Gérone

En Europe, l’Espagne mène une remarquable politique de régénération urbaine dans laquelle le volet économique et le rayonnement géographique tiennent une place prépondérante.

Cette ville, capitale de la province de Girona en Catalogne, d’une population de soixante dix mille habitants (agglomération cent mille habitants), présente des caractéristiques très particulières tant au niveau de sa situation économique que de son cadre de vie. Dans une enquête publiée par le journal “El Pais” le 2 mars 1997, elle est classée en tête des villes où l’on vit le mieux en Espagne. Les critères de cette enquête sont : le revenu par habitant, le prix du logement au me, le nombre de bibliothèques, le pourcentage de suicides… Par ailleurs, un nombre important de couvents, églises, institutions religieuses, évêché ont, pour ainsi dire, protégé le centre historique de la grande vague de spéculation immobilière dans les années 1950-1970.

Le processus industriel s’étant développé, très tardivement à Girona au cours du XIXe siècle, l’expansion de la ville avec les nouvelles implantations industrielles ne s’est pas réalisée d’une manière ordonnée comme dans d’autres villes de Catalogne, le paradigme étant Barcelone avec le plan Cerdà. L’émergence économique de Girona, dans les années 1950-1970 tient à l’avalanche touristique sur la Costa Brava. La ville se développe sur des critères de spéculation immobilière, les différents plans d’urbanisme successifs ne font qu’entériner ce processus. Lors de la rupture démocratique en 1975, la nouvelle Constitution répartit les différents pouvoirs au niveau de trois échelles territoriales :

  • administration centrale-État
  • communautés autonomes
  • municipalités

L’urbanisme relève pratiquement de la compétence exclusive des municipalités, tant au niveau de l’élaboration des plans d’urbanisme, que de leur gestion et de leur contrôle.

La “ley sobre regimen del Suelo y Ordenaciôn Urbana” de 1956, fut réformée par la loi 19/1975, approuvée par Décret n°1346/1976. Une série de textes réglementaires fut publiée. C’est dans le cadre de cette loi, que la mairie de Girona confia aux architectes Fuses, Viader, Moner, Pla, la réalisation du plan spécial du centre historique de Girona en 1982. L’accord définitif du Plan fut publié au Bulletin Officiel de la Province, le 24 septembre 1983.

Dans le préambule de leur mémoire, les auteurs du plan indiquent les références qui les ont guidés : «  …par la proximité culturelle, par la récente décentralisation administrative avec la création des régions, très semblables aux provinces autonomes de l’état espagnol, l’expérience italienne offre d’intéressants apports pour une clarification de Îa situation actuelle, contradictoire et confuse du thème de la cité historique… »

Les auteurs abordent le débat qui eut lieu en Italie dans les années 1950-1960 autour du problème “Inventivo fra antico e nuovo”, entre les tenants de l’inscription de l’architecture moderne dans un contexte historique et ceux qui s’y opposaient. La charte de Venise, de 1964, rouvre de nombreux points qui furent abordés lors de ces débats. D’autres points de référence furent le PEEP de Bologne et la Charte italienne de Restauration de 1972.

La Méthodologie

Le travail de l’équipe a consisté en un premier temps à réaliser une série d’études :

  • rédaction de fiches : une fiche, comportant des données techniques sur l’état de conservation de l’immeuble, historiques et sociologiques, fut réalisée. Tous les édifices du centre historique furent ainsi répertoriés. En parallèle, les permis de construire conservés dans les archives municipales furent consultés pour documenter la fiche. Les plans réduits des divers travaux, soit de réhablitation, soit d’agrandissement furent joints à cette fiche.
  • relevés systématiques des façades des îlots du centre historique (plus de vingt deux km de façades). Constitution de dossiers de ces relevés îlots par îlots. (Ech. 1/500.)
  • analyses de la population du centre historique, de la structure économique, de la propriété urbaine, des équipements sociaux.
  • propositions formalisées architecturalement, tant au niveau de la circulation que de l’habitat.

Dans un deuxième temps, après l’étape de l’enquête publique (exposition publique), des remarques furent formulées tant par des particuliers que par les administrations (Commission d’Urbanisme), et des modifications furent apportées au plan :

  • schéma du plan de circulation et de stationnement.
  • projet d’équipement et d’espaces libres où de légères modifications sont apportées au projet de base.
  • actions sur le commerce et le tourisme.
  • protection du patrimoine construit qui définit les mesures suivantes :
    . extension de la délimitation de l’ensemble historico-artistique à toute la surface du Plan Spécial.
    . traitement individualisé de chacun des édifices, dans sa valorisation architecturale d’un point de vue qualitatif, indiquant, d’une manière détaillée, les parties ou éléments à conserver.
    . ordonnances concernant la Protection du Patrimoine et les différents types d’interventions permises.
  • présentation des scénarios de gestion et de réhabilitation faisant apparaître le plus où moins grand degré d’implication de l’Administration.

En reprenant les relevés systématiques des façades, les auteurs signalent sur chaque parcelle des îlots, la nature de la réhabilitation. Ils signalent :

  • les édifices conservés dans leur intégrité,
  • les parties qui doivent être supprimées si des travaux sont réalisés,
  • les parcelles qui peuvent être entièrement démolies. Dans ce cas, la volumétrie générale de chaque parcelle ainsi que le nombre des niveaux est délimité. Des catégories sont définies afin d’arrêter, cas par cas, les différentes actions autorisées.
    R : Restauration
    RT : Restauration Typologique
    REP : Restructuration Partielle
    RET : Restructuration Totale
    RU : Restructuration Urbaine

L’étude de Girona reprend presque mot pour mot la définition des différentes catégories à Bologne.

Le plan, instrument de la politique municipale

Les deux principaux axes de cette politique, qui sont finalement apparus mais n’ont jamais été explicités sont :

  • la réappropriation du centre historique comme lieu de représentation de la société civile par rapport aux pouvoirs d’avant 1975 (église-armée).
  • le maintien d’une population défavorisée et le retour d’une population à revenus plus importants qui s’était installée dans la partie neuve de Girona au cours des années 1960-1970. Afin de retrouver un équilibre.

Le développement du premier point a consisté en l’installation d’institutions universitaires, dans d’anciens locaux ou couvents, convertis en casernes ou abandonnés (Aguiles, couvent St Domenec, ancien séminaire), des équipements culturels municipaux tels que les Archives municipales, le musée d’Histoire de la Ville, le Centre d’études juives.

D’autres institutions ont participé à cet élan. L’évêché a été réaménagé en musée Diocésain, le Conseil général (Diputacid) s’est installé dans un ancien couvent, comme le Collège des architectes ; un nouveau palais de Justice a été construit, la Banque d’Espagne a édifié un nouveau siège.

Par cette politique de construction ou de réutilisation d’équipements publics, dans la majorité des cas de grande qualité architecturale, la municipalité voulait inciter la promotion privée et, en premier lieu, les actuels propriétaires à organiser des opérations de réhabilitation de l’habitat.

La municipalité n’a pu, faute de financements publics, mais aussi peut-être pour ne pas gêner la promotion immobilière locale, dont la mairie avait besoin pour des opérations dans le reste de la ville, organiser une politique municipale du logement, en achetant de vieux immeubles.

La municipalité s’apercevant que la promotion privée n’investissait pas suffisamment dans le centre historique, malgré une politique importante d’investissements de la mairie, de la Région et de l’État, tant au niveau des infrastructures que des équipements, se servit d’un article de loi de la fin du XIXe siècle sur le maintien des façades (équivalent aux articles du code de la Construction et de l’Habitation et du code de l’Urbanisme sur les ravalements obligatoires des façades) pour obliger les propriétaires à réaliser un minimum d’entretien. Cent cinquante dossiers sur un total de six cents parcelles du centre historique furent instruits et suivis de réalisation ce qui obligea les propriétaires à réaliser des travaux d’entretien.

Actuellement, une opération très importante de réhabilitation (Pou Rodo) prévue dans le plan spécial du centre historique de 1982-1983 va être réalisée avec des financements publics (État-Région-municipalité).

Depuis la mise en place du plan spécial du centre historique, soit 15 ans, 65 % des infrastructures, ainsi que des équipements prévus dans le plan, ont été réalisés, 15 % des équipements ont fait l’objet d’un projet architectural et sont en attente de financement et 20 % des projets ont été soit abandonnés, soit n’ont pas fait l’objet d’une commande de projet architectural.

Est-il possible de trouver un équilibre ?

Pendant les années 70-80, les efforts culturels en Espagne étaient réalisés dans des domaines moins spécialisés que la théorie de la conservation et les interventions sur le patrimoine. La société se préoccupait de problèmes plus généraux telle que la sauvegarde du passé historico-artistique, pratiquement abandonné lors de la dictature, mais aussi mis en danger par le processus de spéculation effrénée des années de développement.

Dans le cas de Girona, la tendance fut de se réapproprier les biens culturels, de réhabiliter ou récupérer, pour des buts sociaux et culturels, des monuments perçus comme des “contenants” permettant de répondre à des manques, tant politiques, sociaux, culturels qu’économiques de la ville d’aujourd’hui.

Deux positions s’affrontent : d’un côté, une conservation radicale qui n’est pas consciente de l’impossibilité de restituer le passé dans son authenticité et opère à partir de paramètres culturels actuels conditionnés par le présent et non suivant ceux de l’origine de l’œuvre. De l’autre coté, des interventions qui ne tiennent pas assez compte des valeurs non seulement esthétiques mais historiques et qui modifient les édifices, non seulement dans leur structure typologique, mais dans les distributions et même dans les éléments décoratifs, en arguant que les travaux sont réversibles et qu’à tout moment on pourra retourner à l’état antérieur.

L’une des réponses ne serait-elle pas d’attribuer autant d’importance à la valeur historique qu’à celles architecturale et esthétique dans un possible dialogue entre passé et présent, entre l’histoire comme objet à sauvegarder et le projet architectural comme réponse contemporaine à la restauration ?

Bernard CATLAR
Architecte

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