Les gestionnaires des fameux jardins de Sanssouci, ancien palais d’été du roi de Prusse Frédéric le Grand situé à Potsdam, s’interrogèrent rapidement sur la conservation des jardins historiques face aux effets du changement climatique. Constatant une absence de réflexion sur ce sujet, un colloque réunissant la plupart des spécialistes européens fut organisé à Sanssouci en septembre 2014 en coopération avec la Fondation fédérale allemande pour l’Environnement (Deutsche Bundesstiftung Umwelt, DBU) et l’ICOMOS-IFLA (Comité scientifique international des paysages culturels) avec pour objectif de rédiger un ouvrage de recommandations pour la conservation des jardins historiques face aux changements climatiques.
Si la tempête du 26 décembre 1999 et l’émotion internationale devant la dévastation du parc de Versailles et de ses 10 000 arbres touchés ont permis de faire prendre conscience à un large public des effets directs du changement climatique sur les jardins et en particulier les jardins historiques, c’est chaque jardinier qui mesure, saison après saison, les changements dans son jardin et adopte des stratégies, procède par tâtonnements. Le paysagiste Gilles Clément est bien sûr de ceux qui, en France, ont très tôt alerté les responsables comme tout un chacun, sur la disparition de ce savoir-faire et de cette attitude respectueuse envers les jardins et la planète.
Décentralisation, diversité des territoires, force est de constater qu’il n’y a pas encore en France de dynamique globale ni de méthodologie partagée pour une réflexion sur les stratégies à adopter dans les jardins historiques face aux changements climatiques. On note qu’il manque en premier lieu un observatoire dédié à la collecte des observations sur les effets dans les jardins historiques, au-delà des travaux fort utiles du FREDON qui signalent la plus forte présence des agents pathogènes. Cet article, écrit à quatre mains par différents observateurs, se veut donc une réflexion prospective à partir d’exemples rencontrés, d’expériences de gestion d’espaces patrimoniaux, il voudrait s’inscrire dans un mouvement plus général de prise de conscience de la manière d’envisager les jardins, qu’ils soient historiques ou non, comme des espaces profondément vivants, avec, comme perspective philosophique le problème de l’homme dans sa relation à la nature.
Ce sont les forestiers qui ont commencé à se pencher sur ces questions, convaincus de la place essentielle des forêts dans la lutte contre le réchauffement climatique, et travaillant sur une échelle de temps qui est celle des changements climatiques. Comme l’indique l’Office national des forêts, « adapter la gestion forestière aux changements climatiques est une priorité et le forestier doit identifier les essences forestières bien adaptées aux conditions climatiques et aux types de sols, préserver les sols en limitant le tassement par les engins forestiers, dynamiser les sylvicultures pour améliorer la résistance au stress hydrique »1
Si la composante forestière est essentielle dans de nombreux parcs, le jardin a cependant d’autres échelles de temps et d’autres modes de gestion qui ne permettent pas de calquer les méthodes. Il y a peu ou très peu de littérature qui concerne spécifiquement les jardins historiques et le changement climatique. Les Carnets du paysage avaient cependant consacré en 2008 une livraison complète au sujet du climat pour les jardins et le projet de paysage, Des défis climatiques. Richard Bisgrove y livrait un article soulignant le paradoxe des jardins historiques au XXIe siècle, qui, justement par leur caractère historique, « offrent une façon d’envisager l’avenir aussi bien que de considérer le passé », avec leurs « modes de gestion qui permettaient jadis de pourvoir aux besoins humains en nourriture, en vêtements, en matériaux de constructions et en médicaments, tout en favorisant la biodiversité et en assurant aux territoires une capacité d’absorber les chocs écologiques — autant de réponses à nos aspirations dans une économie postindustrielle mondialisée ». Les journées de Courson2
avaient aussi consacré l’édition du printemps 2012 au thème « Le climat fait des siennes », donnant la parole aux pépiniéristes de toute la France pour identifier des végétaux qui puissent résister à l’instabilité du climat.
C’est en effet l’inadaptation nouvelle de certains végétaux pourtant courants et l’apparition de pathologies qui rendent tangible pour le jardinier le changement climatique à l’œuvre, touchant les matériaux essentiels des jardins que sont les végétaux et le sol à travers la faune, avec des conséquences sur la composition spatiale qui fait la particularité de chaque lieu. Cette adaptation au matériau disponible est le lot de chaque jardin : le dessinateur de jardins du XVIe siècle ne pouvait anticiper l’impact de la découverte de l’Amérique sur les jardins, ni l’ingénieur du XIXe siècle chargé de planter des platanes le long du canal du Midi imaginer les échanges commerciaux multipliés et les risques de maladies qui y sont liés ou la seconde guerre mondiale responsable de la diffusion du Chancre coloré. Traiter des jardins historiques en période de changement climatique revient donc à étudier l’impact du changement climatique sur l’emploi du végétal comme architecture végétale dans les jardins, et inviter à comprendre ce qui fait l’essence du lieu.
Nous relèverons les problèmes probablement liés aux changements climatiques et les attitudes nouvelles observées depuis 1999, les conséquences sur la gestion des domaines historiques avant d’insister sur l’importance de projets d’intervention qui prennent en compte ces facteurs nouveaux.
La nouvelle donne climatique dans les jardins historiques
Jardiniers et gestionnaires signalent aujourd’hui différents événements et tendances générales problématiques qu’ils imputent à ce changement de climat.
La multiplication visible des maladies sur des végétaux structurants du jardin en est une manifestation probable. Marronniers aux feuillages brûlés par la mineuse Cameraria ohridella partout en France, parterres de broderies dont les buis dépérissent, touchés par le Cylindrocladium buxicola à Vaux-le-Vicomte ou à Rosny-sur-Seine, chênes dépérissant, tous ces arbres sont promis à l’abattage plus ou moins rapide pour éviter la propagation, emportant avec eux l’armature du jardin, de ses allées et de ses perspectives. Il n’est malheureusement pas nécessaire de multiplier les exemples, tant ces pathologies sont diffusées et connues.
Il est également observé une multiplication des épisodes venteux extrêmes, avec coups de vent, tornades parfois très locales, dont les conséquences sur les structures des arbres ne sont pas forcément visibles immédiatement, mais les fragilisent à long terme3 . Si la tempête de 1999 a abattu les groupements végétaux pas entretenus et vieillissants, elle a aussi touché des boisements plus jeunes. Elle a surtout révélé l’importance d’une gestion attentive, à l’échelle de la composition mais aussi de chaque arbre, comme le montre le soin accordé par Pascal Cribier à la taille de chaque arbre de son jardin de Varengeville pour réduire l’effet des coups de vent toujours plus fréquents dans le vallon où il a installé son œuvre. Il faut noter que cette incidence des forts vents est aussi liée à la teneur en eau des sols. Dans le même temps l’hygrométrie est généralement en baisse, comme en témoignent la raréfaction des brouillards et des bruines dans la plupart des régions. Enfin, l’augmentation constatée du vent, même sans épisodes violents, assèche les sols, brûle la cime des arbres, fragilise les feuillages et tous les éléments végétaux.
« Il n’y a plus de saison ! » se plaignent souvent nos compatriotes, désorientés par les épisodes de climat toujours plus marqués et les courbes de températures et de pluviométrie bien loin des normales saisonnières, voyant se succéder micro-canicules et pluies diluviennes. Le jardin en subit les conséquences avec le développement des agents pathogènes, dont la reproduction est aussi perturbée et souvent accélérée. La canicule de 2003 a marqué les esprits et vu une grande progression de la mineuse du marronnier, qui en 2013, après un printemps médiocre à température faible, a au contraire été peu active. Les jardiniers ont noté que les oscillations des températures et du degré d’humidité ont une incidence immédiate sur des cycles de reproduction de champignons et insectes, l’augmentation de la température moyenne favorisant les cycles de reproduction et leur précocité.
Un signe qui ne trompe pas de cette perturbation générale des cycles naturels de la flore comme de la faune est celui des pelouses, qui poussent tant que la période de tonte s’est étendue de près de trois mois par rapport aux années 1970, demandant un entretien presque continu sur l’année dans certains jardins urbains, avec une tonte jusqu’en décembre en 2013. Aux Tuileries, le jardinier-chef estime d’ailleurs que c’est une personne à l’année en plus qui est nécessaire pour faire face à ce bouleversement des rythmes de végétation.
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- « La performance environnementale, pilier de la gestion durable de l’ONF ». Page vue le 1er mai 2014. ↩
- www.domaine-de-courson.fr. Depuis 1982, les propriétaires de ce domaine animent ces journées qui réunissent passionnés, propriétaires et amateurs de plantes et de jardins, et proposent à la communauté des thèmes de réflexion reflétant les préoccupations des jardiniers. ↩
- Voir “Les fiches thématiques de Courson” © Domaine de Courson. ↩