Des paysages de toute beauté, un patrimoine riche de sa diversité, les alpages sont plus qu’une ressource agro-pastorale.
Un patrimoine de cueillette, qui révèle et humanise la montagne
Face aux glaciers de la Meije, les alpages de la Grave étalent leurs prairies sur des versants abrupts, semés de rares et sobres constructions, dont les façades longues et basses alignent des schistes savamment appareillés. La haute vallée des Ayes, sous ses pierriers, cache des abris sommaires, terrés dans le sol, au pied des couloirs d’avalanche. Un simple pan de toit, appuyé à l’arrière sur un merlon qui fait tremplin, laisse glisser la coulée. En Clarée, les granges trapues et bien ventilées sont faites de “chapis”, bois de mélèzes ou de pins cembros posés en empilage et amovibles : les troncs équarris coulissent dans la rainure latérale des piliers de structure ; un loquet bloque la fermeture. Dans le Queyras, aucune route carrossable n’amène à Furfande, l’alpage perché et mythique d’Arvieux, qui compte plus d’une centaine de fustes1 , posées sur un soubassement maçonné dont le couronnement est protégé d’une jupette de planches… Les bâtiments d’estive, terme générique pour désigner les forests, granges, grangeons, fustes, chalets, bergeries, burons, marcairies et cabanes… qui peuplent la montagne, constituent un patrimoine de “cueillette”, car ils empruntent aux lieux les matériaux avec lesquels ils sont construits. Leurs toitures et leurs façades donnent à voir la montagne elle-même, la révèlent et l’humanisent en inscrivant dans des paysages impressionnants une échelle et une protection pour les hommes et leurs rudes activités.
Une nostalgie de l’estive, féconde ou dommageable pour le patrimoine montagnard ?
« Neuf mois d’hiver, trois mois d’enfer », disait-on. La saison estivale des récoltes devait remplir les greniers. Mois de labeur, dans un va-et-vient constant entre villages et alpages proches, ou estive complète, avec déménagement de la famille et du bétail, pour les alpages plus éloignés. Cependant, après le confinement de l’hiver, on attendait avec une certaine impatience le moment de “se changer”. La montée en alpage, c’était, avec l’été, le mouvement revenu et une vie en haut plus libre et aussi plus festive qu’en vallée. Leur souvenir s’est transmis aux générations actuelles, pour lesquelles l’alpage a conservé quelque chose de riant. Cet attrait est renforcé par le reflet très positif que la civilisation urbaine, appréciant randonnées et séjours ressourçants dans un cadre dépaysant, renvoie à la montagne.
Si le bâti d’estive a acquis une valeur marchande appréciable pour les gens de la montagne, il a aussi valeur de réconciliation avec un passé dont l’image était devenue négative. Avoir gardé un chalet en bon état, c’est être dépositaire d’un lien fort avec la montagne et une ferté que l’on ne peut méconnaître. La nostalgie est active, mais ses effets sont doubles. Car on n’habite plus la montagne comme hier. Les modèles urbains, à l’esprit rénovateur, interfèrent et menacent un patrimoine fragile. Afin d’encourager les bonnes pratiques mises en œuvre par des autochtones astucieux, plusieurs démarches ont été engagées parallèlement.
La démarche pédagogique des Hautes-Alpes pour la restauration des bâtiments d’estive
Le Service territorial de l’architecture et du patrimoine (STAP)2 effectue un travail de terrain important et diffuse une pédagogie sur mesure dans l’élaboration des projets et leur mise en œuvre. Un guide de restauration édité en 20053 , présente les principaux sites d’alpage et les typologies bâties qui leur correspondent, des recommandations architecturales et des exemples d’aménagements adaptés.
La Commission départementale de la nature, des paysages et des sites (CDNPS) examine tous les projets, allant des travaux d’entretien, de modification de façades, aux restaurations lourdes et aux reconstructions. Enfin, des stages de formation aux savoir-faire traditionnels sont proposés par le Parc national des Écrins.
Cet accompagnement n’empêche pas totalement les improvisations maladroites, ou, du fait d’une forte pression foncière, les demandes de reconstruction de ruines, à peine lisibles parfois. Il a néanmoins des effets positifs sur la tenue du bâti et l’on compte de jolies reconquêtes, comme au hameau du Jadis4 , qui a retrouvé toutes ses couvertures de bardeaux.
Afin de croiser les expériences et les constats entre les différents massifs, le STAP 05 a proposé un échange au niveau national, dans le cadre d’une journée d’étude, le 27 juin 2014, placée sous l’autorité du préfet des Hautes-Alpes. Cet évènement a rassemblé un grand nombre de structures concernées par la gestion du territoire montagnard.
Une initiative vivement souhaitée, à suivre avec une grande attention.
Hélène RIBLET
Inspecteur général, Direction générale des patrimoines, ministère de la Culture
Philippe GRANDVOINNET
ABF, chef du STAP des Hautes-Alpes
Christine PRADHEILE
STAP des Hautes-Alpes, DRAC PACA
- Constructions en bois typiques du massif du Queyras. ↩
- Unité territoriale de la Direction régionale des affaires culturelles Provence-Alpes-Côte d’Azur. ↩
- Guide de restauration des bâtiments d’estive, consultable sur les sites internet de la prétecture des Hautes-Alpes, de la Direction régionale des affaires culturelles et de la Direction régionale de l’environnement, de l’aménagement et du logement Provence-Alpes-Côte d’Azur, et du Parc national des Écrins. Réalisation : O. Cadart et S. Giorgis, architectes et paysagiste - Avignon. ↩
- Commune de Névache, haute vallée de la Clarée. ↩