« Nous jouons avec les choses qui disparaissent et quand elles ont disparu, il est impossible de les faire revivre ».
J’aime à me répéter cette phrase de Denise Colomb 1
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Mais ceci n’est pas le sujet qui nous intéresse aujourd’hui. Bien qu’il soit néanmoins connecté au thème de ce numéro : l’acceptation de frugalité (heureuse et créative) dans nos démarches patrimoniales, au-delà de, justement, la dérive “performative” de la démarche de bâtir ou de restaurer, tel que l’État la planifie dans ses programmes d’investissement et ses politiques d’incitations “environnementales”, entraînant les acteurs locaux, les maîtres d’ouvrage et leurs architectes dans des démarches parfois en contradiction avec la bonne pratique de la conservation du patrimoine.
Ainsi, conservation du patrimoine, et plus largement acte de construire en espaces protégés, rimerait avec Frugalité, (heureuse et créative), que je mets encore entre parenthèse… Peut-être plus tard parviendrons-nous naturellement à nous en affranchir ? Je tenais à introduire ce propos pour engager, ouvrir un nouveau chemin de réflexion. Beaucoup de sachants, de praticiens, ont déjà fait ce chemin, celui de recouvrer le bon sens. Et c’est bien ici que des prises de position, l’engagement des uns et des autres dans leur fabrique du territoire, croisent celle du mouvement de la frugalité heureuse et créative.
Dans ce contexte nous évoquerons ce que peut être l’action vertueuse de l’économie de proximité et la haute valeur ajoutée des savoir-faire locaux, « l’impératif du réemploi» ou « l’éloge du proche » pour citer Philippe Madec2 au travers de mises en œuvre de la terre, du bois, des engagements des acteurs locaux.
« L’impératif du réemploi », où est le lot 0 ? Rénovation du collège Roger Vercel, Dinan
Il y a quelques jours, je regardais disparaître avec douleur une centaine de fenêtres en bois sur un immeuble remarquable des années 1930, l’école pratique de commerce et d’industrie (inauguré en 1937) du collège Roger Vercel (Dinan). Des menuiseries en bon état général, nécessitant certes une bonne remise en jeu et une peinture, mais tout à fait fonctionnelles.
À ce remplacement, monter une double fenêtre en ébrasement intérieur, n’aurait-il pas suffit à l’amélioration thermique satisfaisante du point de vue des exigences de confort actuel admissibles pour des locaux d’enseignement ?
Au lieu de cela, le maître d’ouvrage a contraint son architecte, adossé au dernier plan de relance exigeant un Uw (unité de mesure du flux thermique au travers d’une surface d’échange, la fenêtre) égale ou inférieur à 1.4 W/(m².K) à faire déposer l’ensemble des fenêtres, portes-fenêtres et portes (quatre-vingt-quatorze unités) pour les remplacer par autant d’huisseries flanquées de double vitrages, enchâssés derrière des pare-closes, ferrées et jointées comme il faut, l’ensemble qui plus est réalisé en bois exotique. L’immeuble, bien qu’intéressant, n’étant pas protégé au titre du document d’urbanisme (PSMV) et l’aspect visuel des fenêtres étant respecté, le niveau d’exigence ne pouvait être supérieur.
Ainsi, viser un niveau abstrait de performance sans même évoquer la notion de cycle de la matière, cycle de vie et engagement énergétique à mobiliser pour produire et détruire de la matière ne doit-il pas nous interroger ? Cet exemple parmi tant d’autres, témoigne des actions engagées sous couvert de politiques publiques énergétiques, environnementales, visant à atteindre une forme de “sobriété” énergétique.
Introduire la frugalité serait alors d’engager une prise de conscience des pouvoirs publics, à promouvoir l’obligation du lot 0 : ce lot qui, dans la nécessité vertueuse du cycle de vie, rendrait obligatoire la récupération de la matière, voire d’éléments constructifs complets, tel que des menuiseries par exemple, des charpentes, des matériaux de couverture, etc, pour les re-destiner à une autre vie.
« L’éloge du proche » : usage de la terre, matériau de la mémoire des morts. Extension du cimetière de la Poterie (Lamballe)
Fiche projet
La terre et le bois, matériaux de proximité
Réalisation : une extension du cimetière de la Poterie, Lamballe, Côtes d’Armor.
Maître d’ouvrage : Ville de Lamballe
Maîtrise d’oeuvre : Géraldine Bourdic-Cohan, architecte, Explorarchi & Clarisse Nardin, paysagiste, Nord-sud Ingénierie
Entreprises :
- Eric Macé, maçon, Entreprise Macé,
- Noël Camard, Menuisier, le Bois dans l’âme
- Eurovia, Entreprise TP.
Le projet a pour objectif d’installer au nord du cimetière du hameau de la Poterie (ville de Lamballe), une extension proposant des services actuels de sépulture, de type “cavurnes” : caveaux en béton moulé, de format cubique, enterrés au sol ou introduits verticalement sur un support pour recueillir les urnes funéraires.
Le projet se situe dans le périmètre délimité des abords de la croix de la paroisse. Le cimetière a été déporté au nord de l’ancien bourg. La toponymie caractéristique de la nature du sous-sol, de sa richesse en terre sera une indication pour l’idée d’introduire le matériau terre crue dans la conception d’un mur bahut percé d’une porte pour accueillir les urnes et permettre aux vivant de faire le deuil. L’ensemble des murs de clôture à l’exception de cette création sera réalisé en lames de châtaigniers également issus d’une forêt locale.
Le projet, d’architecture et de paysage, conçu par le groupement Explorarchi et Nord Sud Ingéniérie, introduit dans sa conception des artéfacts de modernité par l’usage du béton armé, banché assurant « les bottes et le chapeau » du mur en pisé. Il s’attache à introduire la terre comme matériau dont l’usage a disparu et dont seule la toponymie en retient la mémoire d’usage.
Le maçon Éric Macé trouve son matériau sur place dans les déblais d’un lotissement voisin. Il réalise un mélange de 91 % de la terre, 5 % de chaux et 5 % d’eau. Le mortier de terre ainsi obtenu est malaxé et introduit entre les banches, comprimé mécaniquement, par strates successives de trente/quarante centimètres d’épaisseur. Le chantier dure un mois pour confectionner ce mur bahut de trente mètres de long contenant vingt-six mètres cubes de matière. La difficulté sera de positionner les urnes dans le mur banché en respectant le dessin de conception de l’architecte.
Le maçon s’est fait une spécialité de ce travail de la terre. Il y en a d’autres surtout vers le bassin rennais dont la géologie et la ressource argileuse ont conduit à cette culture de la construction en terre. Mais au-delà de la tradition, ce qui semble ressurgir, c’est la quête de sens et l’attachement à maîtriser une technique, dont le temps et la main d’œuvre sont les alliés. Évidemment le point “faible” de cette entreprise est le temps de mise en œuvre : surtout le temps de séchage et la maîtrise hygrométrique des ambiances liés au process. Voilà pourquoi le mur restera voilé, bâché plusieurs semaines pour contenir cette humidité relative et sa lente évaporation.
Ce petit exercice d’introduction de la terre dans une architecture de conception contemporaine en espace protégé, donne à voir non seulement la mixité des techniques mais permet aussi par sa vocation pédagogique d’apprécier une évolution de la perception des élus, maître d’ouvrage en capacité à commander des projets porteurs de sens.
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- Denise Colomb est une photographe d’origine martiniquaise à qui, un jour, Aimée Césaire demanda de photographier son île, la Martinique. Elle y mit son talent, l’empathie nécessaire pour ancrer le patrimoine et les paysages de cette île déjà en profonde mutation à la veille de la départementalisation. ce travail fut exposé en 2013 sous la direction de la Dac et du Caue de la Martinique. ↩
- « Mieux avec moins, Architecture et frugalité pour la paix »sa dernière publication) ↩