Mafate : l’isolement comme carte d’identité

Contrairement à son île “soeur”, Maurice, la Réunion est une île de formation récente qui est le résultat de l’activité de deux volcans, dont l’un, le piton de la Fournaise est encore l’un des plus actifs du monde.

L’autre volcan, éteint celui là, s’est progressivement effondré en son centre et l’érosion phénoménale qui caractérise la Réunion a laissé la place à trois “cirques” : Salazie à l’est, Cilaos au sud et Mafate à l’ouest. Les pitons, cirques et remparts de la Réunion ont été inscrits sur la liste du patrimoine mondial par l’Unesco en 2010 en tant que site naturel abritant une grande partie des espèces endémiques des Mascareignes et un Parc national a été créé pour en assurer la gestion. C’est aussi, et avant tout, un site habité qui possède une histoire et une configuration exceptionnelles.

Mafate serait le nom d’un chef “marron” d’origine malgache qui aurait habité le cirque avant l’abolition de l’esclavage. Comme les deux autres cirques, Mafate a en effet longtemps été le refuge des réunionnais en déshérence : esclaves en fuite traqués par les “chasseurs de noirs”, petits blancs ou yab des hauts, colons ruinés retirés de la société pour défricher des terres dans le cœur de l’île… Les cirques ont longtemps été, à la fois, des zones de non droit mais aussi des espaces de liberté où l’on pouvait tenter de se refaire une vie dans des conditions extrêmes d’autarcie. Il en est résulté un habitat et un urbanisme spontané qui a été rattrapé à Salazie et à Cilaos par un désenclavement progressif. La découverte d’une source aux vertus thérapeutiques dans le cirque de Salazie au milieu du XIXe siècle va créer un engouement pour le thermalisme et le changement d’air qui sont à l’origine de la création de la ville d’Hell-Bourg, une ville dessinée en damier, posée sur un terrain friable et accidenté. Les belles cases créoles et leur jardins en terrasse domestiquent un paysage hostile avec une facilité déconcertante. La disparition de la source et des termes au début du XXe siècle marquera le déclin du site mais il reste encore aujourd’hui un lieu marqué par son ouverture sur la société urbaine créole. Le trajet s’est longtemps fait en chaise à porteurs, mais la création de la route a mis en place un fil conducteur irréversible qui a rompu l’isolement du cirque. Cilaos se pose en concurrent puis en successeur du thermalisme d’Hell-Bourg avec sa propre source qui fait sa richesse, et malgré l’éloignement, c’est une ville de cinq mille âmes qui surgit pour les visiteurs étourdis par leur voyage interminable par la “route aux quatre cents virages”. Salazie et Clilaos sont des cirques désenclavés par la route et qui ont une vocation agricole importante : ce sont les greniers de la Réunion, île agricole par excellence qui entretient une tradition d’autosuffisance alimentaire. Mafate ne possède pas de thermes, n’est desservi par aucune route et est même dépourvu de réseau électrique. L’absence de ville dessinée par l’autorité des gouverneurs
successifs n’a pas empêché l’émergence de bourgs qui corresponde à des oasis agricoles au sein desquelles sont dispersées des habitations. Celles-ci sont reliées entre elles par des sentiers entretenus par les pas des habitants et des randonneurs. Mafate est ouvert sur le ciel quand celui-ci est dégagé, mais la mer est invisible et difficile d’accès, car les remparts naturels aux parois verticales gigantesques barrent l’horizon. Le piton des Neiges, point culminant de l’Océan indien, veille sur le cirque du haut de ses trois mille soixante dix mètres. L’habitat est groupé mais les cases se tiennent tout de même à distance les unes des autres sans que leur implantation ne réponde à des règles écrites.

L’architecture, elle, apparemment dépourvue de caractère particulier, s’inscrit néanmoins dans un contexte culturel plus marqué. Si l’influence créole est tenace, car la moindre case répond à une stricte règle de symétrie et met en avant sa façade principale, les matériaux sont ceux que l’on a sous la main, c’est à dire du bois, de la paille, des galets de basalte, et ce que l’on peut récupérer. Le caractère précaire des constructions engendre un renouvellement permanent qui entraîne aujourd’hui une généralisation de l’usage du parpaing et de la tôle, tout en conservant une volumétrie proche des standards créoles.

La définition d’une typologie de l’architecture du cirque apparaît dès lors compliquée : il s’agit d’une architecture spontanée plus que vernaculaire, solidement ancrée dans le classicisme créole et nourrie des origines variées des habitants du cirque quand aux techniques constructives employées.

IL n’y a plus guère de case utilisant les matériaux du cirque car le ballet des hélicoptère permet de faire venir des sacs de ciment, des parpaings et de la tôle. Seules des petites constructions anecdotiques peuvent subsister qui rappellent les savoir-faire lontan.

Le cas de la construction de la chapelle de l’îlet à Bourse par l’association Vivre à l’îlet à Bourse est emblématique car il vise à retrouver un mode constructif endémique réalisé avec les moyens du bord. La construction, faite d’une ossature en bois de filaos et bambou, est couverte avec différents matériaux : choca (ou aloës vert : plante grasse aux feuilles rigides), paille de vétivers et paille “canne”. Les constructeurs ont constaté avec le recul que la paille tressée était le matériau le plus résistant. Les toitures débordantes permettent d’évacuer l’eau loin des murets qui bordent la construction et qui sont réalisés en un mélange de terre, de paille et de bouse de vache. L’expérience de retour à des techniques utilisées il n’y a pas si longtemps mais déjà oubliées montre que la forme architecturale subit une forte influence de l’isolement et du climat. Néanmoins, l’ouvrage conserve une certaine monumentalité et des proportions classiques qui sont la marque de fabrique de l’architecture créole réunionnaise, née aux XVIIe et XVIIIe siècles.

Le cirque qui a vu sa population s’éroder au fil du XXe siècle, est aujourd’hui un territoire fer et dynamique qui contribue à l’ouverture de la Réunion sur le monde. Il accueille des marcheurs du monde entier et leur offre le gîte et le couvert dans ses nombreux îlets. Le projet de création d’une route dans le lit de la rivière des galets dans les années 1970 s’était heurté à l’opposition des habitants et la mise en place du Parc national a repoussé pour longtemps cette idée. L’éloignement est aujourd’hui le fond de commerce d’un territoire qui a su s’adapter et qui est tout de même ravitaillé par des rotations d’hélicoptères.

Raphaël GASTEBOIS
ABF-CRMH, chef du pôle des patrimoines de la direction des affaires culturelles - océan Indien

Dans le même dossier