Intervention de Nancy BOUCHE
Administratrice civile chargée de mission auprès du directeur de l’architecture et de l’urbanisme.
Monsieur le Préfet, vous avez, si j’ai bien compris, axé votre intervention sur l’échec architectural de l’État dans notre paysage d’aujourd’hui. Il y a une tradition française du contrôle architectural qui est très ancienne, effectuée au nom de l’État, le Roi par de grands architectes ; vous connaissez bien sûr l’ensemble des règlements du XVIIe siècle ou du XVIIIe siècle.
Mais la question que vous posez au titre de la répartition des compétences et du pouvoir du citoyen me semble aller au-delà. L’architecture et l’aménagement que nous connaissons aujourd’hui, et notamment l’architecture, sont peut-être moins le produit de processus technocratiques, comme vous l’avez indiqué, que le résultat d’une rupture complète de notre culture, de notre culture architecturale en particulier, liée à la transformation de notre industrie et de nos savoir-faire.
Vous dites qu’aujourd’hui la norme architecturale n’existe nulle part que dans l’appareil d’État. Il me semble en fait qu’elle n’existe plus aujourd’hui car il n’y a plus ni culture académique, ni culture classique. Elle n’est exercée par l’État que sur des espaces extrêmement restreints qui sont, au pire ou au mieux, les limites des espaces protégés. Mais l’ensemble du dispositif du contrôle architectural n’échappe pas pour autant aux collectivités locales : en effet la France a la particularité dans ses règlements de plan d’occupation des sols de pouvoir édicter des règlements architecturaux extrêmement sophistiqués, parfois extrêmement pointus, par le biais des articles 11, et les collectivités locales ne s’en sont pas privées. Les Britanniques, par exemple, ont des documents d’urbanisme de portée générale qui n’ont aucun contenu qualitatif, que ce soit dans le
domaine de la préservation, de la protection des espaces ou de l’architecture, la conscience publique est porteuse de cette préoccupation par ailleurs et indépendamment de la règlementation.
Telle n’est sans doute pas totalement notre propre tradition mais, lorsque l’on porte attention aux règlements du POS, on s’aperçoit, et je crois que tous les élus le reconnaissent et le revendiquent, qu’il y a une très grande volonté normative de l’architecture au niveau de la commune.
Donc, lorsque vous parlez d’une nouvelle répartition de compétences dans ce champ, dont l’évolution échappe largement au pouvoir d’intervention des politiques (de l’État ou des collectivités locales), on pourrait s’interroger sur la place du citoyen face à la production architecturale, davantage ensuite aux rapports entre l’État et les collectivités locales, auxquels ce problème me semble échapper.
Quant au recours des citoyens par référendum, dans ce domaine de l’architecture, il me paraît ne pouvoir s’inscrire que dans une pédagogie de l’histoire de la connaissance, du savoir, de l’analyse qui va au-delà de la norme et du oui ou non.
Réponse de François LEFEVRE
Ce que vous me dites est très intéressant, mais ça confirme quoi ? Que l’État est relativement fort et sûr de lui sur la protection du passé et le système de normes héritées. Il est relativement simple de protéger quelque chose qui existe ou d’inscrire du nouveau à proximité de l’ancien ; mais quand il s’agit de trouver la norme de ce qui est
complètement nouveau dans un autre paysage, on est complètement désarconné ; c’est la culture personnelle de l’architecte, du promoteur ou du maire qui intervient pour régler la question. Ce n’est pas forcément mauvais, ça prouve que nous sommes dans une phase de crise et que, au fond, il faut passer par une phase d’expérimentation. Cette expérimentation n’a de valeur que si elle a un statut politique, que si elle est contrôlable par l’opinion et si elle peut engendrer, comme vous le dites, une nouvelle culture.