La vulnérabilité du littoral est indiscutable. Mais les sources historiques et la mémoire anthropique attestent de la faculté des populations à s’adapter à leur territoire et à apprendre à se protéger contre les risques. Les dégâts causés par la tempête Xynthia, en 2010, ont obligé une nouvelle fois les habitants et les institutionnels à chercher de nouvelles parades, à trouver de nouvelles réponses face à un défi climatique que l’on a toutes les raisons de craindre récurrent.
Dès le bas Moyen-Age, des ouvrages réalisés par la communauté des habitants de l’Île de Ré visent à protéger les terres, et notamment, les vignes et les marais, des assauts de l’océan. À la création de la Généralité de La Rochelle, au XVIIe siècle, marque du renforcement du pouvoir royal en province, les travaux et réparations de ces ouvrages de défense passent entre les mains de l’État qui y attachera ses plus grands ingénieurs. De cette période, sont parvenus jusqu’à nous d’extraordinaires archives dessinées par Claude Masse à la suite du grand « vimer » (tempête) de 1711 et quelques vestiges de structures maçonnées.
Eléments du génie civil, tout comme les ponts et les routes, les digues vont connaître une période de forte amélioration technique durant les années de la Révolution industrielle, avec des périodes de grands travaux durant lesquelles l’ensemble des ouvrages seront reconstruits.
Les deux Guerres mondiales, qui ont éloigné la main d’œuvre, le désengagement de l’État face à des coûts d’entretien importants et l’espacement de temps entre les tempêtes vont entraîner un lent abandon de ces ouvrages au XXe siècle. Petit à petit, les digues s’abîment, la culture du risque se fait plus diffuse.
La nuit du 27 ou 28 février 2010, la tempête Xynthia ravive les mémoires. Assurer la sécurité des personnes redevient une priorité. De nouvelles actions de prévention et de nouveaux grands chantiers vont donc perpétuer la longue tradition historique du territoire en matière de protection menée par la communauté des Rétais depuis le Moyen-Âge.
Ainsi, à la suite de cet événement, le Conseil départemental de Charente-Maritime crée, le 25 juin 2010, la Mission Littoral présidée par Lionel Quillet, actuel Président de la Communauté de Communes de l’Île de Ré. L’objectif est de pouvoir élaborer une stratégie de défense du littoral cohérente pour l’ensemble du trait de côte de Charente-Maritime. Pour la première fois en France, un Département assume la maîtrise d’ouvrage des travaux de protection.
La mise en œuvre d’un programme complet de défense, qui comprend à la fois des travaux d’urgence, un entretien des digues au quotidien mais également le PAPI (Programme d’actions de Prévention des Inondations) avec la construction de nouveaux ouvrages et des mesures de prévention prend une dimension particulière sur ce territoire reconnu pour sa richesse environnementale et patrimoniale.
La digue du Boutillon : renouveler une tradition ancestrale de protection
La digue du Boutillon, d’une longueur de 716 mètres a été conçue pour permettre la protection d’une des zones les plus fragiles de l’île : le Martray. Ce lieu-dit, dont le nom signifie littéralement « trait de mer », marque l’endroit où les deux parties de l’île de Ré autrefois séparées se sont soudées par le dépôt de sédiments, probablement au XVe siècle.
La tradition historique de protection de cette zone a été révélée par la mise au jour en 2014 d’un ancien tronçon de digue en amont d’environ 100 mètres. Cette construction présente un appareillage en pierre de belle qualité vraisemblablement monté sur une digue en bri (argile marine). La qualité de la taille de pierre, son alignement et la mise en place de chaînages de soutien laissent à penser que cette construction est l’œuvre d’ingénieurs, peut-être ceux venus sur l’île suite au grand vimer de 1711. Afin de valider ces hypothèses, la Communauté de Communes s’est adjoint les Services archéologiques de la DRAC Nouvelle Aquitaine et du Département de Charente-Maritime afin de procéder à des relevés.
Le projet actuel de reconstruction de cette digue, lancé après Xynthia, a été réalisé sur la base de l’ouvrage historique afin de conserver l’aspect patrimonial. La digue en béton armé est recouverte d’un parement en pierre et surmontée d’un muret muni d’un saut de vague, permettant de limiter les franchissements. La structure de l’ouvrage est, quant à elle, novatrice. Elle est constituée de tronçons successifs d’environ 14 mètres, isolés par des structures perpendiculaires en acier permettant de limiter l’extension d’éventuelles brèches. Ce même type de palplanches en acier a également été installé au pied de l’ouvrage pour empêcher une défaillance due à l’érosion de la plage. Enfin, un matelas végétal sur le parement arrière a été ensemencé afin d’intégrer au mieux le site dans son environnement naturel.
Le port de la Flotte : innover pour adapter un site patrimonial aux questions de submersion
Installé dans une anse naturelle propice à l’accostage, le port de La Flotte est aménagé pour la première fois à la fin du XVIe siècle par l’installation de quais avec des pieux en bois et une chaussée en pierres de lest. Au XVIIIe siècle, un nouveau port doit être aménagé à cause du mauvais état des quais en bois mais surtout suite à l’intensification du commerce maritime. En 1765, l’intendant de la Généralité de la Rochelle, Gabriel Sénac de Meilhan, lance une campagne de travaux pour approfondir le port et revêtir les quais en pierre de taille pour les parements verticaux et les bordures. Au XIXe siècle, le port de commerce devient port de transport accueillant deux lignes régulières de bateaux à vapeur pour les voyageurs et les marchandises. À partir de 1847, l’industrie de la pêche au thon et aux pétoncles prend son essor. Ainsi, à cette période, de nouveaux travaux sont entrepris avec, en 1843, la construction du môle (avant-port) complété en 1848 par une tour abritant une lanterne à feu fixe. Depuis 1980, le port est devenu port de Plaisance mais conserve également des bateaux témoins de la pêche traditionnelle dont certains classés Monuments Historiques.
Le projet inscrit dans le cadre du programme de protection vise à assurer la protection du secteur du port, particulièrement sensible du fait de la présence d’habitations en contrebas du port. Ces travaux représentent un véritable défi d’ingénierie pour permettre à la fois cette nécessité de protection et ne pas altérer ce patrimoine historique de La Flotte situé en pleine ZPPAUP (Zone de Protection du Patrimoine Architectural, Urbain et Paysager).
Le choix s’est donc porté sur la construction inédite d’une porte anti-submersion, fermée en cas d’alerte pour empêcher la montée des eaux dans le port. Elle est complétée par un ensemble de murets ainsi que par le confortement de la digue existante à l’est. L’aspect visuel du port est ainsi préservé : la porte ouverte coulisse à l’intérieur du môle nord pour être invisible.
La destruction des blockhaus de la Conche : quelles solutions pour préserver la mémoire du patrimoine et sauvegarder les dunes ?
Au-delà des programmes de grands travaux engagés par la Communauté de Communes dans le cadre du PAPI (programme d’actions de prévention des inondations), le développement des méthodes dites « douces » de protection font partie intégrante des préoccupations de la Communauté de Communes. Ainsi, préserver le cordon dunaire du territoire qui se développe sur 19km de long et qui représente environ 235 ha, est une nécessité puisqu’il est un rempart naturel face à la submersion.
En partenariat avec l’Office National des Forêts, gestionnaire d’une grande partie des dunes, la Communauté de communes de l’Île de Ré a mis en place un programme pluriannuel d’actions spécifiques financé par l’Ecotaxe.
Dans le cadre de ce programme, quatre blockhaus, construits pendant la Seconde Guerre mondiale, ont ainsi été démolis de septembre à décembre 2016. Ces travaux répondaient à un double objectif : garantir la sécurité des usagers de la plage exposés aux débris en béton et en ferraille et assurer la protection de la dune, très exposée au phénomène d’érosion. Ces ouvrages créaient un effet Venturi, marquant des points durs favorisant la houle et creusant le sable au pied des dunes.
Malgré leur valeur historique indéniable et l’attachement sentimental dont ils pouvaient faire l’objet, leur destruction était pourtant devenue inévitable.
Sur l’Île de Ré, les vestiges du Mur de l’Atlantique sont nombreux. Certains sites présentent une valeur historique de premier ordre, comme la batterie de commandement Herta située entre les villages du Bois-Plage-en-Ré et de La Couarde-sur-mer ou encore l’ensemble Kora Karola à Ars-en-Ré, Inscrit à l’inventaire supplémentaire des Monuments historiques et connu pour son imposante tour de commandement et d’observation.
Cependant, afin de conserver la mémoire des bâtiments détruits, les blockhaus de la conche, constructions standardisées, ont fait l’objet d’un inventaire précis sous forme de photographies, mais également de relevés par drone afin de créer une modélisation 3D. Ils seront intégrés à l’Inventaire Général du Patrimoine en cours de réalisation par le service de l’Architecture et du Patrimoine de la Communauté de Communes en partenariat avec la Région Nouvelle Aquitaine. Par ailleurs, cette re-création numérique permettra d’offrir au public la possibilité de découvrir ces bâtiments lors de visites virtuelles et ce, malgré leur disparition.