Secteur sauvegardé

Sa révision, récemment achevée, renouvelle l’attention portée depuis plus de quarante ans sur l’ensemble urbain lié à la cathédrale. L’architecture contemporaine y a trouvé une place, constante, discrète et affirmée.

Mis en œuvre en 1964, approuvé en 1971, le secteur sauvegardé de Chartres est l’un des premiers de France, à la suite de la loi voulue par le ministre de la Culture André Malraux en 1962. Cette démarche de protection, élaborée sous la conduite de l’architecte Guy Nicot, représente alors un véritable travail de pionnier dans un domaine où tout était à inventer.

Le document reflète les goûts de l’époque en matière de patrimoine ; il protége l’architecture la plus ancienne, mais ignore les bâtiments du XIXe siècle alors méconnus. Par ailleurs fort heureusement, certaines opérations de curetage ou d’élargissement de voies, ou la réalisation d’un vaste parc de stationnement sous les jardins des terrasses de l’évêché, proposées par le plan, n’ont pas été réalisées.

La cathédrale au centre du dispositif

Le périmètre du secteur sauvegardé est d’abord celui de cet édifice ; une partie de la ville intra muros et les amorces des faubourgs en sont exclues, lacune qui pourra être comblée par la future ZPPAUP en projet. Les opérations de construction et de restauration y ont été conçues dans un souci de discrétion vis-à-vis de ce monument majeur.

Le premier plan de sauvegarde est allé à l’essentiel, dans un centre ancien très dégradé créant les conditions de revitalisation d’une grande partie du centre ancien et du retour
des habitants dans un cadre attrayant. Très opérationnel, il a d’abord proposé
des îlots d’intervention prioritaire où vont s’équilibrer restaurations ambitieuses et constructions neuves de logements. Il s’agit en particulier du secteur de la rue des Écuyers et de la “basse ville”. Par nécessité liée à l’état du bâti, et aussi sans doute par choix, les restructurations et donc les reconstructions menées, d’abord par la SEM de Chartres ont été poursuivies par des opérateurs privés. Sur les bords de l’Eure, le parcellaire et le
paysage urbain ont été remodelés par plusieurs opérations groupées de logements au cours des quarante dernières années (rues de la Brèche, du Massacre, de la Planche aux Carpes,
des Trois Moulins, foyer résidence Marcel Gaujard…).

Une révision nécessaire

Cependant, en accord avec son auteur, il a été constaté que ce plan devenait obsolète au début des années 1990. En trente ans, la réflexion sur la sauvegarde et le patrimoine s’est élargie aux XIXe et XXe siècles, les règles de protection se sont à la fois affinées et assouplies, les modes de vie ont changé et la conception même de la place réservée au centre historique dans la ville a évolué.

Sa révision a donc été décidée ; l’étude en a été confiée à l’architecte urbaniste, Yves Steff en 1996. Menée en concertation avec les élus, elle s’est achevée en 2002. L’expérience des praticiens et prescripteurs, gestionnaires du secteur sauvegardé que sont l’architecte des bâtiments de France et l’urbaniste de la ville, a été mise à contribution à tous les stades de l’étude de révision.

Il est apparu nécessaire d’approfondir la connaissance, d’éviter de se réfugier derrière le façadisme ou un pittoresque plaisant, de mieux comprendre le développement historique de la cité en s’appuyant sur les acquis des archéologues, de conduire une étude systématique pour mieux appréhender les caractéristiques architecturales de chaque typologie. Il s’agissait de tenir compte des modes de vie actuels, de trouver la juste place à accorder à l’automobile, de prendre en compte les activités économiques, les transports ou le tourisme.

La reconnaissance du bâti

Après un premier inventaire des immeubles présentant un intérêt urbain ou architectural, ont été établies près de huit cent cinquante fiches caractérisant les constructions intéressantes (datation, implantation, volumes, styles, composition des façades, matériaux, etc). Leur analyse systématique a permis de dégager des typologies et des valeurs architecturales, puis les prescriptions réglementaires qui s’y rattachent.

Un travail de recherche approfondi a concerné les constructions à structure de bois qui constituent, avec les quelques édifices publics ou religieux en maçonnerie, l’essentiel du patrimoine du centre ancien de Chartres. Sans parler des rescindements liés aux alignements, la grande difficulté de datation de ce patrimoine vient des ravalements, qui ont entraîné au cours du XXe siècle un traitement très simplifié, de mise à nu des pans de bois ou, plus souvent, d’enduit gratté gris et de cadres de bois rapportés. Les anciennes représentations montrent une diversité bien plus grande, avec des décors moulurés en plâtre du XVIIe au XIXe siècle, bien trop souvent encore supprimés lors des récents travaux.

L’un des acquis de la révision du plan de sauvegarde et de mise en valeur est sa capacité à rendre à chaque immeuble une expression architecturale en cohérence avec sa période de construction. Ces savoir-faire, auparavant considérés comme “mineurs” (en comparaison d’une
note médiévale majeure appliquée à la ville), ont été développés au cours de la révision du plan de sauvegarde.

En particulier, des stages de formation d’artisans aux techniques des modénatures et mortiers plâtre et chaux, ont relayé les demandes précises de l’architecte des bâtiments de France et amené un nombre suffisant d’artisans à prendre la relève dans ce domaine.

Architectures récentes

Les analyses architecturales ont enfin montré que plus de trois cents immeubles ou maisons ont été construits depuis la conception du plan, c’est-à-dire depuis moins de quarante ans,
surtout dans la basse ville, rajeunissant considérablement le visage du secteur sauvegardé. C’est l’une des caractéristiques de Chartres, qui présente une proportion de logements
anciens notoirement plus faible que les autres secteurs sauvegardés : seulement 44,4 % contre 69,8 %.

Sur les bords de l’Eure, le bâti est en majorité constitué d’immeubles récents. Le premier effort sensible de “reconstruction” apparaît de 1968 à 1974, mais c’est surtout entre 1975 et 1981 que la construction bat son plein : 20,3 % des logements datent de cette période.

L’effort ne se relâche guère ensuite puisque 15,2 % ont été construits de 1982 à 1990. Plusieurs programmes significatifs ont encore été réalisés depuis (logements sociaux rue des Trois Moulins, rue du Pot Vert ou de la Planche aux Carpes, résidence privée Saint-François…). L’un d’entre eux est en cours de construction (logements en accession de la SEM, rue du Bourg).

Élaborées dans un premier temps comme un accompagnement discret de la cathédrale, les interventions architecturales ont porté dans les années 1980 sur un registre assez
simplifié : suites de pignons sur rues, légers encorbellements en bois, enduits grattés, encadrements en bois “à la chartraine” pour les fenêtres, volets de teinte neutre.

La création contemporaine s’est intégrée ensuite naturellement, grâce à l’apport d’architectes qui se sont eux-mêmes installés dans le secteur pour y vivre et y travailler : Antoine Soulier d’abord, puis Odile Bermond et Jean-Paul Porchon, Frédéric Cordier, François Semichon, Frédéric Gau, Abdou Sene et Frédérique Thieulin, la liste reste ouverte.

Les architectes des bâtiments de France ont toujours encouragé et accompagné ces interventions sans concessions et sans heurts : ni pastiche ni “modern box”.

La modernité s’exprime en douceur affirmant ses références ou ses racines. Celles-ci sont souvent puisées dans des architectures simples et fonctionnelles liées à la rivière. Référence par exemple aux séchoirs et aux teintureries par le rapport à l’eau, l’emploi du bois… Le recours systématique aux toits, l’emploi de matériaux familiers comme les enduits à la chaux teintés de brique, de pierres en soubassements ou de briques, n’a jamais été négligé, tout comme les apports plus ponctuels en béton moulé ou en métal.

Logements et équipements

La place des logements neufs a été considérable dans la restructuration de la ville ancienne. L’évolution du secteur sauvegardé ne s’arrête pas non plus avec sa récente révision.

Les études de révision ont montré que de nombreuses opérations de restructuration urbaine, ou plus simplement de construction, restaient non seulement possibles mais souhaitables : le XXIe siècle peut prendre sa place dans le secteur sauvegardé de Chartres.

C’est ainsi que différents îlots, appartenant principalement à des institutions, collectivités ou associations, offrent la possibilité de nouveaux programmes bâtis (par exemple, le lycée Marceau, les cours Perrault, l’institution Notre-Dame, le couvent Saint-Jacques, l’hôtel de ville, le centre d’information de l’armée, etc).

Malheureusement quelques grands équipements comme le tribunal ou les archives départementales quitteront le secteur sauvegardé faute de possibilités de développement sur place. La
requalification des locaux qu’ils occupent actuellement sera l’un des enjeux essentiels des années à venir.

En revanche, les architectes Alluin et Mauduit, lauréats d’un concours pour la restructuration du lycée Marceau, ont d’ores et déjà engagé le chantier d’un futur gymnase sur un terrain qui domine l’ancienne abbaye Saint-Pierre.

C’est la première pierre du redéveloppement de cet équipement sur lui-même, réussite de la programmation menée par les services du Conseil régional en “interaction” avec la révision du plan de sauvegarde. Enfin, un autre secteur reste à aménager devant le portail royal de la
cathédrale Notre-Dame… Après de longs débats locaux et en Commission nationale, le plan de sauvegarde a fait partager l’idée d’une reconstruction possible sur le parvis en lieu
et place notamment de l’ancien Hôtel-Dieu.

Il en définit le cadre général. Cet acquis de principe reste en attente d’une étude de définition pour lui donner forme et contenu.

Marie-Laure PETIT
Architecte des bâtiments de France, Chartres
Yves STEFF
Architecte urbaniste chargé de la révision du plan de sauvegarde de Chartres

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