En une trentaine d’années, l’occupation des ports parisiens a subi l’une des plus grandes mutations de son histoire. D’un usage de type traditionnel, les berges portuaires de la Seine ont vu leur fonction modifiée en profondeur, soit par la modernisation des sites industriels, soit par le changement de la nature des activités. L’évolution du trafic fluvial, l’abandon des grands pôles industriels dans Paris se sont traduits par un regain d’intérêt des résidents pour les berges et le développement de l’animation/loisirs en bord de Seine.
Le Port autonome de Paris, la Ville de Paris et les services de l’État ont accompagné cette évolution de manière créative et originale.
Configuration des ports parisiens
L’espace portuaire sur Paris ne couvre pas toutes les berges. On compte deux types d’espaces : d’une part, les berges elles-mêmes, dont la vocation en général n’est pas portuaire, gérées pour près de la moitié d’entre elles par la Ville, Voies navigables de France et le Port. D’autre part, les parties comprenant les quais à vocation portuaire, situés sur le domaine public fluvial, dont la gestion est confiée au Port autonome de Paris ; enfin l’espace occupé par les voies sur berges est du ressort de la Ville de Paris.
Ces quais, ou ports, furent construits de toute pièce comme interface entre les quartiers industriels et commerçants et la voie navigable. Ainsi, les quais de Bercy et Saint Bernard correspondaient à la zone d’entrepôt des Halles aux Vins, relais marchands des vignobles de l’est et du sud-est parisien. Le port de Solférino servait de plateforme d’échange avec le quartier des marchands de bois de la rue de Lille, les ports de Javel correspondant au quartier industriel adjacent.
Les plateformes portuaires, vastes zones d’échanges, interfaces entre les emprises privées de production ou d’entrepôts inscrits dans le tissu urbain, étaient le seul espace public propice aux livraisons. Leur création est récente, pour la plupart d’entre-elles (du XVIIIe au XXe siècle) : soit elles ont remplacé une “grève” sur laquelle s’échouaient les chalands ; soit leur configuration résulte de l’excroissance, sur le lit du fleuve, d’un quai ou d’un perré.
Bien que récents, ces ouvrages d’art présentent tous une qualité de conception et de réalisation, fondée sur une tradition de génie fluvial : des quais verticaux, réalisés en pierre, bordés de massives pierres de rives et recouverts de pavés “napoléon”. Ils se sont ainsi fondus dans le paysage général de la Seine, au point que nul aujourd’hui ne songerait à les démolir pour restituer une berge ordinaire à leur emplacement.
Aujourd’hui, le fonctionnement linéaire -dans le sens du fil du fleuve- a remplacé le dispositif qui fonctionnait donc perpendiculairement, des îlots urbains d’activités. Cette pratique a entraîné une nouvelle appropriation des berges, également linéaire pour des activités de loisirs. De là, il n’y avait qu’un pas à franchir, pour assimiler cette disposition aux berges courantes et conférer à ces espaces une valeur de continuité dans le sens du fleuve.
Redéfinition des usages et qualification des potentiels d’aménagement
La nouvelle définition des usages s’est faite d’abord par le constat de la situation. Des années 60 à 80, les activités des sites portuaires se sont progressivement éteintes : les tas de charbon, de verre ou de ferrailles, les tonneaux en lignes, les stocks de bois, dominés d’immenses ponts roulants qui, à Bercy, à La Rapée, à Javel ont charmé, pour certains d’entre-nous notre enfance parisienne ont tous disparu. Seuls les marchands de matériaux ont subsisté et les centrales à béton se sont développées. De nombreux quais restaient inexploités et, parallèlement, le tourisme fluvial commençait à prendre son véritable essor.
Le Plan d’occupation des sols de Paris a alors défini des zones fonctionnelles, encore fixées aujourd’hui : les berges industrielles aux extrémités est et ouest de Paris et les autres ports en “animation-loisirs”.
L’occupation spontanée des berges a provoqué un foisonnement d’installations, plus ou moins heureuses, qui, mêlées aux friches industrielles, menaçaient le paysage parisien. Cette situation devenait d’autant plus critique que les Parisiens, eux-mêmes, oubliaient le caractère foisonnant et esthétique du monde commercial et industriel qui, pendant plusieurs siècles, avait façonné les berges de Seine pour revendiquer des espaces plus “policés” ; c’est à ce moment, entre 1985 et 1995, que la grande mutation des fonctions portuaires et du paysage fluvial s’est confirmée. La Ville de Paris s’est clairement inscrite dans cet objectif et, de concert avec le Port autonome et les architectes des bâtiments de France, a suscité un vaste chantier de réflexion collective.
Le Port de Paris s’est alors adjoint les services d’un programmiste (bureau d’étude de pro- grammation) qui, par étapes successives, a défini les types de vocation adaptés aux ports. Cette démarche devait prendre en compte la qualité des sites, les accès et équipements, l’attractivité et la desserte des quartiers environnants ainsi que la dimension économique des investissements ; ce document, ouvert, tentait une approche rationnelle destinée à déterminer la capacité d’accueil des sites, en terme d’animations et d’exploitations. Basé sur un objectif d’occupation des espaces exploités par le port, il se traduisait par une liste assez exhaustive, par port, des types d’exploitations envisageables avec le support d’une thématique. Ainsi, la configuration de certains d’entre eux s’est assez rapidement déterminée pour devenir aujourd’hui effective : le promenoir des animations et loisirs de Javel-bas prolonge naturellement le jardin André Citroën du XVe arrondissement, le regroupement de la batellerie de cafés-théâtres s’est consolidée au port de la Gare, en face de la Grande bibliothèque, les bases de croisières fluviales à Grenelle et, de manière prestigieuse, à Henri IV. Les pistes esquissées par les programmistes se sont révélées au contact de grands investisseurs dont l’ambition, en matière de tourisme fluvial, a fait remonter le niveau tant de la qualité des prestations que des réalisations.
Un programme fédérateur
À partir de 1995, la Ville de Paris a développé un important programme de promenade sur les berges. Ce projet s’appuyait sur un circuit linéaire continu d’est en ouest, du port de Bercy au port de Javel-bas. Ce cheminement fédère tous les sites, dont le bassin du parc de Bercy et de la Grande Bibliothèque, le cœur de Paris et les abords du parc André Citroën. Toutefois, le parcours était interrompu, soit par l’absence de berge, soit par la manière dont quelques ports étaient exploités. Le Port et la Ville, appuyés par la Préfecture, ont mis en œuvre un important programme d’aménagement pour réaliser la continuité piétonne. À cet effet, des projets d’aménagement ont porté sur les interruptions de parcours qui nécessitaient des travaux, notamment la création d’un quai bas entre le pont de l’Alma et le port Debilly et l’ajout d’escaliers entre les quais bas et quais hauts sur les sites qui le nécessitent, en raison de leur relation avec les quartiers les plus attractifs. D’autre part, la majorité des aménagements d’animation-loisirs, en cours ou en préparation, doivent libérer une bande, en général pavée, en bord de quai sur une largeur moyenne de six mètres.
L’aménagement des rives de la Seine, ainsi que l’exploitation des espaces portuaires, pose le problème du choix du parti d’aménagement et ensuite des modalités de gestion des amodiations aux exploitants. La Ville de Paris, le Port et le Service départemental de l’architecture et du patrimoine se sont concertés sur les objectifs paysagers et architecturaux par la confection d’un cahier des prescriptions architecturales, véritable charte des aménagements. À cet effet, le Port de Paris m’avait confié la rédaction de la minute de ce document, qui a ensuite été affiné point par point, lors de nombreuses séances de travail. Ce document se présente comme une charte et sa portée se limite à des recommandations, dans la mesure où il ne semble pas possible de traduire une somme de détails en termes strictement réglementaires au POS de Paris. Le cahier des prescriptions comporte des obligations pour les aménageurs, notamment sur les ouvrages d’art (quais, sols et murs, mobilier, ouvrages techniques et fonctionnels) et des contraintes pour les exploitants (installations, amarrages, aspect des établissements flottants et navigants) ; le document est joint aux conventions d’occupation du domaine public fluvial lors de chaque engagement ou renouvellement des amodiations.
Le document est formé de deux parties : les berges, les bateaux.
La première partie, concernant les berges, présente un ensemble de prescriptions visant à confirmer le caractère des lieux, le système de quais ou des plateformes dans leur simplicité géométrique et l’usage de la pierre pour les parements, sols et murs. Les dispositions relatives aux constructions s’orientent vers une architecture de métal et verre posée sur les quais comme des objets mobiliers.
En ce qui concerne les bateaux, l’établissement de prescriptions est très délicat ; ces installations sont mobiles par nature. Le document peut s’appliquer aux installations fixes comme les pontons d’embarquements pour les bateaux à passagers (longueur, hauteur essentiellement). Pour les autres installations, les prescriptions permettent d’établir une sélection des bateaux qui seront attachés aux ports parisiens, dans la majorité des cas, et un cadre d’évolution pour gérer leurs transformations. Le renouvellement important du patrimoine de bateaux à passagers se traduit par une nouvelle vague de créations (catamarans, coques carrossées), dont il n’est ni possible ni souhaitable d’en règlementer l’aspect, tout comme l’architecture contemporaine et dont l’évolution est négociée au cas par cas. Le cahier des prescriptions distingue nettement les installations fluviales traditionnelles des créations afin de limiter, sauf exception, le foisonnement de bateaux dont l’aspect serait sans rapport avec le paysage fluvial.
Par son pouvoir de recommandation, le cahier des prescriptions ouvre le champ à des créations hors normes, dans la mesure où elles s’insèrent dans une conception appréciée sur chaque entité paysagère (on considère comme entités essentiellement les bassins formés par le fleuve entre deux ponts).
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Bernard WAGON
Architecte, urbaniste conseil auprès du Port autonome de Paris