Les principes de l’architecture frugale

Restauration du château-école de Bioule, Tarn-et-Garonne, et aménagement de l’aile ouest. Maîtrise d’ouvrage : commune de Bioule. Maîtrise d’œuvre : groupement Thouin Architecture, AIA Ingénierie, BET Montet et SIEA. © Agence Thouin Architecture. (Les photos qui illustrent cet article sont tirées du livre « Architecture frugale - 22 réhabilitations inspirantes en Occitanie »)
Restauration du château-école de Bioule, Tarn-et-Garonne, et aménagement de l’aile ouest. Maîtrise d’ouvrage : commune de Bioule. Maîtrise d’œuvre : groupement Thouin Architecture, AIA Ingénierie, BET Montet et SIEA. © Agence Thouin Architecture. (Les photos qui illustrent cet article sont tirées du livre « Architecture frugale - 22 réhabilitations inspirantes en Occitanie »)

La transition écologique, c’était hier ! Aujourd’hui, un changement radical s’impose. La responsabilité du secteur de la construction est majeure. Selon l’ONU, le bâtiment représente au niveau mondial près de 40 % des émissions de gaz à effet de serre et 36 % de la consommation d’énergie. Pour y remédier, le Manifeste pour une frugalité heureuse et créative dans l’architecture et le ménagement des territoires urbains et ruraux propose des solutions concrètes et désirables. Ce texte, écrit en janvier 2018 avec l’ingénieur Alain Bornarel et l’architecte Philippe Madec, a déjà convaincu 15 500 signataires de quatre-vingt-dix pays fin 2022. Ce sont en majorité des professionnels du bâtiment, mais près d’un quart viennent d’autres horizons.

La frugalité est la juste utilisation des fruits de la terre. Nous la voyons heureuse, car elle est basée sur un élan généreux envers les autres, et créative, car elle nous oblige à prendre d’autres chemins, moins égoïstes et moins gaspilleurs. Si les plus riches habitants des pays industrialisés consommaient moins de ressources, les populations moins favorisées pourraient en profiter et les générations futures en disposer plus longtemps. Nous défendons avant tout paix et justice sociale.

Le Mouvement de la frugalité heureuse et créative est fondé à la fois sur la réduction de l’usage de ce qui est matériel (sol, énergie, ressources naturelles) et sur l’essor de relations humaines bienveillantes autour d’un projet commun. L’objectif est une architecture plus respectueuse du vivant, qui transforme l’existant avant de construire du neuf, qui valorise les matériaux renouvelables et les savoir-faire locaux, qui privilégie des solutions techniques robustes et propose un équilibre entre tradition et modernité.

Frugalité en sol

Ménagement du cœur de village de La Rouquette, Aveyron. Maîtrise d’ouvrage : commune de La Rouquette. Maîtrise d’œuvre : Alain Marty (architecte) et Guillaume Laizé (paysagiste) © Alain Marty/Guillaume Laizé

La frugalité commence dès le choix de l’implantation et la rédaction du programme. Elle pose parfois la question : Faut-il encore construire ? Elle appelle une utilisation raisonnée du sol, le respect du site et la valorisation du territoire. Elle lutte contre le mitage du paysage et peut aller jusqu’à la sanctuarisation des terres agricoles afin de garantir une production alimentaire locale. Elle encourage la métamorphose du “déjà-là” pour donner une nouvelle vie à des immeubles existants. Les exemples sont variés : transformation de friches urbaines en pépinières d’entreprises, revitalisation d’un centre-bourg grâce à la rénovation d’un ensemble immobilier délabré, conversion d’une chapelle en espace culturel ou d’une ferme en boulangerie pour éviter la mort d’un village.

Frugalité en énergie

Maison Bellevue à Marvejols, Lozère. Maîtrise d’ouvrage : Bastien Allart et Candice Jaffard. Maîtrise d’œuvre : Atelier d’architecture LCD’O/Jean-Marc Priam et Bastien Allart. © Louise Priam

Dans le domaine de l’énergie, le Manifeste pour une frugalité heureuse et créative prône des solutions sobres et efficaces pour assurer le confort thermique, en été comme en hiver. Quand ils sont minimisés par des mesures bioclimatiques, une isolation renforcée et une ventilation naturelle, les besoins peuvent être couverts par des énergies renouvelables produites localement, dans le neuf comme en réhabilitation. Loin de la mode des smart cities et des “bâtiments intelligents”, qui dépendent d’installations techniques souvent chères, fragiles et lourdes en maintenance, certains projets consomment cinq fois moins d’énergie grâce à des mesures simples et efficaces. Inventivité et intelligence collective conduisent à des solutions fiables, qui misent sur l’implication des occupants.

Frugalité en matériaux

Création d’un logement dans une ancienne grange à Vieille-Toulouse, Haute-Garonne. Maîtrise d’ouvrage et maîtrise d’œuvre : Jean-Romain Munvez - 2020. © Julien Hourcade.

Le béton est responsable d’environ 8 % des émissions de CO2 et sa production consomme de grandes quantités d’énergie. Très gourmand en sable, la deuxième ressource la plus rare au monde après l’eau, il devrait être réservé aux ouvrages pour lesquels il est incontournable. Les choix frugaux concernant les matériaux et leur mise en œuvre commencent par le réemploi de composants issus de la déconstruction. L’alternative est la valorisation de ressources géosourcées ou biosourcées locales et de savoir-faire artisanaux, afin de minimiser l’empreinte environnementale du bâtiment et de participer à l’essor économique du territoire qui l’entoure. Terre, bois, paille, chanvre… les matériaux traditionnels peuvent aussi servir la modernité tout en assurant le confort des usagers. Il existe en France environ dix mille bâtiments isolés en paille, dont des centaines d’équipements scolaires ou sportifs.

Nouveaux processus de conception et de construction

Maison dans une ancienne grange à Aurignac, Haute-Garonne. Maîtrise d’ouvrage : René Rey et Marie-Christine Couthenx. Maîtrise d’œuvre : Marie-Christine Couthenx, architecte. © Marie-Christine Couthenx

La frugalité vise la décroissance du matériel, mais prône la croissance et l’épanouissement des relations humaines, dans toute leur richesse. La conception de bâtiments frugaux fait souvent l’objet d’une démarche participative intégrant les futurs usagers, voire les riverains. Elle instaure dès l’amont une collaboration bienveillante entre tous les acteurs, du maître d’ouvrage aux entreprises, en passant par les architectes, les ingénieurs des bureaux d´études et de contrôle, etc.

De nombreux exemples de bâtiments et d’aménagement inspirants existent en France et ailleurs. Ils sont présentés dans une collection intitulée « Architecture frugale », déjà déclinée dans quatre régions. Les deux derniers sont concentrés sur la réhabilitation, car la frugalité commence par la transformation du déjà-là. Tous ces projets prouvent qu’il est possible de faire mieux avec moins, dans le respect des femmes, des hommes et de la nature.

Pour en savoir plus

www.frugalite.org

  • Construire frugal en Provence-Alpes-Côte d’Azur - 15 exemples inspirants, EnvirobatBDM, 2020 
  • Architecture frugale - 20 exemples inspirants dans le Grand Est, Maison de l’architecture de Lorraine et association Frugalité heureuse, 2021
  • Architecture frugale - 20 exemples de réhabilitations en Auvergne-Rhône-Alpes, Ville et aménagement durable et association Frugalité heureuse, 2022
  • Architecture frugale - 22 réhabilitations inspirantes en Occitanie, Îlot Formation et association Frugalité heureuse, 2022

Biographie

Dominique Gauzin-Müller œuvre depuis près de quarante ans à la promotion d’une architecture écoresponsable à travers vingt-trois ouvrages, des articles, des cours et conférences, des expositions et un prix mondial : le TERRA+FIBRA Award. Elle est professeure honoraire de la chaire Unesco « Architectures de terre, cultures constructives et développement durable », membre de la Compagnie des négawatts et de l’Académie d’Architecture, cofondatrice du Mouvement pour une frugalité heureuse et créative.

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