Territoire de moyenne montagne d’une altitude comprise entre cinq cents mètres, dans les vallées, à mille quatre cent soixante neuf mètres au signal de Mailhebiau, l’Aubrac se positionne aux confins de trois départements (Cantal, Aveyron, Lozère), de trois régions (Auvergne, Midi-Pyrénées, Languedoc-Rousillon) et des trois évêchés (Clermont-Ferrand, Rodez et Mende).
Autrefois recouvert de forêt, le plateau de l’Aubrac est aujourd’hui ouvert sur les pâturages. Par le développement de l’élevage et de la transhumance au Moyen-Âge, la forêt a progressivement disparu pour laisser place à un “sanctuaire pastoral”. Jadis une trentaine d’unités d’estive, les “montanha” de l’Aubrac, ont été divisées vers le XVe siècle par l’ajout de qualificatifs de “haut”, “bas”, “milieu”1 .
AU XVIe siècle, les gros propriétaires se spécialisent dans l’élevage bovin du fait d’une meilleure rentabilité économique, d’un terrain adapté et de l’importante demande de viande dans le midi, notamment sur le haut plateau de l’Aubrac.
Face à cette spécialisation de l’élevage bovin, au développement de la location de ces nouvelles montagnes, à l’augmentation du cheptel sur l’Aubrac, l’économie pastorale évolue et implique de louer un berger pour garder le cheptel sur la montagne : on assiste dès lors à l’apparition des “manades”. Autrefois, les montagnes n’avaient pas de murets ou de clôtures, les limites des montagnes étaient des limites naturelles2 .
L’apparition et l’évolution architecturale des burons : patrimoine bâti identitaire de l’Aubrac
Conjointement à l’évolution de l’économie pastorale, les premiers habitats temporaires rudimentaires apparurent permettant d’abriter les bergers ou vachers. Par ailleurs, l’activité fromagère se développant sur les hauteurs de l’Aubrac, il fallait un lieu, un abri propice. Ainsi, l’apparition de cette activité a permis le développement d’abri servant à la fois à la fabrication du fromage mais également au logement du buronnier. La plus ancienne typologie du bâti était le buron en motte, définie par Girou de Buzareingues en 1833 : « dans chaque propriété est une hutte appelé mazuc ou buron lorsqu’on y prépare le beurre, le fromage(…) ces huttes autrefois presque toutes construites avec quelques fortes perches de hêtre, recouverte de terre ou de pelouse ; la fumée passait soit en travers de ces mottes, soit par l’ouverture qui tenait lieu de porte »3 .
Ces constructions étant rudimentaires et fragiles face aux hivers rigoureux et longs, ils devaient les reconstruire tous les ans. Progressivement, les burons en motte du XVIIIe siècle et XIXe siècle ont laissé place aux burons en pierre recouvert de lauzes ou d’ardoise, bien plus solides. L’influence des techniques architecturales et de la fabrication du fromage du Cantal, les meilleures conditions de vie et d’hygiène, le fait de ne pas reconstruire chaque année le buron, la diminution de risque d’incendies mais aussi plus d’espace et plus de commodités pour la fabrication du fromage et du beurre, sont autant de raisons qui ont incité les propriétaires à construire des burons en pierre. Ainsi, de cinq burons en pierre estimés au XVIIe siècle, l’Aubrac voit son plateau agropastoral se doter d’un patrimoine bâti agropastoral identitaire composé de trois cents burons. Sur chaque montagne, se trouve un buron en pierre décrit par Rodat en 1839 comme « maisonnette qui a une longueur de dix mètres sur six de large, une hauteur de cinq mètres, divisée par un plancher. Derrière et adossée au terrier, se trouve la cave pour les fromages avec longueur égale et trois mètres de large ; le tout recouvert d’ardoise. À part, et tout auprès du chalet, se trouve une petite loge à cochons ».
Le buron et ses buronniers
Ces burons furent un habitat saisonnier construit sur chaque montagne de traite pour la fabrication du fromage mais également un lieu de vie, un logement pour le personnel de l’estive.
Au rez-de-chaussée se trouve le foyer avec, au fond, une porte accédant à la cave. La pièce principale, où se trouvent la cuisine et la cheminée, servait à la fabrication du beurre et du fromage, la fourme d’Aubrac. Au fond de la pièce, une petite porte permettant d’accéder à la cave pour entreposer les fromages. Au-dessus, à l’étage, se trouvait le dortoir des buronniers où était disposé également le foin.
L’équipe du buron est constituée de quatre personnes, jusqu’à sept personnes selon l’importance de la montagne et du cheptel, comme au buron de Camejane (commune de Saint-Chély-d’Aubrac). Il y avait le cantalès, tirant son nom des buronniers du Cantal, qui était responsable du troupeau, de la traite des vaches et de la qualité du fromage. Puis il y avait le pastre (dit le second) qui était, lui aussi, responsable de la traite et qui s’occupait ensuite de faire la tome. En troisième, il y avait le bédélier, responsable des veaux, du nettoyage et de la cuisine puis le roul, jeune commis ayant le reste des tâches à sa
charge à commencer par le rassemblement des bêtes le matin pour la traite.
Il y avait trois temps dans la vie des buronniers, la montée du troupeau à l’estive, que l’on appelle aussi la transhumance, la garde et la traite du troupeau sur les montagnes du plateau de l’Aubrac du 25 mai au 13 octobre avec la fabrication de la fourme et du beurre, puis la descente du troupeau avant l’hiver, nommée la davalada. Les buronniers allaient également aux foires à bestiaux sur le plateau mais aussi fêtaient la Saint-Jean le 24 juin par un repas tous ensemble autour du plat typique de l’Aubrac, l’aligot. Chaque année, ils plantaient le mât sur leur montagne et poussait l’ahuc, le cri des buronniers signifiant leur présence et l’ouverture du buron4 .
Une disparition rapide de l’activité agropastorale
En l’espace de quarante ans, les trois cents burons de l’Aubrac ont vu progressivement leur activité s’arrêter. De trente-huit en activité en 1968, il ne reste qu’un buron en activité aujourd’hui, le buron de Camejane. En effet, du fait de la renaissance de la production de viande, de l’exigence des conditions de vie meilleure, la fabrication du fromage et la surveillance des troupeaux ont progressivement régressé conduisant à une diminution du nombre de buronniers et par conséquent à la fermeture progressive des burons.
Un patrimoine bâti agropastoral certes fragilisé et menacé mais ni oublié ni disparu
Contrairement aux idées reçues, le patrimoine bâti agropastoral identitaire n’a pas complètement disparu. Les estimations tournent autour de cent burons en ruines, de cent en bon état et de cent dignes d’être sauvés à la fin du XXe siècle, notamment dans l’étude la plus connue la Recherche Coopérative sur Programme (RCP) Aubrac publiée par le CNRS dans les années 1960.
Depuis, le patrimoine bâti agropastoral a continué à se dégrader : sur les deux cent soixante-quatorze répertoriés, cent cinq sont encore en bon état, cinquante huit fragilisés pouvant être encore sauvés et cent onze sont en ruines5 . De plus, quarante burons sont tellement détériorés que leur localisation et même leur identité en tant que buron sont remises en cause. Les burons représentent un patrimoine fragilisé et menacé de disparition massive d’ici quelques décennies, par les hivers rudes de l’Aubrac, mais aussi par le fait que les propriétaires ne les utilisent plus.
Malgré cette période néfaste, l’agriculture reste, aujourd’hui encore, le premier secteur économique pour le territoire et son patrimoine bâti spécifique est reconnu par les habitants du territoire. C’est en effet un patrimoine très étudié, observé selon des approches différentes, que ce soient à travers l’écriture, l’art, le ressenti ou la capture de l’image. C’est également un patrimoine cadré et entouré à différentes échelles. Au niveau national, des lois et des règlementations existent permettant d’encadrer les actions en faveur de la restauration et de la valorisation de ce patrimoine bâti identitaire. Au niveau départemental, des inventaires sont élaborés ainsi que des documents techniques et règlementaires permettant d’éclaircir les procédures de restauration pour tous les types d’acteurs (propriétaires, élus, particuliers) susceptibles d’être intéressés.
D’autre part, quelques initiatives locales ont vu le jour comme la démarche soutenue par l’Association Les Amis de Notre-Dame d’Aubrac. Ainsi, la Fraternité Monastique de Jérusalem peut venir séjourner au mois d’août chaque année dans les burons. En retour, l’association s’engage à restaurer et entretenir les burons. Plus d’une dizaine de burons en pierre ont été restaurés et préservés sur l’Aubrac. D’autres burons ont également connu de nombreuses et diverses reconversions qui ont réussi, que ce soit dans le domaine de l’hébergement, de la restauration ou pour de l’usage privé.
Toutefois, le manque de concertation entre départements, d’actions communes, d’aides (techniques, financières, administratives) ainsi que les problématiques d’accès à la montagne ou de pression foncière peuvent bloquer la sauvegarde des burons de l’Aubrac. De plus, les savoir-faire (mémoire des buronniers, fabrication de la fourme, construction des murets, extraction et taille de la lauze…) doivent être mis en valeur et préservés. C’est un patrimoine bâti agropastoral exposé aux risques de dégradation, d’abandon, de pillages mais aussi au risque de banalisation. L’enjeu est donc de pouvoir assurer sa préservation fondée non seulement sur une connaissance approfondie ainsi que sur des actions collectives, concertées, justifiées, partagées et volontaires.
Afin de remédier à ces menaces mais également de préserver, valoriser et protéger les burons, bâtis d’estive de l’Aubrac, un projet issu des acteurs locaux de l’Aubrac a vu le jour dans les années 2000. Le 28 juillet 2010, les trois conseils régionaux, les trois conseils généraux et les structures locales initiatrices du projet ont voté à l’unanimité la constitution de l’association d’émergence en vue de la création du Parc naturel régional de l’Aubrac.
Élodie PRINTINHAC
Auteur du mémoire de Master 2 sur le Patrimoine bâti agropastoral de l’Aubrac
- Laurent FAU et al. (2006). Les Monts d’Aubrac au Moyen-Âge : genèse d’un monde agropastoral, Éditions de la Maison des Sciences de l’homme/Paris, 213 p. ↩
- Élodie PRINTINHAC (2013). Mémoire Master 2. Patrimoine bâti agropastoral de l’Aubrac au cœur du projet de Parc Naturel Régional de l’Aubrac. Entretien Monsieur Paul FOURNIER. Université Paul Valéry III, Montpellier. 158 p. ↩
- idem note n°1 ↩
- Idem note n°2 ↩
- idem note n°2 ↩