Les chalets d’alpage, vingt ans après

La pression immobilière, particulièrement importante en Haute-Savoie, s’étend aux zones d’alpage et de nombreux dossiers d’autorisation d’urbanisme sont déposés pour réhabilitation ou reconstruction complète de bâtiments d’alpages.

Ces demandes relèvent de deux types de traitement, suivant qu’elles concernent où non la catégorie des “anciens chalets d’alpage” au sens de la loi du 9 février 1994. Après vingt ans d’application, un bilan serait nécessaire afin d’évaluer si l’objectif de préservation qui justifie cette distinction est bien atteint dans la pratique.

Un caractère dérogatoire

Pour permettre le développement et la protection de la montagne, la loi du 9 janvier 1985, n’autorise que les constructions nécessaires aux activités agricoles, pastorales et forestières. En 1994, afin d’éviter la dégradation et la ruine de bâtiments patrimoniaux une dérogation est mise en place sous certaines conditions :

« Peuvent être également autorisées, par arrêté préfectoral, après avis de la commission départementale compétente en matière de nature, de paysages et des sites, dans un objectif de protection et de mise en valeur du patrimoine montagnard, la restauration ou la reconstruction d’anciens chalets d’alpage… » Art. L. 145-3 du code de l’urbanisme.

La ville à la montagne

En 2004, le Conseil général de la Haute-Savoie a confié à la SEA (Société d’économie alpestre) une enquête “Bâtiments d’alpages”. Ce recensement effectué dans les périmètres des “unités pastorales” a décompté dix mille bâtiments. Ceux à usage agricole ne représentaient que 30 % de l’ensemble. L’alpage est donc devenu un territoire ambivalent : le pastoralisme qui fonde sa qualité paysagère tend à être marginalisé au profit des activités de loisirs des urbains.

En dehors des unités pastorales, il existe de nombreux territoires au-dessus de la limite de l’habitat permanent où de multiples bâtiments peuvent se prévaloir de la qualité “d’anciens chalets d’alpage”. De ce fait, il y a sans doute plusieurs milliers de bâtiments qui s’ajoutent aux dix mille mentionnés ci-dessus.

Une niche immobilière

IL s’est créé autour de la dérogation un vrai marché du bâtiment d’alpage. D’autant que l’état de ruine n’est pas un frein pour en bénéficier. Les successions en tiennent compte de même que les ventes et les déconvenues peuvent être importantes si la CDNPS ne reconnait pas le caractère d’ancien chalet d’alpage. Ce caractère appréciatif crée une incertitude ouvrant la porte à de multiples attitudes. Transformations sans autorisation, preuves historiques imprécises, pressions auprès des élus locaux… Les quelques inventaires communaux réalisés par le CAUE ne constituent pas le support juridique nécessaire à la détermination du statut.

Entre “work in progress” et “Disneyland”

L’incompatibilité des programmes de villégiature et des techniques mises en œuvre avec l’organisation et la structure constructive de ces bâtiments est manifeste, posant la question du sens de la restauration. Ces bâtiments accueillaient hommes et bêtes dans des conditions extrêmement frustres.

Les problèmes d’accès rendent les travaux difficiles mais également les contrôles. L’autoconstruction est donc fréquente à base de tôles, de blocs de béton non enduit et de mise en œuvre approximative. À l’opposé, quelques chantiers favorisent l’éclosion d’un folklore austro-suisse débridé. Le créneau de la ferme de montagne a vu apparaître quelques entreprises spécialisées dans le démontage-remontage de structures bois anciennes, proposant des recompositions permettant parfois la rencontre improbable, entre un linteau polonais du XVe avec un poteau XIXe du Chablais.

Ces bâtiments constitutifs du rêve alpin témoignent d’une organisation agricole parfaitement rationnelle échelonnée le long de la pente. Celle-ci conditionne l’économie générale de la construction : la modestie et l’intelligence des réponses expliquent le sentiment d’une parfaite adéquation forme-fonction. Ces bâtiments-outils supportent de ce fait difficilement une reconversion. Conscient de leur valeur patrimoniale, le législateur a tenté la mise en place d’une appréciation au cas par cas. Vingt ans après, le recours à une méthode plus classique d’inventaire systématique et d’encadrement des travaux mériterait d’être examiné. La Suisse voisine qui a opté pour cette solution semble obtenir de meilleurs résultats.

Arnaud DUTHEIL
Directeur du CAUE de la Haute-Savoie

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