Lunel, commune située le long de la limite est du département de l’Hérault, entre montagne et littoral, a l’ambition de devenir un pôle d’équilibre entre Nîmes et Montpellier. L’essor démographique qu’elle connaît depuis les années 1960 se lit aujourd’hui à travers son étalement urbain, ses entrées de ville défigurées, un territoire mité et un centre-ville paupérisé. La ville pourrait bien profiter de l’opportunité d’être parmi les quatre villes du département à bénéficier de financements d’Action Cœur de Ville, à condition de mettre tous les outils disponibles en matière de revitalisation en synergie pour réaliser des opérations exemplaires.
ACV: Action Cœur de Ville
NPNRU : Nouveau Programme National de Renouvellement Urbain
OPAH-RU : Opération Programmée d’Amélioration de l’Habitat-Renouvellement Urbain
PDA : Périmètre délimité des abords
SPR : Site patrimonial remarquable
ZAE : Zone d’activité économique
Comment, à partir d’un projet concret de transformation d’usage d’un bâtiment à caractère patrimonial, l’initiative publique peut générer par « contagion positive » un effet boule de neige qui, à terme, entraîne l’investissement privé sans lequel une revitalisation globale, en profondeur et sans précédent ne peut être envisagée ?
Si nombreux sont les exemples qui racontent des histoires optimistes, vertueuses, porteuses de vitalité et d’innovation, c’est bien grâce au travail collaboratif entre élus locaux, pouvoirs publics et habitants.
Ces projets de développement territorial naissent d’une volonté municipale forte, se pérennisent grâce à une continuité politique au-delà du cycle électif (le temps long) et s’ancrent dans le local par l’implication de la population dans la définition de ces projets.
Certaines initiatives nous montrent que le renouveau des centres bourgs et le retour de l’attractivité de territoires reculés peuvent être amorcés, notamment en s’appuyant sur ce qui constitue leur patrimoine (bâti, paysager, culturel). Ces projets ont le pouvoir de fédérer, de recréer une identité collective et de rendre aux habitants un esprit de solidarité. Attirer de nouvelles populations en quête de ces valeurs et d’un cadre de vie qualitatif c’est ce qui, à long terme, va permettre à ces centres villes d’exister au côté des grandes métropoles.
Un cas d’école
Le Pays de Lunel est un territoire à cheval sur deux bassins de vie. Coincé entre deux agglomérations, Nîmes et Montpellier, dont il subit le phénomène de métropolisation, il a connu une importante croissance démographique ces trente dernières années se traduisant par une urbanisation fortement consommatrice d’espaces et répondant essentiellement à une logique d’axes de circulation (RN113, A9).
Un rééquilibrage de l’organisation de ce territoire est nécessaire pour lui permettre de répondre aux enjeux du développement durable. Il s’agira notamment pour le schéma de cohérence territoriale (SCoT) en cours de révision, de présenter une armature urbaine respectueuse des caractéristiques et des dynamiques du territoire et de montrer sa volonté de maîtriser l’étalement urbain par une politique ambitieuse de réinvestissement urbain.Le pays de Lunel a connu un développement économique marqué par l’absence de stratégie d’ensemble en lien avec les spécificités du territoire et cohérente avec les territoires limitrophes. Il s’est notamment traduit par une organisation autour de zones d’activité économique (ZAE) souvent concurrentes, peu denses et peu qualitatives.
Doter le territoire d’une véritable stratégie économique et commerciale, lui permettant notamment de développer une économie endogène, est nécessaire. Il s’agira particulièrement de définir une armature d’espaces économiques cohérente avec l’armature urbaine, de prioriser la requalification et la densification des ZAE existantes mais également de rééquilibrer l’offre commerciale du territoire en réinvestissant les centres villes et en privilégiant le renouvellement urbain.
Il est donc nécessaire de conforter la place de l’agriculture. Avec 75% de son territoire occupé par des espaces agricoles, c’est l’un des meilleurs potentiels agronomiques du département, à proximité d’importants débouchés de consommation.
L’étalement urbain et les barrières que constituent les grandes infrastructures de transports qui traversent le territoire (A9, RN113, LGV) ont fragilisé des nombreux espaces. Il y a un risque important de banalisation des paysages du pays de Lunel. La préservation et la valorisation du riche patrimoine paysagé de ce territoire, porte d’entrée sur les Cévennes au nord, de la Camargue au sud et du plateau des Costières à l’est, sont aujourd’hui une nécessité.
Lunel Et Action Cœur de Ville
Dans l’Hérault, le programme Action Cœur de Ville (ACV) doit permettre la reconquête des centres anciens de quatre villes sur lesquelles l’architecte des bâtiments de France (ABF) souhaite renforcer son rôle de conseil et de contrôle avec la conviction que l’héritage ne doit plus être seulement une valeur à préserver mais une matière sur laquelle il est possible de travailler pour l’adapter aux modes de vie actuels.
Parmi les quatre villes concernées (Sète, Agde, Béziers et Lunel), seule la ville de Lunel n’est pas protégée par un site patrimonial remarquable (SPR), ce qui renforce le rôle de conseil de l’ABF.
À Lunel, l’articulation du Nouveau Plan National de Renouvellement Urbain (NPNRU), avec le programme ACV, son OPAH-RU, les financements européens (ATI urbaine) et éventuellement d’autres dispositifs, tels que le programme régional Bourgs centres va être déterminante. C’est dans la combinaison des différents programmes que l’on peut espérer une montée en puissance des opérations initiées qui va de pair avec une prise de conscience croissante des élus, des habitants, des bailleurs et, d’une façon générale, de tous les acteurs enfin réunis autour d’une seule cause « nationale » pour un champ d’application local.
Lunel a déjà expérimenté, dans le cadre d’opérations programmées d’amélioration de l’habitat de renouvellement urbain (OPAH-RU) dites d’opérations isolées, plusieurs opérations de renouvellement urbain se traduisant par la démolition d’îlots entiers, dont le potentiel de réhabilitation avait pourtant été démontré. D’autre part, ces opérations isolées n’ont pas eu l’effet d’entrainement escompté sur l’investissement privé dans le périmètre du centre ancien.
Les projets « matures » qui se mettent en place s’axent sur trois thématiques : l’habitat, les espaces publics et le commerce. Pour l’habitat, deux îlots pilotes ont été identifiés et les scénarios de réhabilitation plutôt que de démolition systématique ont été privilégiés. S’ajoute à cela un dispositif de ravalement obligatoire de façade et le recyclage du parc communal d’immeubles vacants. L’objectif fixé est de cent soixante-dix logements réhabilités par tranche de cinq ans. Pour les espaces publics, cela se traduit par l’aménagement graduel (sur les quinze prochaines années) des espaces clefs, (stationnement, boulevard urbain, places, changement de sens de circulation, pistes cyclables, traversées piétonnes) qui ont pour but d’apaiser le trafic dans le centre-ville pour y privilégier les modes de déplacements doux et rétablir des connexions entre les différents quartiers se servant du noyau du centre ancien comme d’une rotule. Pour le commerce, un zonage du centre-ville commerçant a été mis en place pour servir trois stratégies différentes ; à savoir, renforcer, maintenir ou faire muter les locaux commerciaux existants. Un manager de centre-ville sera engagé pour mener une démarche pro-active de recommercialisation en accompagnant au remembrement et à la requalification des locaux dans la zone de chalandise, repérer les locaux stratégiques en vue d’une préemption communale, réorganiser, gérer, prospecter, faire incuber des commerces et adapter la stratégie globale en fonction des fluctuations du marché.
On peut regretter que toutes ces actions se concentrent sur seulement un quart du centre ancien et que le croissant est (abritant la population la plus vulnérable, majoritairement locataire selon l’étude de peuplement et le bâti le plus dégradé selon les études patrimoniales) soit mis à l’écart de cette dynamique mais la stratégie est bien d’amorcer un mouvement plus ample qui dirigera à terme l’investissement privé sur la totalité du centre ancien.
Également constater que l’espace public le plus structurant (entre les arènes et le cours Gabriel Péri) ne sera mis en travaux qu’en fin de course (dans quinze ans) et que quatre bâtiments emblématiques de la ville (la rotonde ferroviaire, l’ancienne gare, la caserne et le parc de l’artillerie), à l’état de friche urbaine ou sur le point d’être déserté (la caserne), ne sont pas non plus concernés par ces projets, voire envisagés en terme d’obstacle et voués à la démolition (la rotonde).
Enfin, pour que la stratégie commerciale lancée sur le centre-ville ait une chance d’aboutir, cela va de pair avec la plus grande austérité au niveau de création de surfaces commerciales en périphérie ; pourtant l’ouverture annoncée d’une nouvelle zone d’activité économique (ZAE) dite des Dardaillons ne semble pas donner le bon son de cloche.
Il serait inopportun qu’en même temps que les opérations de revitalisation qui se mettent en place dans le cadre d’Action Cœur de ville, d’autres opérations continuent leur implacable contribution à la déshérence du centre-ville.
Patrimoine bâti, paysager & culturel
Pôle médiéval majeur avec castrum, deux monuments historiques inscrits (le château des Gaucelm et la maison dite de Philippe le Bel) et un site inscrit (place des Caladons), un ensemble de bâtiments patrimonialement intéressants inscrits dans un tissu urbain qui a été relativement préservé et une myriade de zones de présomption de prescriptions archéologiques (ZPPA) dont l’une affectant la totalité du sous-sol du centre ancien hors extension du XIXe siècle. Deux périmètres de cinq cents mètres, couvrant la quasi-totalité du centre ancien mais qui restent « sans effet » de par une co-visibilité limitée par la configuration du tissu urbain très dense, d’où un architecte des bâtiments de France peu sollicité.
Il serait cependant à envisager un certains nombres d’actions en parallèle pour renforcer la prise en compte du patrimoine, qui est un levier à activer pour la revitalisation du centre ancien ; concertation, médiation, communication, connaissance ; pour que la prise de conscience soit collective et durable dans le temps. Considérant que les habitants sont les premiers ambassadeurs de leur ville, des visites et conférences à thème pourraient être programmées à leur attention en fonction de la spécificité et de l’actualité des projets en cours, du patrimoine, de l’urbanisme, de l’architecture et de l’architecture.
Avec le temps, les premiers projets opérationnels s’exécutant, l’aide à la mise en place d’outils de médiation, son retour dans un mode partenarial avec la collectivité et le conseil apporté au jour le jour engendré par l’Action Cœur de ville, l’ABF rétablissant ainsi une relation de confiance pourra alors envisager de proposer la mise en place d’un périmètre délimité des abords (PDA), premier pas vers un site patrimonial remarquable (SPR).Enfin, plus ambitieux encore, tout cela pourrait concourir à un projet plus vaste encore de valorisation du territoire du pays de Lunel. Avec comme terreau au nord la culture viticole et au sud celle de la bouvine1 , un label « pays d’art et d’histoire » pour la valorisation d’un axe patrimonial nord/sud de la montagne à la mer, à l’échelle du grand paysage autour de la vallée du Vidourle, de ses canaux et du « pays » de Lunel au sens large (dépassant les frontières administratives des départements) constitué de deux parcours qui convergent sur Lunel, la désignant ainsi comme la ville motrice du territoire.
Réveiller nos cœurs de ville
Les centres anciens ont de nombreux atouts en termes de qualité de vie et d’investissement durable dans les territoires. Ils représentent environ 3% seulement du territoire national mais ils en constituent toute l’identité. Le réinvestissement de ces centres est une des réponses face à l’étalement péri-urbain et au mitage.
Ces centres villes qui, aujourd’hui, ne représentent plus qu’une part infime de l’emprise urbanisée et qui sont à l’origine de l’existence de ce tout, devraient inciter à poursuivre, sans le trahir, le processus de formation de la ville, en perpétuelle modification sur elle-même. Les requalifications, la densification, les démolitions/reconstructions sur les parties les plus récentes s’imposent en vue de perpétuer ce mode de fabrication et d’améliorer les qualités d’habitabilité, de sociabilité, de mobilités.
Il s’agit aujourd’hui de les pérenniser comme lieux de séjour pour des populations diversifiées susceptibles de les habiter de manière durable et cela doit commencer par une reconnaissance par ses habitants de ses qualités intrinsèques, reconnaissance qu’il est possible d’obtenir seulement si une communication sur ses qualités se met en place.
La capacité à créer de l’habitat adapté dans ces secteurs historiques est souvent niée. Trouver des opérateurs conscients des qualités existantes de ce bâti et prêts à imaginer et mettre en œuvre dans les règles de l’art, des solutions inédites et ingénieuses, proposer des solutions aux problématiques inhérentes de stationnements, de commerces, de mobilités et d’espaces publics, devraient pouvoir revaloriser ces centres villes qui ne demandent qu’à être réveillés.
==================================================
Cet article est issu du projet de fin d’étude (formation AUE) de Camille Vidal sous la direction de Vincent Lacaille, soutenu à l’École de Chaillot en juillet 2019. PFE téléchargeable dans son intégralité
BIBLIOGRAPHIE
Ouvrages
Collectif, Regard sur le patrimoine bâti protégé au titre des monuments historiques en Languedoc Roussillon, éditions duo, DRAC Languedoc Roussillon, CRMH, sept. 2014.
Décugis J.M. et Leplongeon M., Le chaudron français, Ed. Grasset, 2017.
R. Imbert, J. Baille, Lunel et son passé, Lunel 1975, réédition Ed. Des Beaux-Arts, Lodève, 1989.
Millerot Thomas, Histoire de la ville de Lunel depuis son origine jusqu’en 1789, Montpellier 1891, réédition Lacour S.A., Nîmes, 1993.
Raynaud Claude, Du Vidourle à l’étang de l’Or une histoire du Lunellois, éditions archéologie et histoire de pays de Lunel et Mauguio, 2012.
Roüet Adolphe Auguste (Abbé), Notice sur la ville de Lunel au Moyen Âge et vie de Saint Gérard seigneur de cette ville au XIIIe siècle, 1878, réédition Nabu Press, mars 2010.
Périodiques
Collectif, C. Raynaud, C. Clément, Vingt siècle de viticulture en pays de Lunel, Études héraultaises, hors-série, 2011.
Collectif, J.M. Malvis, Anthropisation de l’espace lunellois (communes de Lunel et de Marsillargues), période romaine et médiévale, Études héraultaises, nouvelle-série, 4, 1988.
Collectif, Action Cœur de ville, booster de centres villes, Hérault juridique & économique n°3228. Nov. 2018.
Articles
Raynaud Claude, Du castrum à la ville : Lunel au Moyen-Age, Actes du colloque Des Tibbonides à Maïmonide : rayonnement des juifs andalous en pays d’Oc, 2009. pp.35-60.
Ricard Yves, Étude chronologique du canal de Lunel, Études héraultaise n°28-29, 1997-1998.
Rapports et études
Aramel Ph. et Boirin F., Étude patrimoniale - Lunel : Envisager l’avenir grâce au passé, Atelier 2, École d’Architecture Languedoc Roussillon, mai 1996.
M. Abauzit, L. Duc-Dodon, M. Ferrieu, Étude patrimoniale - Ville et territoire de Lunel, École de Chaillot, mai 2017.
Atelier des territoires, Languedoc-Roussillon, Construire une vision partagée pour le territoire entre Montpellier et Nîmes, DREAL LR, DDTM 34, 30, juillet 2014.
CAUE 34, Guide pour les recommandations paysagères, urbanistiques et architecturales- Communauté de Communes du Pays de Lunel, Patrimoine et environnement du SCoT au PLU, Montpellier, 2013.
DDTM 34, Lunel, Lunel-Viel RN113, La déviation, DUP, mai 2018.
Collectif, (groupement La Strada, Urbanis et a.i.d.) Études préliminaires pour le PRU de Lunel, volets urbain, habitat et activités commerciales, Diagnostic et orientations, Co Tech phase 1, juin 2018.
Pawloski C.K., extrait Étude préalable ZPPAU, 1985
ACV, convention cadre pluriannuelle ACV Lunel, février 2017.
- À l’origine, un jeu d’adresse pour tenter de toucher les cornes du taureau et qui était pratiqué dans les cours de fermes. La course camarguaise ou bouvine est une pratique sportive et culturelle, destinée à mettre en valeur la combativité et l’intelligence du taureau de Camargue, appelé « biòu ». Dans les arènes, situées au cœur de chaque village, des hommes, habillés de blanc, les raseteurs, aidés par les tourneurs, vont tenter de frôler, de raser le biòu au plus près, afin de décrocher les attributs fixés tels que la cocarde. La course vient s’inscrire dans un processus traditionnel et rituel précis qui rythme les journées des fêtes votives de chaque village: l’abrivado, la course et la bandido. (abrivado : les gardians positionnés en flèche encadrent les biòu pour les mener aux arènes ; bandido : retour des taureaux à leurs pâturages ; arène : lieu sablé entouré de gradins et de barrières mobiles ; gardian : cavalier attaché à la manade ; manadier : éleveur). ↩