À l’issue de leur formation, les élèves architectes et urbanistes de l’État rédigent un mémoire. Ce projet de fin d’étude (PFE), constitue un travail de synthèse entre l’expérience acquise sur le terrain à l’occasion du stage effectué en début de scolarité et l’ensemble des enseignements dispensés durant l’année. Ce travail, soutenu devant un jury, est l’un des éléments d’appréciation de l’aptitude de l’élève à exercer des responsabilités au sein d’un service de l’État. Les quatre projets présentés sont extraits des travaux des deux dernières promotions.
Strasbourg, l’arrière gare
À Strasbourg, à l’instar de nombreuses villes, l’autoroute A35 a été positionnée au plus proche du centre, sur les anciens glacis militaires. Elle est source de grandes nuisances urbaines et d’importants dysfonctionnements. La Direction régionale de l’Équipement mène un projet de contournement de l’agglomération et envisage sa requalification en « autoroute apaisée » ou en grand boulevard urbain. La restructuration des échangeurs va libérer une emprise foncière de plus d’une centaine d’hectares située juste derrière la gare. En raison de l’arrivée prochaine du TGV, les enjeux économiques et urbains y sont importants.
La DRE a lancé une étude sur les potentialités d’urbanisation. Or sur ce site, se dresse sur plus d’un kilomètre, un front de la dernière enceinte urbaine, édifié par les armées allemandes lors de l’Annexion de 1870 à 1918. Resté jusqu’en 2000 dans le domaine militaire, il est méconnu de tous. Devenu propriété de la Ville, il est toujours inaccessible.
Un enjeu urbain
Partant de ces problématiques urbaines, j’ai, dans le cadre de mon projet de fin d’études et de mon stage au SDAP du Bas-Rhin, dressé un diagnostic du site, décrit les logiques parfois contradictoires des différents acteurs sur le territoire et constaté l’absence de prise en compte du rempart dans le projet urbain. Le rempart est pourtant un vestige remarquable et unique, seul exemple conservé d’enceinte urbaine de type polygonal. La France n’en a jamais érigé et les réalisations allemandes ont été rasées conformément au traité de Versailles. Il est ainsi l’un des témoins emblématiques de l’histoire de Strasbourg, ville frontière enjeu de deux nations, et renvoie à des blessures identitaires et des zones d’ombre de la mémoire collective.
Une reconnaissance européenne
Non reconnu comme patrimoine, ni comme enjeu urbain, il est menacé par les dynamiques qui s’exercent sur le site. Une association d’historiens a demandé son classement au titre des monuments historiques mais la ville est réticente à cette mesure par crainte d’un gel du développement.
J’ai donc souhaité aborder la démarche de protection à partir d’une approche globale et partenariale qui pourrait se décliner en trois volets : un accompagnement des projets urbains et de mise en valeur du rempart, une action culturelle favorisant la découverte du monument et une reconnaissance officielle par l’État de sa valeur patrimoniale.
Ce dernier point soulève la question de l’adéquation des formes de reconnaissance avec le sens et le rôle de ce patrimoine. La reconnaissance, par définition sélective, est une relecture de l’objet et de l’Histoire, elle s’effectue donc dans le contexte idéologique de son époque. Si la politique patrimoniale a longtemps servi la construction du sentiment national, elle pourrait dans ce cas, œuvrer à la promotion de valeurs européennes. La conjoncture politique actuelle semble favorable : un Euro-district (nouvelle entité administrative européenne) entre Strasbourg et Kehl, la ville voisine outre-rhin, est en cours de constitution. Dans ce contexte, j’ai proposé la création d’un label « Patrimoine européen des frontières », en m’appuyant sur la politique culturelle menée par le Conseil de l’Europe suite aux conflits en Bosnie. Pour cette institution, les frontières sont des lieux de tension mais aussi d’échanges et apparaissent comme un « laboratoire d’Europe », un creuset de la citoyenneté européenne. Cette forme de reconnaissance, adaptée aux lieux de mémoire double, est partenariale et forcément volontaire. Par cela, elle crée de la valeur, du sens et du lien, avec l’espoir que la relecture du passé, réalisée dans un climat apaisé, aide à fonder un avenir. La démarche concernant le rempart de Strasbourg pourrait être un exemple pour des pays où les tensions sont plus récentes.
Cette étude a montré que la ville se forge aussi à travers le symbolique et que le rôle du SDAP est d’assurer le respect du cadre de vie, mais aussi des identités. L’expertise de l’AUE doit être architecturale et urbaine, mais aussi sociale et culturelle.
Malory CHERY
AUE, SDAP Bas-Rhin
PFE soutenu en mars 2004 (directeur d’études Philippe Cieren)
Val-de-Marne, les hôpitaux historiques
Les hôpitaux connaissent aujourd’hui de profondes mutations, liées à la révolution de la prise en charge médicale et à un bouleversement des besoins. Les ensembles urbains qu’ils constituent sont l’objet d’enjeux politiques forts.
Entre protection et évolutions
L’évolution de l’architecture hospitalière est révélatrice des transformations de la société. Se sont ainsi succédé : l’hôtel-dieu, soin des âmes plus que des corps, l’hôpital palais à la gloire de son commanditaire, Les hôpitaux pavillonnaires et sanatoriums à vocation hygiéniste, l’hôpital monobloc, machine à soigner extraite du contexte urbain et les hôpitaux urbains actuels, combinant construction neuve et réhabilitation.
La question de l’hôpital comme monument est posée. Il est aujourd’hui plutôt considéré comme un quartier de ville, or la valeur d’appropriation de ce patrimoine dépasse la réalité physique des bâtiments et leur valeur esthétique. L’obsolescence et l’inadéquation aux nouvelles activités médicales caractérisent les bâtiments historiques. Pour les sites en évolution constante, la protection au titre des monuments historiques n’est qu’un outil partiel. Désaffection, densification et altérations architecturales les menacent. Leur réhabilitation est par principe complexe. Conserver en transformant ou délocaliser (avec
la question de la reconversion) pour préserver est un dilemme concernant nombre d’équipements.
Histoire et progrès
Le Val-de-Marne abrite des bâtiments représentatifs dont la construction s’est étalée dans le temps, dans un paysage entièrement urbanisé. Comme support de la réflexion dans le cadre de mon projet de fin d’étude, sont retenus trois hôpitaux historiques dont les projets en cours vont modifier la physionomie et l’environnement. Ces sites, présentant des architectures remarquables, concentrent les difficultés et les contradictions de bâtiments figés par les procédures de protection et soumis à des évolutions permanentes. Les espaces ouverts des cours inhérents à la qualité des sites, sont souvent insuffisamment considérés.
Sur le terrain de l’hôpital du Kremlin-Bicêtre, la construction d’une maternité implique des démolitions et modifie largement les abords immédiats des parties inscrites ou classées. Le déplacement de l’accès principal pose la question de la place de l’hôpital dans la ville.
À Ivry, autour de l’hospice Charles Foix, le plus important centre gériatrique de France et site d’expérimentations architecturales, une réflexion émerge sur l’avenir de bâtiments inappropriés et la constructibilité des abords.
Sur la commune de Saint-Maurice, les hôpitaux Esquirol, National et Vacassy composent un ensemble inscrit dans un environnement naturel protégé et contraignant pour leur développement.
Il s’agit dans les trois cas d’aborder les préconisations et les conditions à mettre en place pour permettre leur évolution harmonieuse par la définition d’une méthodologie généralisable. Les bâtiments hospitaliers n’ont pas encore acquis l’engouement et la légitimité alloués récemment au patrimoine industriel ou militaire. Il s’agit de comprendre le rôle social et urbain, d’identifier les qualités, et d’analyser les contradictions qui les menacent. La sensibilisation et la concertation de tous les acteurs au patrimoine hospitalier sont l’un des enjeux qui permettront d’assurer un développement harmonieux et respectueux des sites. Puisque l’oubli entraîne la perte, ayons toujours à l’esprit de témoigner du respect pour ces lieux qui recueillent et soignent toutes les défaillances humaines.
Olivier CURT
AUE, SDAP Côte-d’Or,
PFE soutenu en avril 2005, (directeur d’études Dominique Michel)
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