Reconstruction du refuge de l’Aigle

Après cent trois ans ans de présence, accroché au piton de l’Aigle, au cœur du massif de la Meije1 , le vieux refuge a été déposé soigneusement le 23 octobre 2013 en vue du réemploi de sa structure bois en vallée.

Le vendredi 7 mars 2014, une base vie a été héliportée, indispensable dans le cadre d’un chantier classique, vitale à 3 440 m d’altitude. Début avril, le nouveau refuge a été montée sur site après avoir été assemblé et mis au point dans le célèbre hall d’exposition de l’ingénieur Jean Prouvé à Grenoble.

Historique

Construit en 1910, le “vieil Aigle” était emblématique à plus d’un titre. Il demeurait un des rares témoins de l’épopée de l’alpinisme et des premières “cabanes”, comme les refuges Lemercier2 et du Sellé. Et son implantation sur le rocher du Bec de l’Aigle, plus encore que sa qualité constructive, affirmait sa singularité. Mais avec le temps, la cabane à l’architecture et aux fonctionnalités minimalistes, plusieurs fois confortée3 , a vieilli irémédiablement. Ne répondant plus aux contraintes de sécurité et d’accueil actuels, la question de son devenir devenait urgente. Au cœur du site inscrit de la Meije et du Parc national des Écrins, tout projet était de nature à stimuler les imaginaires et susciter des controverses.

Le projet

Initié en 2002 par le Club alpin français4 , le projet de reconstruction du refuge de l’Aigle a bénéficié d’une approche méthodologique exemplaire. Une démarche de projet, conduite avec le concours du Parc national, qui a pris l’option d’engager un accompagnement du maître d’ouvrage et de ses partenaires, a permis de mettre en avant la valeur patrimoniale du refuge et de favoriser pédagogie et concertation. Un comité de pilotage animé par le CAF, associant les différents services de l’État5 , les collectivités territoriales concernées et les principaux partenaires et financeurs, élabore un programme adapté et précis.

La capacité d’accueil du futur refuge est ajustée à trente personnes, correspondant à la capacité du refuge du Promontoire, point de départ de la traversée de la Meije dont l’Aigle constitue le point d’arrivée salvateur. Le programme comprend également une description détaillée des fonctions et des besoins d’adaptation aux normes applicables. Enfin, il est complété par une note descriptive des enjeux patrimoniaux, objet de discussions vives et passionnées.

Un concours est lancé sur la base de ce programme, quatre projets sont réalisés. Un seul conserve l’ancien refuge en lui accolant une extension répondant ainsi au programme, les trois autres privilégient le démontage de l’ancien refuge et son remplacement par une construction neuve. Parmi eux, un projet fait l’unanimité, celui du cabinet Felix-Faure/ Long/Damieux et Vüillod, aujourd’hui regroupés au sein de l’Atelier 17C.

L’ancien refuge était une construction audacieuse pour l’époque, composée d’une structure auto-stable en bois, où tous les éléments participaient au contreventement de l’ensemble, notamment les bas-flancs de couchage. Les différents éléments ont été fabriqués en vallée et transportés sur site à dos d’homme. Le projet lauréat a séduit le jury par sa qualité et son adéquation avec les enjeux patrimoniaux, notamment pour le maintien du rapport du bâti au site du piton de l’Aigle, la modestie de son architecture et de sa volumétrie (volume unitaire, dans une forme inspirée de l’ancien refuge par simple accroissement homothétique dans les trois dimensions), et l’élaboration d’un principe constructif évoquant celui de l’ancien refuge.

Il renouvelle en effet le parti pris architectural du refuge initial, et propose une structure bois contemporaine6 , traduisant les techniques bois les plus modernes, elles aussi préfabriquées en vallée et assemblées sur site, le tout revêtu d’une seconde peau métallique complétant ainsi l’approche thermique innovante de ce projet.

La controverse

Il n’y a pas de “grands projets” dans des sites d’exception sans grands débats. Suite au dépôt du permis de construire, une opposition structurée au projet s’est manifestée, conduite par l’Association des amis de l’Aigle qui militait pour la conservation de l’ancien refuge. Mettant en avant une vision patrimoniale, s’appuyant sur la valeur de son expérience vécue dans l’ancien refuge, sur son rôle de témoin d’une histoire des hommes et de la montagne, sur la composante symbolique et immatérielle d’une mémoire partagée, l’action de l’association a de fait stimulé l’imaginaire des concepteurs et les a conduits à approfondir la dimension patrimoniale de ce projet si sensible.

Épilogue

De nombreux échanges ont fait valoir que, dans ce cas de figure, c’est avant tout la posture de projet qui fait patrimoine, posture comparable à celle des premiers alpinistes bâtisseurs, qui, pour développer une pratique nouvelle dans un environnement hostile, ont créé de toutes pièces une typologie constructive performante, un modèle dégagé des obligations esthétiques et sociales des bas de vallée.

Yves BARET
architecte DPLG, ITPE, Chef du service aménagement-développement du Parc national des Écrins

  1. Commune de La Grave. Hautes-Alpes.
  2. Adossé au refuge du Pelvoux.
  3. Notamment avec les filins arrimant sa structure. Ses façades ont été recouvertes de tôles, puis peintes en rouge pour être visibles dans le brouillard. Une petite extension servant de cuisine et de logement de gardien a été adjointe.
  4. CAF, section de Briançon, maître d’ouvrage.
  5. Dont le Service départemental de l’architecture et du patrimoine.
  6. En KLH, technique de bois massif contrecollé, et contreplaqué de grandes épaisseurs (sept plis pour 140 mm, équivalent à 60 mm de laine de bois), complété de 60 mm de laine de bois en extérieur. Le bardage est en aluminium pré-patiné, de finition mate ardoisée. Seule la façade d’accès au sud est en bardage de mélèze non traité, devant se griser avec le temps. L’ensemble des menuiseries extérieures est en bois et aluminium. La ventilation est naturelle, par stratification.
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