Royan, nouvelle fan des fifties

Royan, ville martyre, a dû par deux fois renaître de ses cendres pour survivre à son histoire tragique et prouver qu’elle demeurait la perle de l’océan Atlantique.

Détruite pour la seconde fois et par erreur lors des bombardements alliés de janvier et d’avril 1945, Royan présente au sortir de la Seconde Guerre mondiale un visage labouré, nu et envahi par la végétation. Ville de villégiature et de loisirs peu peuplée, elle n’est pas une priorité du ministère de la Reconstruction et de l’Urbanisme (MRU) mis en place en 1944 par le gouvernement provisoire. Les dommages de guerre se font attendre, la reconstruction n’est pas une urgence et les habitants sont entassés dans des habitats de fortune à la périphérie de la ville.

Pourtant, en 1946, le ministre Raoul Dautry confie à l’architecte bordelais Claude Ferret le soin de constituer une équipe et de reconstruire la cité balnéaire. Coiffé de la double casquette d’architecte en chef et d’urbaniste, il a trois ans pour agir, faute de quoi le ministre lui assure qu’il sera fusillé. Dès lors, s’engage une vaste et longue campagne de déblaiement du centre-ville, détruit à plus de 80 %. Il est fait table rase du passé. Les rares immeubles encore debout sont démolis, le réseau viaire en partie effacé. Les architectes en charge de la reconstruction engagent une réflexion urbaine et sociale respectueuse de la vocation balnéaire de la cité. La future ville devra être tournée vers l’Océan et sera l’illustration de toutes les théories humanistes, hygiénistes et sanitaires du moment.

Le vaste chantier démarre rapidement par le boulevard Briand, colonne vertébrale et artère principale de la cité en ruine, dont le projet allie au classicisme de la symétrie des appareillages en pierre et l’ordonnancement des façades : un académisme encore nostalgique du style Art déco des années d’avant-guerre. En septembre 1947, la revue L’Architecture d’aujourd’hui fait paraître un numéro sur le Brésil consacré au quartier de Pampulha à Belo Horizonte, réalisé par Oscar Niemeyer et Lùcio Costa. Pour l’équipe de Claude Ferret, c’est la révélation, Royan ne doit pas rester en marge de ce modernisme balnéaire naissant. L’architecte en chef revoit sa copie.

Une station balnéaire d’inspiration tropicale

Un nouveau plan est immédiatement établi. Il épouse la forme généreuse de la Grande Conche et organise la cité en une ville d’été, constituée d’un front de mer tourné vers le large et offert aux rayons du soleil, et une ville d’hiver, abritée des vents et des embruns marins. Les principaux édifices viennent structurer les grands axes. Toutes les formes sont autorisées dès lors qu’elles sont ambitieuses, tropicales et nouvelles. Le béton, matériau de prédilection d’une pléiade de jeunes architectes parmi lesquels Marmouget, Quentin, Simon, Hébrard, les incite à dessiner des projets oniriques dont la contemporanéité rappelle indéniablement l’univers de Jacques Tati. Le vocabulaire architectural emprunté au modèle brésilien et à l’électroménager naissant, la déclinaison des loggias, brise-soleil et autres claustras ajoutés à l’utilisation de la polychromie confèrent à Royan un style qui lui est propre. Les constructions d’inspiration régionaliste cohabitent avec une architecture de style corbuséen tropicalisé. Les jeux d’ombre et de lumière sont légion.

Quelques grands noms de l’ingénierie mettent également leur savoir-faire au service de ce vaste chantier. C’est le cas de Bernard Lafaille ou encore de René Sarger, qui participent à la construction du marché central, ambitieux ouvrage de béton dont la voûte en forme de parachute est autoportée, ou encore à celle de l’église Notre-Dame, que Malraux qualifiera de « cathédrale de béton ». Nombre d’éléments préfabriqués tout droit sortis des ateliers Prouvé sont également mis en œuvre. Un pavillon de type Meudon est d’ailleurs installé en 1950 sur la corniche afin d’évaluer sa résistance à l’atmosphère maritime. Jean Prouvé, assisté de son frère Henri, en contrôle le montage. Dès 1949, le gouvernement décide, à l’instar des villes de Dunkerque, Toulon, Saint-Dié, Calais et Le Havre, de classer Royan « laboratoire d’urbanisme et d’architecture moderne ». Les chantiers se multiplient. Outre les édifices courants, la ville se dote d’un nouveau casino, d’un palais des congrès, d’un auditorium et d’un stade, qui lui permettent de renouer avec les activités estivales auxquelles les touristes aspirent.

Un point d’orgue, la cathédrale

En 1954, Max Brusset, alors maire, souhaite que la reconstruction de l’église soit le point d’orgue de ces colossaux travaux. Il rencontre, à Paris, Guillaume Gillet qu’il missionne pour que « Royan, qui a été couchée par la Guerre, soit relevée par son église ». L’architecte, assisté de Bernard Lafaille, réalise une œuvre de béton brut, dont le dessin qui s’affranchit des codes imposés par l’école de Ferret n’est pas sans rappeler celui des grandes cathédrales gothiques. L’ouvrage, dont les travaux dureront quatre années, est le résultat d’une véritable prouesse technique pour l’époque. Il est composé de vingt-quatre voiles de béton pliées en V formant piliers qui, disposés en mandorle et ceints par deux triforiums, soutiennent l’unique voile de béton mince (huit centimètres) en forme de selle de cheval constituant la couverture.
Culminant à soixante mètres, le clocher constitue l’un des rares éléments verticaux de la ville visible dans tout l’estuaire de la Gironde.

Néanmoins, cette cité d’une richesse architecturale rare s’est reconstruite au prix des larmes et de la douleur de ses habitants. Longtemps assimilée au traumatisme des bombardements, son architecture a été mal vécue, mal acceptée, voire rejetée jusqu’à la fin du XXe siècle. Outre la dénaturation de bon nombre de ses caractéristiques urbaines et constructives, les municipalités successives ont autorisé la destruction du casino municipal et la démolition du portique dans les années 1980.

Malgré la mise en place de servitudes réglementaires, la naissance d’une conscience patrimoniale a été laborieuse. Le classement de Notre-Dame au titre des monuments historiques en 1988 et l’inscription de la villa Ombre-Blanche en 2002 dans le quartier du Parc furent une première reconnaissance bien tardive. La mise en place d’une zone de protection du patrimoine architectural, urbain et paysager (ZPPAUP) en 1996 n’a que très tardivement placé l’architecture des années 1950 au rang des constructions de qualité héritées des siècles passés et notamment de la Belle Époque.

Au tournant du siècle dernier, les générations se renouvelant, Royan est devenu l’objet d’un subit intérêt. La production des fifties fait l’objet d’un nouvel engouement et acquiert une reconnaissance patrimoniale. Royan a d’ailleurs rejoint l’année dernière le cercle fermé des villes d’Art et d’Histoire. Ce nouveau souffle, récompense d’un travail de longue haleine, semble enfin promettre la cité à un avenir plus respectueux de son passé et à une reconnaissance de ses qualités urbaines et architecturales qui ne sont, désormais, plus remises en cause. Pourtant, le patrimoine hérité de cette reconstruction n’est pas évident à conserver. Fruit d’une mise en œuvre souvent rapide du fait d’un contexte financier difficile, le Royan de la Reconstruction est en proie au doute quant à la manière de restaurer et d’entretenir ses bâtiments. L’air marin, l’évolution du mode de vie, la faiblesse de certains matériaux sont autant de raisons qui fragilisent cette ville de béton. L’église en est une parfaite illustration. Achevée à la fin des années 1950, restaurée en partie dans les années 1990, elle a longtemps été l’objet de polémiques. D’aucuns la disant construite à partir de graves de mer, d’autres considérant ses armatures métalliques placées trop à la surface du béton, les spécialistes ont bien du mal à opter en faveur d’un procédé définitif de restauration. La passivation des bétons étant tantôt défendue contre celle des fers, les interventions, quelles qu’elles soient, demeurent complexes, coûteuses et peu pérennes.

Cependant les Royannais, définitivement décomplexés et fiers de leur ville, n’hésitent plus à défendre ce patrimoine qui leur est cher. Preuve en est, l’Association de défense
de l’église de Royan (l’ADER), née en 2008, qui tente par le biais de manifestations et d’une communication nourrie, de lever des fonds et d’intéresser des mécènes pour financer les travaux à conduire prochainement sur les façades occidentales de Notre-Dame.

Au cœur de la problématique de l’architecture et de l’urbanisme modernes, Royan mérite, aujourd’hui plus que jamais, son titre de ville la plus cinquante de France.

À LIRE :
L’Invention d’une ville - Royan années 50, Gilles Ragot, Thierry Jeanmonod et Nicolas Nogue
Collection «Cahiers du patrimoine», CMN, 2003

Antoine-Marie PRÉAUT
AUE, chef du département, OPPIC

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