Les Parisiens et leurs églises : je t’aime, moi non plus

Paris, l’une des plus opulentes collectivités de France avec un budget de près de huit milliards d’euros, est riche d’un patrimoine gigantesque, dont d’exceptionnels monuments religieux.

Ce patrimoine gigantesque est détenu par des acteurs tant publics que privés, l’État (cathédrale Notre-Dame, Invalides, Sainte-Chapelle, etc.), le diocèse de Paris et, enfin, la Ville elle-même, qui en possède quatre-vingt-seize (quatre-vingt-cinq églises, neuf temples et deux synagogues), sans oublier cent trente orgues et quarante mille œuvres d’art. Au-delà des récentes polémiques qui ont mis en évidence l’état inquiétant de cette dernière catégorie d’édifices et le manque d’entretien chronique dont ils sont victimes (filets de sécurité et pare-gravois), il faut s’interroger sur les causes profondes du désintérêt et des négligences parisiennes. Cette situation a été dénoncée par le World Monument Fund qui, en 2013, a épinglé pour la première fois la France pour les églises Saint-Merri et Notre-Dame-de-Lorette. Si l’on n’évoque ici que très rapidement le diocèse de Paris propriétaire, c’est que les édifices qu’il possède ont été construits après 1918 avec des matériaux industriels (la brique généralement) d’entretien facile, d’où leur bon état ; et que, d’autre part, la DRAC d’Île-de-France a publié en 2013 un cahier consacré aux plus remarquables des églises de la période.

Les causes

Le patrimoine religieux parisien est victime de ses particularités historiques. La première raison est d’ordre sociologique : il s’agit de la mobilité de la population parisienne qui déménage fréquemment et n’éprouve pas pour l’édifice paroissial l’attachement patrimonial, communautaire et identitaire (c’est l’esprit de clocher !) qu’on observe fortement dans les campagnes. D’où ce paradoxe : tandis que les églises de campagne, qui souvent restent vides, sont généralement bien entretenues, les paroisses parisiennes accueillent un nombreux public indifférent à l’état médiocre de son église. Seconde raison, d’ordre architectural : le XIXe siècle, au moment du développement de la capitale, a produit de nombreuses églises paroissiales sous l’autorité tant de la Ville que du ministère des cultes. Les partis de
construction ont évolué, d’abord modestes (Saint-Denis du Saint-Sacrement) puis très ambitieux (la Sainte-Trinité). Ces églises ont été très fréquemment et largement décorées de peintures murales marouflées ou à fresque (et autres techniques), aussi bien la grandiose Saint-Sulpice que la modeste Saint-Bernard de la Chapelle. Troisième raison, et c’est un phénomène majeur : l’absence durable d’un entretien suffisant depuis Victor Baltard sous le Second Empire fait que les églises du XIXe siècle n’ont, elles, jamais subi la moindre restauration d’ensemble depuis leur construction. Cette absence d’entretien est désastreuse s’agissant des peintures murales qui pourraient faire des églises de Paris des musées ouverts à tous, habitants comme touristes.

Indifférence

Il semble bien que le véritable problème soit l’indifférence générale des Parisiens, tant des paroissiens que de leurs élus. Depuis la fin du XIXe siècle, la cristallisation du sentiment patrimonial ne s’est pas produite pour les églises, y compris les plus anciennes, et ce phénomène s’est amplifié aujourd’hui : chacun fréquente les cérémonies religieuses à la carte, selon ses sensibilités spirituelles, liturgiques ou musicales, ses disponibilités horaires, etc. Les élus, enfin, s’ils ont conscience de la gravité de la situation, n’en ont pas tiré les conséquences. D’abord sur le plan budgétaire, puisque, bien qu’en augmentation, les budgets ne sont toujours pas à l’échelle des besoins. En effet, avec en moyenne treize millions d’euros par an (quatre-vingt millions sur six ans) pour l’entretien et la rénovation des quatre-vingt-seize édifices et œuvres d’art qu’ils contiennent (dix millions d’euros représentent 0,125 % du budget général de la Ville de Paris), la Ville ne sera pas en mesure d’affronter les chantiers majeurs tel celui de Saint-Augustin ; à eux tous, ces grands chantiers coûteraient plusieurs centaines de millions d’euros dans les vingt années à venir !

Suggestions

En dépit de quelques heureuses initiatives (ainsi les très belles expositions de peinture religieuse provenant des églises parisiennes présentées au musée Carnavalet), aucune action d’ensemble n’a été mise en œuvre, laissant le soin à chaque paroisse d’accueillir le public selon ses moyens. Dans le cadre de la politique touristique de la ville, qui se veut la plus belle capitale du monde, il faudrait souligner le rôle que jouent les églises dans l’équilibre du paysage urbain qu’elles scandent de façon spécifiquement parisienne. C’est ainsi que Saint-Augustin et Saint-Pierre de Montrouge structurent des carrefours haussmanniens ; tandis que Saint-Vincent-de-Paul fait superbement le lien entre les IXe et Xe arrondissements ; sans oublier la beauté des dômes du Marais qui évoquent les splendeurs romaines. Alors une question : pourquoi ne visiterait-on pas les églises de Paris comme celles de Rome où de Florence ? On pourrait en effet imaginer la valorisation systématique de chaque édifice, y compris les plus modestes et les plus excentrés. À l’aide d’abord d’un fléchage efficace. À l’extérieur, des panneaux d’information bien rédigés et complets à partir d’un format normalisé ; à l’intérieur, une mise à disposition de documents d’information de qualité et gratuits. Et, enfin, une amélioration des éclairages. En parallèle à la mise en valeur de chaque édifice, on pourrait mettre en place des circuits touristiques avec une stratégie globale qui reposerait notamment sur des parcours thématiques (baroque, vitrail, etc.), géographiques et/ou chronologiques animés par des guides bien formés. Paris pourrait s’inspirer ici des Villes d’arts et d’histoire qui accomplissent un remarquable travail de valorisation de leur patrimoine. On pourrait aussi imaginer des émissions de télévision à vocation culturelle (comme Des racines et des ailes où le feuilleton de France 2, après le 13 Heures). Cette valorisation (que l’OPR a en partie engagée à son modeste niveau par des visites guidées mensuelles) suppose une remise en état progressive non seulement des façades et toitures, mais aussi des intérieurs. Cela exigera peut-être des choix douloureux, notamment pour certains décors peints appliqués au XIXe siècle dans les églises anciennes. En revanche, l’idée de proposer de nouvelles activités culturelles dans les églises de Paris semblent illusoire pour deux raisons. D’abord parce que les églises parisiennes abritent toutes de nombreuses activités religieuses, contrairement aux églises rurales sous-utilisées et disponibles pour l’art contemporain ou la musique. Ensuite, parce que l’offre culturelle parisienne est déjà importante et en expansion. Mieux valoriser les églises, oui, mais efficacement et en évitant le mélange des genres quand il ne fait pas sens. Enfin, la valorisation du patrimoine religieux exige la participation des Parisiens, fidèles ou non, dont il faut secouer l’indifférence à l’égard de leur patrimoine de proximité. Un nouvel écosystème est en train d’apparaître associant paroissiens, résidents, municipalité propriétaire et clergé affectataire avec, notamment, la mise en place de la Fondation avenir patrimoine (menée par le diocèse), qui devra faire ses preuves, ou du Fonds de dotation de Saint-Germain-des-Prés, déjà très actif. On ne soulignera jamais assez l’importance d’un engagement citoyen des Parisiens : seule leur mobilisation permettra le sauvetage des édifices les plus menacés. C’est la mission que s’est fixée l’Observatoire du patrimoine religieux.

Françoise HAMON
secrétaire général de l’Observatoire du patrimoine religieux

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