Lorsque Fritz Lang, dans son film Metropolis, imagine en 1926 la ville du futur, il dessine une cité à deux visages, dotée d’une ville haute, touchant le ciel, hérissée de tours, parcourue de flux incessants, et d’une ville basse, souterraine et confinée. Une approche visionnaire qui interroge le présent.
Ce qui fait l’unité de cet organisme monstrueux, c’est le nombre, l’empilement, la promiscuité -la densité. Pour Fritz Lang, cette ville du futur est celle de 2026. Nous n’en sommes plus très loin et cette densité ambivalente, rêve ou cauchemar, est toujours au cœur de nos propres interrogations sur la ville que nous souhaitons bâtir.
De fait, aujourd’hui en France, la politique d’aménagement du territoire menée repose essentiellement sur deux principes : la nécessité de contrôler la consommation du foncier afin d’endiguer un étalement urbain qui se fait au détriment des espaces naturels d’une part, et la nécessité d’augmenter de manière forte et rapide l’offre de logements, par la construction neuve ou la réhabilitation, d’autre part. La superposition de ces deux principes fondamentaux aboutit au portage très volontariste d’une politique de densification appuyée sur une logique quantitative ; cette politique fait l’objet, à l’heure de la transition écologique, d’un consensus large, ce qui lui confère un caractère d’évidence rendant difficile le jeu du questionnement critique.
La construction de masse, une nécessité également qualitative
La notion de construction de masse n’est pas une nouveauté : c’est un fait architectural, constructif, démographique et social identifié, un objet de recherche connu. La construction de masse a une histoire, qu’il n’est ni possible ni souhaitable d’ignorer, et qui enseigne qu’un succès strictement quantitatif ne peut qu’aboutir à des situations de blocage inacceptables par le corps social et donc, in fine, à une mise en perspective négative des résultats. Cette histoire de la construction de masse, comme d’ailleurs plus largement celle de l’évolution des tissus urbains constitués, montre ainsi que les solutions strictement quantitatives sont vouées à l’échec si elles ne sont pas accompagnées d’un renouvellement des paradigmes du bâti, de la circulation, des espaces publics, en d’autres termes d’une véritable réflexion qualitative.
Complexe, la notion de qualité architecturale, urbaine et paysagère est souvent réduite à une dimension esthétique, par ailleurs discutable, qui la place alors injustement hors du champ opérationnel de l’aménagement des territoires. Cette vision étroite doit, bien entendu, être dépassée et enrichie par une perspective globale. De fait, la qualité renvoie à des enjeux aussi importants et divers que la pertinence de la définition programmatique, l’attention portée aux caractères de l’objet bâti en termes de pérennité, d’usage ou de forme, l’intégration des impératifs de développement durable ou encore la mise en œuvre d’un processus de production articulant compétences et expertises. C’est d’ailleurs bien dans cette perspective globale et intégrée que l’article 1er de la loi de 1977 sur l’architecture affirme que « la création architecturale, la qualité des constructions, leur insertion harmonieuse dans le milieu environnant, le respect des paysages naturels ou urbains ainsi que du patrimoine sont d’intérêt public ».
Malgré la complexité du défi, la densification doit donc, pour devenir une politique réussie, être nécessairement accompagnée d’une approche qualitative dès la conception. Sur le plan doctrinal, comme sur le plan des moyens d’action, le champ est déjà bien exploré et l’on peut facilement proposer quelques grands axes de réflexion.
Un premier axe pourrait concerner la question du principe de réalité appliqué à la politique de densification. Au-delà des déclarations volontaristes, il est en effet légitime de s’interroger sur la cohérence entre les objectifs recherchés et la pratique actuelle d’aménagement du territoire, avec ses modes spécifiques de gouvernance et de fabrication de la ville de demain. Il faut souligner qu’au-delà des innovations potentielles, des leviers puissants existent déjà qui peuvent être mobilisés sans délais : la réglementation, qu’elle soit issue des Codes du patrimoine, de l’urbanisme où encore de l’environnement, prévoit ainsi des dispositifs qui, bien compris et bien utilisés, sont d’ores et déjà performants. Dans les pratiques existantes ou à inventer, il s’agit donc tout d’abord de réfléchir aux moyens de donner un avenir à la densification.
Le désir des usagers de la ville, un cadre de vie destiné
Un deuxième axe de réflexion pourrait être centré sur la question des usagers de la ville dense souhaitée. En effet, la densification ne peut être une politique réussie qu’à la condition que les usagers des espaces construits en général, et les habitants en particulier, y trouvent leur place et adhèrent aux modes de vie proposés. De fait, la densification génère des typologies urbaines spécifiques qui ont des implications fortes en termes de qualité du
cadre de vie. Il s’agit de s’assurer que la densification envisagée est désirée et, si ce n’est pas le cas, de la rendre désirable en prenant en compte les aspirations des uns et des autres.
Enfin, un troisième axe de réflexion pourrait s’attacher à mettre en perspective les conséquences de la densification en termes de formes. Il s’agit en effet de dépasser les stéréotypes habituels, qui renvoient à des caricatures de paysages urbains, pour s’interroger sur la diversité des formes possibles : la densification n’a pas une forme unique, elle doit s’adapter aux spécificités des territoires où elle est à l’œuvre, à leur histoire, à leur échelle.
Une densification projetée dans l’avenir, désirée par tous, capable de proposer une réponse formelle adaptée aux enjeux d’aujourd’hui et de demain : la dimension qualitative, loin d’être un obstacle, est un gage de succès de la politique souhaitée, qui ne pourra être réussie qu’à ce prix. Pour fabriquer la ville de demain, la densification sera de qualité ou ne sera pas.
Olivier LERUDE
Architecte urbaniste de l’État