Le département de l’Aude compte un patrimoine exceptionnel dû à son abondance et sa diversité
avec un atout supplémentaire. Il compte en effet deux sites majeurs inscrits sur la liste du patrimoine mondial depuis 1996 : la cité de Carcassonne et le canal du Midi.
À l’examen des outils de protection les mieux adaptés à cette diversité et à cette abondance, la ZPPAUP apparaît comme une réponse précieuse, justifiée. Sur le terrain, sa capacité d’adaptation aux situations les plus diverses ne se dément pas et, depuis les années 2000,
vingt-et-une études ont été mises en chantier, suivies de la création d’une association des communes en ZPPAUP qui témoigne, s’il en était besoin, du dynamisme de l’outil.
ZPPAUP… Que des avantages ?
« ZPPAUP, vous avez dit ZPPAUP ? Bizarre, bizarre ! » Le terme peut en effet surprendre tant il est barbare ! Pourtant, derrière ce charabia se cache l’un des outils les plus efficaces et les plus fins de la boîte à outils réglementaire de l’’ABF. Personnellement, je n’y vois que des avantages, à condition qu’il soit utilisé à bon escient, à côté d’autres types de documents non moins intéressants.
Premier avantage : il remplace l’arbitraire rayon de protection géométrique de cinq cents mètres par une intelligence de la prise en compte du lieu, sous toutes ses formes. Rien que cette disposition devrait faire réfléchir nombre d’élus locaux qui ont à subir, tout comme leur ABF préféré, l’odieux arbitraire de ce rayon géométrique. Deuxième avantage : il place l’ensemble des protagonistes devant le phénomène recouvert par le mot “patrimoine”. Se poser la question de savoir ce qui forme le “patrimoine”, c’est déjà y répondre en partie, mais aussi s’interroger sur la question de son étendue : le patrimoine de l’Unesco n’est pas forcément celui de la maison de famille, de ce banc et de ces trois arbres sur cette petite placette. La réflexion conduite dans le cadre de l’étude permet d’aborder le sens personnel et partagé que chacun y met et de désigner les lieux de mémoire, dont la substance même est formée d’immatérialité, enfin, de cerner les limites à l’extérieur desquelles la mémoire physique, palpable, n’existe plus. La ZPPAUP exige une réflexion préalable sur le sens, le rôle et la place que prend le patrimoine dans notre vie quotidienne.
Troisième avantage : la ZPPAUP, éminent outil de concertation. Au terme de l’étude, elle constitue un outil dont l’étendue spatiale et les applications territoriales sont inventées ensemble. Elle détient la capacité à remettre en cause ses propres certitudes, ce qui en fait la force. L’habitant se positionne au cœur de ce processus. Or l’impact culturel et social de l’architecture et des aménagements publics passe par l’écoute des citoyens et leur participation aux prises de décisions.
Quatrième avantage de poids ! La ZPPAUP implique de bâtir ensemble une véritable démarche de réflexion pluridisciplinaire. Le projet n’appartient pas à un élu, un architecte, un sociologue, mais représente un groupe aux compétences multiples et complémentaires où chacun
reçoit considération, écoute et respect.
Il s’agit non seulement de cerner ce qui forme notre patrimoine collectivement, mais aussi de savoir comment expliquer et faire partager l’analyse, les objectifs et les conclusions de l’étude à tous ceux qui le voudront bien ou qui auront besoin de se servir de l’outil. Les changements ne se décrêtent pas, ils se partagent, et cette étape dite de “communication” demeure incontournable.
En ce sens, l’outil est pétri de la volonté des uns, de la disponibilité et de la qualité de l’engagement des autres : la réussite du dispositif en dépend.
Enfin, la ZPPAUP offre une capacité indéniable d’imbrication dans un véritable “projet urbain” ancré dans le « développement culturellement durable » ! Deux villes audoises qui, depuis des dizaines d’années, se livrent une concurrence féroce, Carcassonne et Narbonne, illustrent ma démonstration.
La ZPPAUP a démontré en ces circonstances des atouts incomparables pour :
- bâtir une relation de confiance entre élus, administrations et citoyens,
- orienter tous les partenaires dans la même direction sur la base de solides études pluridisciplinaire et d’une réflexion partagée,
- intégrer l’ensemble des qualités patrimoniales et des contraintes de l’existant dans une démarche de projet de développement économiquement, socialement et culturellement durable.
Dans les deux cas, le noyau urbain est géré, à la parcelle près, par un “secteur sauvegardé” (loi de 1962), qui encadre avec la force d’un document d’urbanisme et la précision du laser, les orientations générales de l’évolution de la ville. Le domaine public fluvial (DPF) du canal est protégé au titre des “sites classés”, procédure administrativement lourde, mais indispensable pour la conservation d’un “écodomaine” aussi fragile. L’Unesco ayant posé la question essentielle de la gestion de la “zone tampon” des abords du canal, il fallait apporter une réponse adaptée à des espaces urbains où ruraux extrêmement différents de l’un à l’autre. Plusieurs sites sont également inscrits où classés sur le territoire des deux villes pour leur caractère scientifique, historique, pittoresque ou légendaire, tels le massif de la Clape et de Fontfroide à Narbonne où les abords de la cité jusqu’à l’autoroute à Carcassonne.
Restait, pour les deux communes, toute une frange de ville ou d’espace naturel formant un paysage remarquable qui n’était rattaché à aucun document de gestion patrimonial et, dans le même temps, était concerné par des aménagements lourds de type infrastructure routière: Les faubourgs, avec leur histoire et leur identité remarquables, la richesse d’un sous-sol archéologique exceptionnel où encore le paysage des abords directs du canal du Midi.
La mise en cohérence de l’ensemble de ces documents exigeait une réflexion globale. L’hypothèse de travail de la mise en place d’une ZPPAUP offrait l’occasion de bâtir un vaste projet urbain incluant des réflexions aussi diverses que la création d’un quartier HQE aux abords du canal, l’intégration de zones urbaines sensibles (ZUS) sur Carcassonne, ou encore un plan de déplacement urbain (PDU) auquel devait être adjointe une composante touristique.
Benoît Melon
Architecte urbaniste en chef de l’État