserand choisit la commune de Gourin, commune du centre Bretagne (Morbihan) pour installer sa menuiserie. Astucieusement et en hommage, il conserve le même acronyme, pour son atelier : La MPT devient la Menuiserie traditionnelle du Poher (Pays de Gourin). C’est ainsi qu’il fut amené à retravailler avec M. de Longuemar, qui entreprit une lente et patiente restauration d’un bien familial : le château de la Moglais à Lamballe.

Détail de greffe des appuis de fenêtre sur dormant en conservation avec remplacement des anciens vantaux. © PLB.

Dans le cadre du changement des fenêtres et de la remise à niveau des chambres de l’étage de l’aile sud-ouest, après avoir défini un cadre d’intervention avec le conservateur régional des monuments historiques de Bretagne, Henry Masson, il a été décidé d’expertiser avec l’architecte des bâtiments de France, l’état intérieur de chacune des chambres aux étages, du couloir de desserte et surtout des fenêtres. Les fenêtres datent du XIXe siècle, réalisées lors de la campagne de modernisation du château, avec ses papiers peints, ses boiseries, lambris et parquets, etc. Le diagnostic montre que beaucoup d’ouvrants, de vantaux ne peuvent malheureusement être conservés. Néanmoins impostes et dormants seront conservés. Les appuis souvent très affectés seront changés par greffe in situ.

Le parti sera le même pour les planchers et pour la reprise des plâtres, des lambris, etc. Cette démarche n’est pas exceptionnelle, elle guide même notre appréhension du travail d’entretien, de conservation. Le menuisier travaille de la sorte par amputation, purge, et greffe. Il utilise du bois de futaie, en provenance de la Sarthe, de Bourgogne, essentiellement du chêne acheté par la coopérative des artisans du bois qui assure la qualité de l’approvisionnement.

Il réalise également ses fers, relève les profils, moulures, doucines et les reproduit parfaitement à l’identique. Il possède ainsi plusieurs boîtes de fers qu’il a lui-même confectionnées.

À gauche, exemple d’un fer réalisé à la MTP par R. Boisserand et, à droite, dessin en atelier d’un détail d’assemblage de menuiserie. © PLB.
Restauration des lambris, trumeau, papier peints, parquets et plafonds plâtres sont menés dans le même esprit de conservation. © PLB.
Pourtant, malgré l’existence de ce savoir-faire, une pression sous-jacente est en marche pour introduire, y compris dans les monuments historiques, le changement pur et simple de menuiseries anciennes, remplacées par des fenêtres certes géométriquement identiques, mais modernes, pourvues dorénavant d’un double vitrage mince.

Le propriétaire du château de la Moglais explique qu’il a cheminé intellectuellement pour arriver à cette “maîtrise” du destin de son patrimoine, pour entreprendre une restauration “frugale”, dans un esprit de conservation de tout ce qui peut l’être. État d’esprit qui ne va pas de soi, qui n’est pas naturellement acquis, qui demande à intégrer « la qualité au-delà de la forme ». « Il faut aussi avoir le menuisier. On greffe jets d’eau, assises, appuis, tel que d’ordinaire on le pratiquait autrefois, dans un souci naturel d’économie de moyens, de “sobriété”.

Changer toutes les fenêtres, les remplacer par des fenêtres “patrimoniales” à doubles-vitrages minces permettrait de gagner de la “performance” mais au détriment d’un esprit de conservation : « un faux luxe qui nous prive de la beauté des vibrations du paysage au travers des verres anciens » résume M. de Longuemar.

Ferrures, espagnolettes gonds, et vitres anciennes sont systématiquement réemployés. © PLB.
À l’instar de ce qu’on appelle la gestion différentielle des parcs et jardins, on pourrait aussi concevoir selon l’usage des pièces, de la saisonnalité de leur sollicitation, réaliser soit des menuiseries “performantes” pour une pièce de vie et délibérément conserver ce qui peut l’être pour un salon de réception, une chambre d’été, etc. Car la fenêtre n’existe pas isolément, c’est le complexe “contre-vents extérieurs, fenêtres, volets intérieurs, rideaux et tentures” qui doit être examiné et compris dans son usage de “filtre” entre l’intérieur et l’extérieur, au pouvoir régulateur des lumières, de l’ensoleillement, des températures, etc. De l’inconfort que l’on évite au confort que l’on s’autorise.

M. Jeoffroy de Longuemar est propriétaire du château de la Moglais comprenant un logis, la cour, le jardin et dépendances. L’ensemble est protégé au titre des monuments historiques (arrêté du 16 novembre 2011)

La démarche poursuivie par le propriétaire pour la reprise de la restauration du château et des murs n’a été envisageable que grâce à une aide financière accordée par l’État. L’engagement dans un programme de travaux se situe entre la restauration et l’entretien accompagné par la Conservation régionale des monuments historiques et l’architecte des bâtiments de France en charge du secteur du département des Côtes d’Armor.

En conclusion, ce travail se poursuit sur de longues années dans une entreprise où la réflexion chemine, l’interrogation, le doute toujours présents à chaque action. Par ailleurs des restaurations de papiers peints, de planchers, de parquets sont aussi en cours. Le respect de l’existant par le maître d’ouvrage et tous les artisans, compagnons, entreprises de restauration qui interviennent ici, est représentatif d’une véritable démarche frugale dans la sauvegarde du patrimoine.

  1. Denise Colomb est une photographe d’origine martiniquaise à qui, un jour, Aimée Césaire demanda de photographier son île, la Martinique. Elle y mit son talent, l’empathie nécessaire pour ancrer le patrimoine et les paysages de cette île déjà en profonde mutation à la veille de la départementalisation. ce travail fut exposé en 2013 sous la direction de la Dac et du Caue de la Martinique.
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