Depuis l’origine, l’histoire de l’architecture fait partie du programme d’enseignement de l’École de Chaillot. Son rôle y est, nul n’en doute, fondamental dans la formation d’architectes qui auront à intervenir sur le patrimoine historique. Cependant, la façon dont l’action de cette discipline s’exerce impose une réflexion qui doit être permanente pour l’adapter aux besoins spécifiques de la profession. Est posée en particulier la question de l’extension des sujets enseignés à l’architecture européenne, sur laquelle les architectes du patrimoine auront sans doute un jour à intervenir. Le temps dont dispose cet enseignement à l’école n’étant pas extensible et, d’ailleurs, à peine suffisant pour développer une simple initiation à l’histoire de l’architecture française, il nous paraît qu’il faut encore, au moins provisoirement, rester dans les limites nationales.
Autre question : doit-on répartir le temps d’enseignement en tenant compte de la densité des vestiges conservés pour chaque période de l’histoire ? En d’autres termes, faut-il sacrifier l’Antiquité au Temps présent ? Ce serait manifester une totale incompréhension de la fonction de l’histoire qui est par nature fondatrice : elle assure la résistance des fondations et des structures.
L’Antiquité est la matrice du Temps présent. Nous tendrons à le démontrer dans la séance inaugurale des Cours publics 2006-2007. Pour s’en convaincre, il faudrait privilégier l’exposé des développements de longue durée, développer par exemple l’histoire de l’habitation depuis les cabanes néolithiques jusqu’aux HLM, sur des bases scientifiques plus solides que celles dont disposaient Viollet-le-Duc et Garnier. Mais la formation universitaire des enseignants ne prépare pas ceux-ci aux parcours millénaires. Viennent enfin les questions relatives aux méthodes d’enseignement. Il faudrait réduire, par la publication de manuels, la place prise par l’enseignement oral pour augmenter celle des séminaires.
La réception passive n’est pas adaptée à la formation d’adultes qui ont pris conscience que les acquisitions durables de connaissances proviennent de l’expérience. Malheureusement, le livre que nous avons publié sur les Temps modernes n’a pas eu le rôle que nous lui avions assigné. Nous recueillons constamment des manifestations de l’attachement des élèves à l’enseignement oral. Peut-être les supports audiovisuels que nous réclamons permettraient-ils l’évolution que nous souhaitons. Notre séminaire a régulièrement porté simultanément sur deux sujets : l’étude critique de la fiabilité des documents graphiques, l’étude archéologique des escaliers des églises. Démonstration a été faite que l’exploration intense d’un sujet limité ouvrait les perspectives d’une prospection élargie. À l’évidence, maintes fois énoncées, toutes ces questions se poseraient en d’autres termes si la connaissance de l’histoire de l’architecture faisait partie, comme elle le devrait, de la culture commune, en particulier de celle des architectes. Dans les écoles d’architecture, l’enseignement de l’histoire ne devrait pas être marginal mais initial. Il devrait constituer une sorte de propédeutique des premiers mois de scolarité pour permettre aux nouveaux élèves de vérifier leur choix d’une profession qui, à notre sens, ne s’exerce pas
heureusement sans vocation.
Jean-Marie PÉROUSE DE MONTCLOS
Directeur de recherches au CNRS, Enseignant à l’École de Chaillot