Reconvertir : « La reconversion est une rénovation avec un changement de programme, comprenant une réaffectation, une redistribution ou une requalification des espaces. Le monument est en quelque sorte recyclé dans la société, réutilisé, réemployé. […] Le recensement montre que tous les types de bâtiments sont susceptibles de subir une réaffectation. »1
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Le cas des temples du Panthéon et des Invalides
Le rétablissement de la liberté de religion en 1789 permit aux protestants de rétablir progressivement leur culte. C’est dans ce contexte que Napoléon donnera à Paris trois églises issues des biens nationaux. La première sera l’église de l’Oratoire, rue Saint-Honoré, commencée au début du XVIIe siècle et consacrée en 1750. Le bâtiment sera réaffecté dès la fin de 1792 après la dissolution de l’ordre des Oratoriens. Des services administratifs occupent les logements et l’église devient un magasin de décors de théâtre. Ce n’est qu’en 1811 que l’église est confiée aux protestants. L’église de l’Oratoire est devenue par la suite propriété de la Ville de Paris et ne fut concédée définitivement au culte protestant qu’en 1844. Deux autres églises désaffectées suivront. La chapelle du couvent des Visitandines, en 1802, située rue Saint-Antoine, et l’ancienne chapelle des Bernardines de Penthemont, rue de Grenelle. Cette dernière, alors utilisée par l’armée, ne sera libérée qu’en 1842.
Dans cette histoire mouvementée pour les églises, au tournant des XVIIIe et XIXe siècles, le Panthéon et les Invalides sont deux cas à part. Prévue à l’origine pour être l’église Sainte-Geneviève qui abriterait la châsse de la sainte éponyme, les travaux commencèrent en 1764. En 1791, l’église est transformée en Panthéon, avec la vocation d’honorer de grands personnages de l’histoire de France. C’est à cette époque qu’on mure les fenêtres pour des raisons structurelles. En 1806, l’église est rendue au culte, mais redeviendra Panthéon en 1885, lors du transfert des cendres de Victor Hugo. Le dôme des Invalides est au départ une chapelle royale construite entre 1677 et 1706. Temple de Mars sous la Révolution, l’église du Dôme devient panthéon militaire sous l’action de Napoléon Bonaparte, avec l’installation du tombeau de Turenne en 1800 puis d’un monument funéraire contenant le cœur de Vauban en 1808. À ce jour, le Dôme accueille, autour du tombeau de Napoléon Ier, les sépultures de l’Aiglon, de Joseph et Jérôme Bonaparte, des généraux Bertrand et Duroc, mais aussi celle des deux maréchaux Foch et Lyautey.
Les églises bifonctionelles
Dans des situations particulières, des églises vont faire l’objet d’une fonction complémentaire de signal matérialisé qui ne sera pas conflictuelle avec l’usage religieux : les églises ont toujours été utilisées comme amers par les marins mais, quelquefois, les services maritimes, soucieux d’en valoriser certains, les rendront plus visibles, souvent à l’aide d’un simple badigeon de chaux. Certains clochers, comme ceux d’Ars-en-Ré et de Sainte-Marie-de-Ré, se sont ainsi retrouvés avec la base en blanc et la pointe en noir, vers 1820. Seul celui d’Ars, de plus de quarante mètres de hauteur, construit au XVe siècle en style gothique flamboyant, a conservé cette singularité. La reconnaissance d’un clocher comme amer était perçue comme une sorte de privilège et de nombreuses paroisses revendiqueront cette qualité afin de bénéficier des subsides de l’État pour l’entretien de leur clocher tout en perdant leur liberté. Puisque, en accordant son aide, l’Administration s’octroyait « la faculté d’exécuter, à ses frais, tous les travaux qu’elle jugera nécessaires, soit qu’elle veuille en modifier le relief, soit qu’elle veuille le peindre avec telles couleurs qu’elle déterminera ».
Le cas de l’église Saint-Maurice à Montgenèvre, reconstruite au XVIIIe siècle, dans les Hautes-Alpes, est plus original mais relève du même principe. Un fanal accroché à son clocher servait de repère aux visiteurs qui franchissaient le col par mauvais temps. Les deux fonctions ne sont en fait pas antinomiques, celle de signal renvoyant à l’étoile du Berger.
S’il ne s’agit pas d’une reconversion permanente ou définitive, le concept de simultaneum (ou église simultanée) est aussi un partage de la fonctionnalité des églises qui doit être mentionné. C’est Louis XIV qui l’instaura après l’annexion de l’Alsace afin de faciliter la pratique du culte protestant. Il y aura jusqu’à cent cinquante églises simultanées et l’usage de certaines subsistent aujourd’hui. Cela se traduit soit par un partage dans le temps soit par une partition spatiale2 . Il existe également en Europe de nombreuses églises traversées par une route, une rue où un passage public3 . Ces configurations, qui ne sont pas à proprement parler des réutilisations, montrent cependant le rapport que peut entretenir un édifice religieux avec son cadre urbain et la bifonctionnalité qui en découle. La complexité de mise en œuvre de ces configurations met en évidence qu’aucune ne l’emporte sur l’autre et qu’il ne s’agit pas d’un simple problème technique de circulation. La volonté de bifonctionnalité doit être prise en compte dans l’analyse de ces imbrications.
Cet inventaire ne serait pas complet sans citer les églises fortifiées que l’on trouve dans différentes régions, mais principalement dans le Sud-Ouest, en Poitou-Charentes et en Thiérache4 , où on en compte sur un territoire réduit plus de soixante qui disposent d’éléments de défense active, caractéristiques parfaitement identifiables par référence à la typologie de l’architecture militaire.
Le cas des synagogues
Les synagogues sont nombreuses dans l’est de la France. Elles suivent à peu près les mêmes processus de transformation que les églises, également en raison de la diminution de leur fréquentation5 . À Mommenheim, la synagogue, édifiée en 1904, a été transformée en centre sportif et de loisirs. À Dambach-la-Ville, la synagogue néo-classique a été transformée d’abord en salle de gymnastique puis en salle de spectacles et, à Bouxwiller6 , la synagogue a été transformée en Musée juif. Celle de Delmes, en Moselle, a été transformée en centre d’art contemporain.
La synagogue de Bruyère, dans les Vosges, présente un schéma inverse. C’est une maison d’habitation qui sera transformée en synagogue par la construction d’une façade monumentale, d’une abside et d’une tribune intérieure. Lucien Hesse, architecte parisien connu pour des travaux dans la communauté, réalisa le projet final qui sera financé par un mécène. L’inauguration eut lieu le 17 septembre 1903.
Au XXe siècle
Les exemples semblent moins fréquents dans la première moitié du siècle. Le contexte des deux guerres a bien évidemment considérablement diminué les projets d’aménagement et si de nombreuses églises ont été des hôpitaux durant les conflits, ce ne fut que temporaire. À partir des années 1950, les transformations d’églises deviennent plus nombreuses et passent pourtant relativement inaperçues. Les programmes sont alors essentiellement culturels ou publics.
La filière “musée” reste un grand classique. L’archétype est pour les architectes la galerie David d’Angers7 , mais, bien avant, à Dijon, dès 1947, le musé consacré au sculpteur dijonnais François Rude partage un des bras du transept de l’église Saint-Étienne8 avec un musée d’Archéologique de l’ancien castrum de Dijon. Plus près de nous, l’architecte Pierre-Louis Faloci a enfin réglé, d’une autre manière, le cas de la chapelle du musée Rodin, qui avait perdu son affectation religieuse en 1919 pour devenir une salle d’exposition annexe du musée, et le toit avait été démonté en 1960 au profit d’une verrière dissimulée et sans qualité. Comment également ne pas évoquer, pour son originalité, l’improbable musée du Scaphandre à Espalion, installé depuis 1977 dans l’église Saint-Jean conjointement avec le musée d’Arts et Traditions populaires Joseph-Vaylet grâce à des initiatives de particuliers.
La filière salle de spectacles ou lieu culturel est l’autre grande destination des églises désaffectées durant la deuxième moitié du XXe siècle. On peut citer Senlis à titre
d’exemple parce qu’elle est représentative des villes à forte densité patrimoniale avec un patrimoine religieux important, lourd à entretenir. Deux églises importantes y ont été transformées depuis les années 1970. Sur les conseils d’André Malraux, le pianiste Georges Cziffra achète en 1973 la chapelle Saint-Frambourg, qui était alors transformée en garage. Depuis la Révolution, elle avait servi successivement de forge, de magasin de fourrage, de manège à chevaux et d’atelier de menuiserie. La fondation Cziffra est alors créée, avec pour objectif la restauration intégrale de l’édifice, son ouverture à un large public ainsi que l’accueil et la promotion de jeunes musiciens et artistes. À l’occasion du millénaire capétien, la chapelle se dote de vitraux conçus par le peintre Miró, réalisés par le maître verrier Charles Marcq. En parallèle, la Ville décide d’utiliser l’église Saint-Pierre, qui était la plus importante paroisse de Senlis jusqu’à la Révolution, comme centre culturel où les associations organisent chaque année des salons, expositions et concerts. Comme la chapelle Saint-Frambourg, elle avait connu une histoire assez mouvementée depuis sa désaffection en 1791 comme magasin de fourrage, fabrique de chicorée, quartier de cavalerie à partir de 1841, marché couvert, puis chapelle ardente pour les victimes de la tragédie du DC-10 de Turkish Airlines en 1974.
La transformation en habitation est plus confidentielle, plus récente et concerne, bien évidement, plus facilement des chapelles. Elle devient cependant fréquente. On citera comme exemple réussi de programme mixte la chapelle de style néogothique des Ursulines à Aire-sur l’Adour, dans les Landes. Il y a environ trois ans, des particuliers l’ont acquise pour “la maigre somme” de cent mille euros. Cette chapelle de six cents m2, laissée à l’abandon par son propriétaire, devait être démolie et transformée en parking. Grâce à la mobilisation du voisinage, la chapelle a retrouvé son cachet d’antan. Les deux tiers de la surface de la chapelle accueillent aujourd’hui les pélerins de Compostelle et de nombreux concerts. L’autre partie est habitée par le couple et ses enfants.
Philippe CIEREN
rédacteur en chef
avec le concours de François MICHAUT
- Dominique Rouillard, Architectures contemporaines et monuments historiques, Éditions du Moniteur, 2006. ↩
- À Saint-Pierre-le-Jeune de Strasbourg, simultanée entre 1681 et 1893, le jubé servit de séparation, le chœur restant catholique. À Sainte-Croix de Rountzenheim, église simultanée actuellement, les protestants utilisent un autel à roulettes. ↩
- André Corboz développe ce sujet dans son essai Le territoire comme palimpseste, chapitre Les églises perforées. 2001. L’église Saint-André à Chartres, par exemple. ↩
- Il y en a environ soixante-cinq en Thiérache : Sainte-Benoîte de Lerzy, Saint-Martin de Wimy ou Saint-Hilaire d’Autreppes, par exemple. ↩
- Diminution due principalement à l’émigration des familles juives vers les grandes villes, au conflit de 14-18 et au génocide de la Seconde Guerre mondiale. ↩
- Mommenheim, Dambach-la-Ville et Bouxwiller dans le Bas-Rhin. ↩
- La galerie David d’Angers fut créée en 1839 et localisée pendant près de cent cinquante ans dans le réfectoire du musée des Beaux-Arts de la ville. Au début des années 1980, la décision est prise de la transférer dans l’ancienne abbatiale Toussaint, datant du XIIe siècle et complètement restructurée en 1984 par l’architecte Pierre Prunet pour accueillir le musée. Le toit et sa charpente ont été réalisés en poutres métalliques couvertes intégralement de panneaux de verre laissant passer la lumière zénithale naturelle. ↩
- L’église Saint-Étienne, datant du XIe siècle, a été désaffectée en 1792. D’abord halle aux blés puis bâtiment municipal, elle abrite également, depuis 1896, la Bourse du commerce (devenue chambre du commerce et d’industrie en 2008). ↩