Conjuguer passé et présent

La Caserne des Douanes avant travaux. © Norpac.
La Caserne des Douanes avant travaux. © Norpac.

Avec ses 34 millions d’unités, « le patrimoine résidentiel » français - et sa réalité hétérogène - constitue aujourd’hui un des volets majeurs de la politique du logement pour respecter les engagements environnementaux pris par la France. De travaux allant de l’entretien-amélioration à la transformation complète, « la réhabilitation » recouvre une palette de stratégies pour intervenir sur « le Logement », voire l’habitat.

Alors que le patrimoine « distingué » induit des travaux encadrés et des techniques maîtrisées et que le patrimoine industriel a gagné ses lettres de noblesse grâce à la construction d’une culture de la reconversion, le patrimoine « ordinaire », quant à lui, s’avère encore mésestimé, tant du point de vue de ses potentiels, que de ses qualités intrinsèques. S’agissant du logement collectif dans son ensemble, le constat reste encore qu’« en majorité, les conceptions actuelles de la réhabilitation sont essentiellement techniques, ainsi qu’économiques et sociales, mais qu’elles en appellent peu à des objectifs et critères de qualités architecturales ou urbaines », note Christian Moley. Pourtant, sa recherche (Re)concilier architecture et requalification de l’habitat1 donne à voir les possibilités d’évolution du parc collectif, notamment celui des Trente Glorieuses, architecture souvent considérée comme ingrate, à travers un véritable corpus de réhabilitations lourdes qui font preuve dans ce domaine de qualités indéniables.
Accompagner le développement d’interventions d’une plus grande ampleur que celles conduites jusqu’à présent est le cœur du programme d’expérimentation REHA : Requalification à haute performance environnementale de l’habitat, porté par le Plan urbanisme construction architecture2 , et mené en partenariat avec l’Union Sociale pour l’Habitat3 .

Mais, sous le vocable requalification, de quoi parle-t-on ? Tout d’abord, d’une stratégie alternative à la démolition-reconstruction - qui ne s’avère pas toujours possible ou pertinente - avec une logique économique et un bilan environnemental beaucoup plus favorables. Ensuite, d’une approche alternative aux réhabilitations thermiques qui ne redonnent pas toujours de valeur patrimoniale aux immeubles. Enfin de nouvelles perspectives en termes de gestion par la pérennité des investissements réalisés et par la baisse drastique des consommations et son impact sur les charges.

Principes d’intervention. © Atelier Charles Renard.

Cette dynamique de la requalification4 , qui représente un véritable changement culturel pour la maîtrise d’ouvrage sociale, induit une réflexion et une intervention autour d’enjeux divers et imbriqués. En effet, si la haute performance énergétique constitue un enjeu pivot du programme, ce n’est pas le seul défi posé par la remise en état “des logements existants” ; ainsi REHA a vocation à développer des outils opérationnels et des connaissances (études, recherches, évaluations) pour apporter des réponses en termes de performance environnementale, d’excellence technique et énergétique, de qualité urbaine, architecturale et d’usage, de viabilité économique et sociale.
Dans le cadre d’un projet de réhabilitation lourde, la prise en compte d’une approche globale s’inscrit inévitablement dans l’exercice de l’architecture, la préoccupation majeure devant être d’identifier pour chaque bâtiment ou ensemble ses caractéristiques urbaines, architecturales et techniques spécifiques. Ainsi à Jeumont, le travail d’investigation historique, réalisé par Charles Renard, architecte de l’opération REHA La Caserne des Douanes, lancée par Promologis, a permis de révéler une œuvre, celle de Serge Ménil, architecte et urbaniste, premier grand prix de Rome (1956), architecte en chef des bâtiments civils et palais nationaux (depuis 1965). Peu connue, celle-ci comporte pourtant des bâtiments qui marquent aujourd’hui, et encore pour de nombreuses décennies, le paysage urbain (Cité administrative de Lille - 1958). Entrant dans le champ d’application du courant moderne, le bâtiment construit en 1970 a révélé une valeur architecturale indéniable, notamment par sa capacité à pouvoir se réadapter facilement aux injonctions et besoins contemporains.
La réponse au programme ne pouvait donc faire abstraction du caractère exemplaire de cet édifice. Les choix techniques, outre l’aspect économique, résultent d’un arbitrage entre la nécessité de requalifier l’immeuble, les espaces extérieurs, de créer une nouvelle distribution des espaces en rez-de-chaussée pour la création de six logements PMR et la volonté de « conserver » une trace historique pour ce bâtiment qui fait encore référence, quarante ans après sa construction, en matière de logement social et l’impératif de prévoir des interventions compatibles avec les modes constructifs d’origine.

La caserne des douanes après travaux. © Romain Gibert.

Soucieuse de préserver l’esprit originel du projet, l’équipe a répondu aux préoccupations architecturales, en confirmant que les objectifs énergétiques pouvaient se libérer d’une isolation par l’extérieur qui plus est, rendue difficile de mise en œuvre par la structure des façades. Bien que minimaliste, la composition de celles-ci échappe, par le jeu de ses percements, à l’aspect simpliste de sa géométrie. Démarche qui consent par la même occasion à maintenir la grande qualité de l’éclairage naturel des logements, tous traversants, et, par extension le rapport au paysage que souhaitait Serge Ménil.

Détail sur le traitement de façade. © Virginie Thomas.

Seuls les abords font l’objet d’une intervention plus importante afin d’accompagner, hors des limites physiques du bâti, la requalification urbaine. Ainsi, un nouveau socle, marqué par le traitement coloré gris de la maçonnerie, détache le corps principal de l’immeuble, en tissant d’une manière plus sensible la relation avec les espaces semi-publics et permet, par le jeu d’une rampe dissimulée, d’inscrire le projet en conformité avec l’accessibilité. Afin de restituer un équilibre de masse rendu nécessaire par la création de ce socle, la hauteur de l’acrotère a été diminuée ; ce geste, n’ayant pas été sans susciter de nombreuses interrogations, a été déterminé par le diagnostic alarmant des bureaux d’études techniques sur la stabilité de cet imposant couronnement de béton.
Les opérations de réhabilitation lourde de logements collectifs ouvrent un nouveau champ d’action et de questionnements. Les premières expérimentations accompagnées ont permis de mettre en lumière des freins et des leviers d’opportunités à activer. Satisfaire aujourd’hui le double objectif de résorption de la crise du logement et de transition écologique, autrement dit, favoriser une phase de fort réinvestissement sur l’existant et construire plus, nécessite des changements profonds en matière de fabrication et de transformation du « cadre bâti » dans laquelle la question architecturale va redevenir prépondérante.
L’enjeu est complexe car si les cadres d’intervention participent à la forte segmentation entre « intervention sur l’existant / construction neuve », les pratiques opérationnelles et les métiers, les financements et les modèles économiques se sont aussi développés sur cette même logique. Une des pistes d’exploration repose sans doute sur l’hybridation, autrement dit par les péréquations à trouver entre les apports escomptables entre intervention sur l’existant et construction neuve, comme levier d’optimisation (programmatique, économique, architectural…) des projets.

  1. À paraître en mars 2017, Editions Le Moniteur
  2. www.urbanisme-puca.gouv.fr
  3. Le programme associe également l’Agence Nationale pour la Rénovation Urbaine (ANRU), l’Agence Nationale de l’Habitat (ANAH), le Centre National des Œuvres Universitaires et Scolaires (CNOUS), l’Union Nationale pour l’Habitat des Jeunes (UNHAJ) et l’Association des Responsables de Copropriété (ARC)
  4. Cette terminologie choisie par les partenaires institutionnels du programme pour affirmer une culture renouvelée de la réhabilitation, incluant une dimension urbaine, est aujourd’hui contestée par l’Académie française
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