Aujourd’hui le patrimoine fait partie de la boîte à outils des politiques publiques. En Normandie, les collectivités territoriales, Région et municipalités, s’investissent vigoureusement en faveur de la reconnaissance des villes de la Reconstruction après la Seconde Guerre mondiale. Il s’agit de redonner du sens au local dans un contexte mondialisé : le patrimoine contextualise et singularise. De plus, ce patrimoine de proximité implique le citoyen qui y trouve une part de son identité. Il répond donc à la puissante demande de participation qui traverse nos sociétés.
Dans le cadre d’une recherche financée par le ministère de la Culture, nous avons étudié cet investissement des élus et des collectivités locales de la région normande en faveur de la Reconstruction1 . Patrimoine identitaire, largement répandu sur le territoire, il fait aussi, de manière simultanée et paradoxale, l’objet d’une réflexion intense sur son devenir. Considéré comme vieillissant, mal adapté aux conceptions du confort contemporain, le bâti de la Reconstruction en Normandie est aussi la cible des politiques publiques actuelles en matière d’habitat et de revitalisation des centres-villes, à l’échelle nationale (Action Cœur de ville) comme à l’échelle régionale (convention-cadre sur les villes reconstruites de la région Basse-Normandie puis Normandie).

Un bâti inadapté à l’évolution des pratiques et des usages

Côté cour, la Reconstruction révèle sa nature de laboratoire urbain. Il ne s’agissait pas de refaire la ville du passé, mais de profiter des destructions pour inventer des formules nouvelles, sans rapport avec l’organisation ancienne. La reconfiguration du parcellaire et la réorganisation des îlots fut un champ d’expérimentation intense, avec une conception tout à fait nouvelle du sol. L’objectif était de mettre en place une ville aux espaces poreux, perméables les uns par rapport aux autres, en limitant au maximum les clôtures et les limites. Le résultat ce sont des îlots ouverts, accessibles, qui rendent l’espace urbain entièrement traversant et qui offrent des possibilités de promenades piétonnes différenciées de la circulation automobile. Bien que relevant de la propriété privée, ces espaces collectifs et accessibles sont d’une nature assez proche de celle des grands ensembles malgré leur moindre dimensionnement. Ils sont aujourd’hui le plus souvent mal appropriés et peu entretenus, leur caractère collectif et ouvert est un repoussoir. Le travail généralement mené sur ces espaces à la lisière du privé et du public vise à lever l’ambiguïté. Sur le modèle des réalisations menées dans les grands ensembles, le sol est clôturé, « résidentialisé », des barrières ferment les accès aux cœurs d’îlot pour les voitures et les piétons.
Enfin, du point de vue de l’habitabilité intérieure, les problèmes généralement identifiés sont ceux de l’accessibilité, de l’isolation thermique et de l’imbrication du logement et du commerce. Pour le premier point en effet, la règle du ministère de la Reconstruction et de l’Urbanisme était de n’installer un ascenseur que pour les immeubles de cinq étages et plus. Ils étaient donc très peu fréquents. L’isolation thermique était généralement prévue sous forme de vide d’air dans l’épaisseur du mur, ce qui donnait une performance assez correcte. Malheureusement, il y avait souvent des effets de pont thermique, au niveau des éléments de structure mais aussi souvent dans les loggias, dont les joues intérieures n’étaient pas isolées. Les toitures et les baies en simple vitrage étaient aussi des sources de déperdition importantes. Enfin les commerces communiquaient généralement avec un logement à l’étage, destiné au commerçant.
Des pistes d’action
Aujourd’hui, l’observateur fait face à un double discours sur les villes reconstruites : d’un côté, la demande patrimoniale que nous avons soulignée en introduction témoigne d’une sensibilité sincère aux qualités architecturales et urbaines. De l’autre on liste avec complaisance les dysfonctionnements d’une ville grise, minérale, vite construite, au bâti vieillissant et inadapté. Au final et faute de mieux, on intervient à partir d’un catalogue d’actions génériques, valables sur l’ensemble du territoire national pour toutes sortes de bâtiments ou de villes. De la même manière, les demandes habitantes auxquelles répondent ces actions sont interchangeables : il faut des ascenseurs, des balcons, des espaces extérieurs parce que c’est ce qu’on attend partout en matière de logements, ou de l’isolation thermique parce que c’est le principal marqueur de l’attention à l’environnement.


Le patrimoine n’est pas durable par nature, mais il donne, à qui s’en saisit, des clés pour intégrer de manière équilibrée des injonctions du présent dans les objets du passé. Les villes de la Reconstruction, laboratoires de l’urbanisme moderne au moment de leur réalisation, sont une formidable opportunité pour expérimenter de cette manière l’invention de la ville durable de demain.
Les photographies illustrant cet article sont issues d’une commande de la part du projet de recherche à la journaliste et photographe Élisabeth Blanchet sur les habitants et les modes d’habiter dans l’architecture de la Reconstruction en Normandie.
- Le projet de recherche « Ressources culturelles et projet urbain. Les villes moyennes de la Reconstruction en Normandie » a été retenu pour financement dans le cadre du programme de recherche incitatif pluriannuel (2016-2020) “Architecture du XXe siècle, matière à projet pour la ville durable du XXIe siècle “ ↩