Territoires et institutions : pour une doctrine de l’après-zonage 1/2

Permettez-moi de commencer par un constat. Un cycle de conférences à l’étranger m’a conduit dans une dernière étape à Bruxelles où cette question territoire et institutions est régie de façon originale : il n’y a en effet pas moins de cinq sièges de pouvoirs territoriaux dans cette ville : la municipalité (Bruxelles-commune), la région de Bruxelles, l’État de Belgique, l’Union européenne, qui est en train de se construire des bureaux très importants, et, enfin, la région flamande. Cette dernière, considérant qu’historiquement Bruxelles était une ville flamande, a installé le gouvernement de la Flandre à Bruxelles, bien que Bruxelles ne fasse pas partie de la Flandre dans le cadre du nouvel État fédéral belge. Cet exemple montre la difficulté des relations entre territoires et institutions.

Si nous revenons en France, il convient de rappeler d’abord la pluralité des institutions spatiales et la non-concordance inévitable entre les institutions spatiales et les réalités spatiales.

Un deuxième point consistera à synthétiser les douze dernières années, c’est-à-dire l’évolution depuis la décentralisation. Ensuite, nous porterons notre regard sur ce que j’appelerai, peut-être de façon provocatrice, la mythologie constructiviste. Enfin, nous essaierons de proposer les principes à respecter pour trouver le bon équilibre entre territoires et institutions.

Institutions et réalités spatiales

Rappellons d’abord la pluralité des institutions spatiales. En dressant en France l’inventaire des différents périmètres institutionnels existant de par la réglementation, nous n’en trouvons pas moins de vingt-sept1 . Parmi ceux-ci, se distinguent cinq périmètres infracommunaux, un périmètre unicommunal, onze périmétres pluricommunaux qui vont de la section de commune à la communauté urbaine en passant par les arrondissements communaux, les communes associées, les SIVU, les communautés de communes, les districts, les syndicats à la carte… cinq périmètres administratifs à fondements multiples, trois périmètres liés au département et deux à la région. Par exemple, le territoire de la commune de Saint-Germain-en-Laye participe à cinq SIVU, à un SIVOM et à un SIEP (Syndicat intercommunal d’études et de programmation). Il convient surtout de noter que ces différents organismes intercommunaux recouvrent des aires géographiques différentes, selon les besoins auxquels ils satisfont et selon aussi les choix effectués par les différentes communes de la région. Le territoire de Saint-Germain dépendant bien évidemment de décisions prises par la commune, par l’arrondissement, par le département et la région (par exemple dans le cadre de financements croisés), il est “encadré” par onze périmètres institutionnels.

La réalité institutionnelle de la gestion des territoires, en France, est donc extrêmement complexe puisqu’il existe, de par les textes, vingt-sept modes de gestion territoriale, nombre d’entre eux se complétant sur un espace considéré, même si les principaux sont les trois collectivités territoriales : commune, département et région. Or, inévitablement, les différents périmètres administratifs ne recouvrent pas nécessairement la logique géo-économique. Cette dernière peut conduire à définir des aires géographiques n’ayant pas les mêmes frontières que les périmètres institutionnels : c’est le cas lors qu’on considère le classement des périmètres géographiques par rapport à la ville-mère, à la métropole, du hameau à la métropole internationale, en passant par le village, le bourg, la commune rurale, l’agglomération secondaire, la ville isolée, la ville satellite, la ville périphérique, etc. Tous ces échelons géo-économiques ne s’insèrent pas nécessairement dans un cadre institutionnel défini, souvent dans aucun de vingt-sept légalement définis.

Une autre approche des périmètres géo-économiques consiste à prendre en considération le vécu des populations qui, selon leur âge, selon leur catégorie socio-professionnelle, ont des approches spatiales différentes. Certaines peuvent raisonner en termes de rues, d’autres en termes de quartiers. Par exemple, pour les enfants des écoles maternelles, le périmètre utile, c’est essentiellement le quartier. En revanche, quelqu’un qui connaît des migrations alternantes en raison de son activité professionnelle a un périmètre utile beaucoup plus large que la commune où il habite. Il est ainsi possible de distinguer des bassins d’habitat, des bassins d’emploi, des bassins touristiques, des bassins d’activités qui font l’objet d’un certain nombre de recherches.

Donc, en tout état de cause, il y a souvent non-concordance entre les réalités institutionnelles et les approches géo-économiques que l’on peut proposer. D’autres types d’approches conduisent à une analyse semblable : les périmètres d’études, c’est-à-dire les
découpages faits par l’INSEE en suivant un certain nombre de logiques, comme la continuité du cadre bâti qui permet de définir des unités urbaines extrêmement complexes à analyser, parce que l’aire géographique de la plupart d’entre elles se modifie à chaque recensement.

En considérant non plus la continuité du cadre bâti mais la continuité économique, l’INSEE définit des ZPIU (zone de peuplement industriel et urbain) qui peuvent inclure des communes dont la population est extrêmement faible.

Tout cet ensemnble forme une multitude de possibilités de points de vue sur le territoire, et j’ai distingué, dans mon livre Économie urbaine, soixante possibilités de regarder la façon dont un espace se présente selon qu’on considère son cadre institutionnel, son cadre géo-économique ou son cadre d’étude.

L’évolution depuis la décentralisation

L’évolution des douze dernières années, ce sera mon second point, est soulignée par deux éléments.

Le premier élément est la multiplication des nouveaux cadres institutionnels, notamment avec la nouvelle loi du 6 février 1992 sur l’administration territoriale de la République (ATR), qui a conduit à la création des communautés de villes et des communautés de communes. Ces deux nouvelles institutions se sont développées depuis pour satisfaireaux besoins de l’inter-communalité mais également pour des raisons financières.

Comme le précisait un maire, qui avait initié la création de la première communauté de communes, dans Le Monde : « On ne se marie pas pour avoir des cadeaux, mais on ne les refuse pas »2 .

Les nouveaux cadres institutionnels, notamment ceux créés en 1992, posent un certain nombre de problèmes. En particulier, en multipliant les modes structurels, ils rendent la lecture du territoire de plus en plus complexe pour les citoyens.

Deuxième élément d’évolution depuis 1982, c’est ce que j’appellerai une décentralisation paradoxale, qui conduit à des résultats peut-être équilibrés. D’une part, la France a créé une nouvelle collectivité territoriale, la région, en lui donnant un pouvoir politique important, ainsi que des moyens non négligables. La création d’une nouvelle capitale politique à l’échelon régional participe du processus de métropolisation3 , c’est-à-dire de concentration des hommes et des activités dans les villes capitales. Le poids démographique global des capitales régionales et surtout le poids démographique de leur population active a augmenté de façon considérable au cours de la dernière période intercensitaire (1982-1990).

D’une part, la régionalisation est dans une certaine mesure un retour à la politique des métropoles d’équilibre envisagée par le Ve Plan (1966-70)4 car elle se traduit par un poids généralement croissant des capitales régionales. Ceci résulte par exemple de la nécessité pour les partenaires locaux d’avoir des interlocuteurs au niveau régional. En outre, un certain nombre d’entreprises ou d’institutions ont dû également s’organiser au plan régional, ce qui a encore renforcé la capitale régionale. La quasi totalité des hôtels de région, cela relève du symbolique, se sont installés au centre de la capitale régionale et n’ont pas choisi une implantation dans un autre espace de la région.

Mais, d’autre part, les lois de 1982 ont maintenu le département, en en faisant une collectivité territoriale autonome, puisque, pour simplifier, le département avait auparavant un budget établi par le préfet. Les départements étaient de facto, dans une certaine mesure, gérés par l’État, ce qui n’est plus le cas depuis 1982. En confirmant le département, l’État a entraîné le maintien d’un certain réseau territorial, d’une administration départementale qui a limité la concentration des hommes et des activités sur les capitales régionales et, en définitive, a servi l’aménagement du territoire. Si les départements avaient été supprimés au moment de la création des régions, il y aurait eu une concentration des services, des activités et des hommes sur les métropoles régionales beaucoup plus forte au détriment des capitales départementales et des villes moyennes régionales, qui ont néanmoins souffert du processus de métropolisation.

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Gérard-François DUMONT
Professeur à la Sorbonne Directeur-adijoint de l’Institut d’urbanisme et d’aménagement

  1. DUMONT, Gérard-François, Économie Urbaine, Villes et territoires en compétition. Litec, Paris, 1993
  2. Le Monde, Heures locales, 23-24 janvier 1994.
  3. DUMONT, Gérard-François, Bulletin des élus locaux, Septembre 1993.
  4. DUMONT Gérard-François, L’aménagement du territoire, Les Éditions d’Organisation, Paris, 1994, p. 24-25
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