L’origine de l’École de Chaillot

L’enseignement tel qu’il est organisé aujourd’hui à l’École de Chaillot se situe dans le prolongement de la création par l’État en 1887 de la première chaire d’architecture française ; le cours se tenait le jeudi après-midi, de novembre à mai, dans la bibliothèque du musée de sculpture comparée au Trocadéro. Cet enseignement magistral était alors confié à un architecte, polémiste, praticien, déjà constructeur de nombreuses églises, d’immeubles de rapport et du Lycée Lakanal à Sceaux, l’Inspecteur général des édifices diocésains, et membre de la Commission des monuments historiques, Anatole de Baudot. Il développa son propos en évoquant les problèmes posés par la restauration des monuments, pour répondre à la commande de la Commission des monuments historiques, qui prend en charge l’indemnité annuelle versée au professeur et l’administration des Cultes qui assure les frais de modèles et de dessins destinés au cours.

Ce nouvel enseignement doit satisfaire la demande insistante des architectes travaillant pour le ministère de l’Instruction publique, se désolant de ne pouvoir trouver des dessinateurs et des inspecteurs de chantier compétents. Il doit permettre notamment de parfaire les connaissances des anciens élèves de l’école des Beaux-arts dans le domaine de l’architecture du Moyen âge et de la Renaissance.

Le milieu progressiste des architectes et des amateurs d’architecture apprécie. Cette chaire ne peut que les réjouir, son programme ayant été défini en filigrane dans le Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XI au XVIe siècle de Viollet-le-Duc. Tenu pendant plus de vingt-cinq ans par son fondateur, cet enseignement s’éteint avec lui jusqu’à la première guerre mondiale. La pensée de l’auteur a été synthétisée par lui-même et publiée en 1916 à Paris chez Henri Laurens, dans un ouvrage posthume intitulé L’architecture Le passé-Le présent.

Renouvellement des cours

Un tel positionnement, par son caractère d’exception lié à la forte personnalité d’un unique professeur, ne put être maintenu par la suite, alors que le sous-secrétariat des Beaux-arts souhaitait permettre « aux architectes appartenant ou se destinant au service des monuments historiques de se perfectionner dans l’étude des monuments anciens ». À la fin de l’année 1920, est institué, toujours au musée de sculpture comparée, « sous la haute direction de la Commission des monuments historiques, un enseignement de architecture et des arts qui s’y rattachent ».

Ce cours est gratuit et peut être suivi par des élèves inscrits et des auditeurs libres ayant obtenu l’autorisation écrite de l’administration des Beaux-arts. D’abord organisé sur deux ans, il accueille deux cinquante-six inscrits, et comprend « des conférences techniques sur la construction et la décoration des édifices anciens et des conférences d’archéologie sur l’évolution générale de l’architecture et des arts qui s’y rattachent, des origines à nos jours ». À partir de la fin de l’année 1922, il se développe sur quatre années durant lesquelles se succèdent cent vingt conférences principales, augmentées de présentations hors série, de visites de monuments et de chantiers.

Paul Léon, alors directeur des Beaux-arts, dresse le programme suivant : « L’étude de l’architecture comportera celle de tous les arts qui s’y rattachent : statuaire et sculpture d’ornements, vitraux et décoration mobilière. Nous appellerons tour à tour, pour traiter les divers problèmes, ceux qui seront désignés, en France ou à l’Étranger, par leurs travaux et leur compétence spéciale. S’adressant à des hommes et non plus des écoliers, cet enseignement mutuel, varié dans ses formes, sans cesse fécondé par l’apport d’éléments nouveaux, corrigé par la confrontation des recherches et la critique réciproque paraît mieux approprié que le cours unique, officiellement professé du haut d’une chaire solennelle. Est-il besoin d’ajouter que nous ne prétendons point enfermer les Architectes dans l’étude exclusive du passé ? (…) Il serait aussi vain de prétendre nous abstraire de conquêtes de la science moderne, que de fermer les yeux aux lumières sans cesse projetées des solutions du passé sur les recherches du présent ».

Instauration d’un diplôme

Interrompu ensuite, mais destiné à être publié comme l’atteste l’ensemble des conférences recueillies auprès de leurs auteurs, conservé aujourd’hui à la médiathèque du Patrimoine) l’enseignement reprend à la fin de l’année 1936 à l’école des Beaux-arts, avec d’autres partenaires, selon un autre rythme. La nouveauté principale est la création d’un diplôme, remplaçant avantageusement pour les élèves les anciens certificats d’assiduité. Cependant, l’inscription est conditionnée par la réussite à un concours d’entrée, quelques auditeurs libres étant acceptés ; le nombre d’élèves était fixé entre trente et quarante.

Ce « Diplôme d’études supérieures pour la connaissance de la conservation des Monuments anciens » est délivré par l’Université de Paris, dans le cadre de son Institut d’Urbanisme ; la première promotion sort en 1938. Les élèves l’ayant acquis en réussis- sant aux examens de la section historique et de la section technique sont dispensés de l’examen du premier degré aux concours pour l’emploi d’architecte et d’architecte en chef des monuments historiques; ils peuvent bénéficier d’une majoration de points lors du classement général et leurs noms sont communiqués aux préfets, aux maires et aux sociétés ayant pour objet la protection des monuments anciens.

La formation quitte le giron de l’université en janvier 1944 et fonctionne jusqu’en 1949. Interrompu en 1950, l’enseignement est présenté dorénavant comme une formation permanente pour les architectes français et étrangers et moins comme une préparation au concours d’architecte en chef des monuments historiques. Il reprend l’année suivante, toujours à l’école des Beaux-arts avec un contenu inchangé jusqu’en 1966. Deux types de cours et d’ateliers correspondent toujours aux deux certificats nécessaires pour obtenir le diplôme.

Y sont rassemblés un enseignement magistral d’histoire de l’architecture, depuis l’Antiquité jusqu’au XIXe siècle (qui en réalité s’arrête à Ledoux avec l’évocation des Salines) et des enseignements sur les arts appliqués et la législation. Ils préparent à une composition écrite de cinq heures et à deux interrogations orales ; un enseignement des techniques de conservation des édifices, mélangeant cours et exercices, prépare à une autre épreuve graphique ultime en loge de onze heures : le sujet porte sur la résolution d’un problème survenu dans un monument historique suite à un hypothétique accident; une interrogation sur les solutions adoptées complète l’examen.

Sous l’impulsion de Michel Denieul, chartiste de formation, alors directeur de l’architecture au ministère d’État aux Affaires Culturelles, dans le contexte de la réorganisation en profondeur de l’enseignement au niveau national et du démantèlement de l’école des Beaux-arts, un nouveau dispositif prend place en 1969. Celui-ci a pour effet de ramener la formation au Centre d’études supérieures d’histoire et de conservation des
monuments anciens (CESHCMA) du Palais du Trocadéro sur la colline de Chaillot.

Jean-Paul MIDANT
Maître assistant à l’École d’architecture de Paris-Belleville

Dans le même dossier