Superdévoluy, la deux-chevaux des stations

Moderne et et populaire, le grand ensemble des neiges qui démocratisa la montagne.

Tout commence au milieu des années 1960 dans les Hautes-Alpes au cœur du Dévoluy, plus haut massif préalpin français. À 1 200 mètres d’altitude, le village de Saint-Étienne-en-Dévoluy compte moins de quatre cents habitants et vit d’agriculture et d’élevage ovin. Le nouveau maire de la Commune, Jean Grandmont, souhaite développer le tourisme en créant une station de sports d’hiver. Le projet doit s’implanter sur le plateau des Cypières et la société des Grands travaux de Marseille (GTM) se voit confier l’aménagement et l’exploitation du site pendant trente ans. La station ouvre à Noël 1966 avec quatre remontées mécaniques. Les mille premiers lits sont livrés d’année suivante.

Construire une station populaire

Le projet vise à attirer une clientèle populaire méridionale dans une “station intégrée” réunissant en un même lieu tout le confort et les services utiles. Henry Bernard1 (1912-1994) est l’auteur du plan d’ensemble : il construit la résidence du Bois d’Aurouze entre 1967 et 1972, puis celle des Issarts entre 1975 et 1977. Le projet est une réponse fonctionnelle au programme : pour permettre aux skieurs d’accéder directement aux pistes depuis leur logement, le plan de la station est organisé à partir d’un front de neige continu, le long duquel s’implantent les bâtiments ; à l’articulation du front de neige et des résidences se trouve la «grenouillère », véritable forum de plein air d’où l’on accède aux terrasses de restaurants et à la galerie commerciale logée en pied d’immeuble. Les véhicules sont reportés au nord des bâtiments. Achevé en 1977, ce grand ensemble des neiges compte mille quatre-vingt-trois studios, dont un tiers est commercialisé en multipropriété (une première en France) : chaque acheteur fait l’acquisition non pas d’un logement, mais de parts d’une société lui conférant un droit de jouissance périodique du bien. La propriété d’un appartement est ainsi partagée entre plusieurs “multipropriétaires”, jusqu’à vingt par studio et six mille au total. Cette innovation commerciale, et l’opération dans son ensemble, rencontrent un franc succès : pour Le Figaro, Superdévoluy, à la fois populaire et utilitaire, c’est « la deux-chevaux des neiges ».

Existenzminimum alpin

Au principe d’une station intégrée répond celui d’une architecture rationnelle. Bâtiment-bloc de deux cents mètres de long, cinquante six travées de 3,50 mètres de large et douze à quatorze niveaux, la résidence du Bois d’Aurouze comprend tous les équipements nécessaires au fonctionnement de la station. À chaque niveau, les studios sont desservis de part et d’autre d’un couloir central. Un plan astucieux permet de réduire les surfaces des “cellules de vie” au strict minimum, de vingt-trois à trente-et-un m2 pour quatre personnes.

Ce « paquebot des neiges » répond à la demande moderne du séjour tout-compris. Le vacancier abandonne sa voiture à l’entrée de la station : il se déplace à pied dans le périmètre réduit de la résidence, à skis dans l’espace infini du domaine skiable. Afin d’économiser le site, Henry Bernard fait le pari moderne d’un bâtiment compact, simple unité de tourisme posée sur la prairie alpine, dont l’emprise au sol et les voiries de desserte sont volontairement réduites. Implanté au creux d’un plateau naturel, le bâtiment-station limite ainsi son impact sur le paysage et place le vacancier en observateur attentif du panorama grandiose qui se déploie autour de lui.

Érosion et reconquête

Le projet de Henry Bernard est achevé en 1977 mais l’érosion de la fréquentation pousse les gestionnaires à étendre le domaine skiable (qui fusionne dans les années 1980 avec celui de la station voisine de la Joue du Loup) et à augmenter en proportion le nombre de lits. À partir de 1990, une série d’opérations immobilières fait passer la capacité d’hébergement de la station de cinq mille à douze mille lits et les espaces naturels alentours sont urbanisés dans une logique de dispersion du bâti. Le parti urbain originel en est profondément perturbé et l’apparition d’immeubles-chalets met à mal le mythe « moderne-démocratique »2 qui fondait la station. L’offre est à présent pléthorique, les standings hétérogènes et l’ensemble de la station souffre de la concurrence interne entre résidences. L’érosion s’accentue au cours des années 2000. Alors que la station montre des signes de vieillissement, la capacité d’investissement des (co- ou multi-)propriétaires est réduite par l’augmentation des charges et la diminution des revenus locatifs. Dans un contexte difficile pour les stations de moyenne altitude (enneigement aléatoire, concurrence accrue, difficuités à renouveler l’offre), Superdévoluy est aujourd’hui confrontée au défi de la reconquête de sa clientèle. Cette reconquête passe par l’affirmation de son identité architecturale et paysagère, la montée en gamme des prestations et la maîtrise des coûts (via notamment la réduction des dépenses énergétiques). Gageons que le génie du lieu, la qualité du site et de ses aménagement urbains seront mis à profit pour engager cette reconquête du Dévoluy.

BIBLIOGRAPHIE

  • Robert Mériaudeau, Naissance d’une nouvelle station de sports d’hiver: Superdévoluy, Revue de géographie alpine, 1967, n°1, pp. 211-214.
  • Jean-François Lyon-Caen (dir.), Station de Superdévoluy. Stations de sports d’hiver du département des Hautes-Alpes : inventaire des principes d’urbanisme et d’architecture, École d’architecture de Grenoble, 2005.

Sophie MASSE
chargée de mission architecture, bureau de la qualité de l’architecture et du paysage, service de l’architecture, MCC
et
Philippe GRANDVOINNET
ABF chef du STAP des Hautes-Alpes

  1. Premier grand prix de Rome, il réalise notamment la Maison de la radio à Paris (1952-1963).
  2. Voir à ce sujet : Marc Chevallier, Parole de modernités. Pour une relecture culturelle de la station de sports d’hiver, Revue de géographie alpine, 1996, n°3, pp. 29-39.
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